Mai 1954
Une fenêtre qui laisse à peine filtrer la lumière, un bureau des plus rudimentaire, la tapisserie qui se décolle à plusieurs endroits sur les murs. Nous ne sommes jamais reçu dans le même bureau à Sainte-Mangouste, mais je trouve qu'ils se ressemblent tous. La particularité de celui-ci est la grosse pendule qui trône au fond de la pièce. Elle rend le lieu encore plus insupportable avec le son strident des aiguilles. J'essaie de me concentrer sur autre chose en attendant le retour du médicomage.
Je n’aime pas du tout la tête qu'il fait lorsqu’il revient avec le résultat de mes analyses. Encore de nouvelles analyses pour le même résultat, ça en devient lassant. Je perçois le malaise du médicomage et son hésitation. Il n'est pas à l'aise et cela me rend encore plus nerveuse. Cet interminable silence commence à devenir pesant. Je me demande s'il va finir par se lancer. Il n'a pas besoin de m'épargner pourtant. S'il savait... il est loin d'être le premier à tenter de m'expliquer que mes analyses ne sont pas très engageantes.
Je crois que j'ai déjà deviné ce qu'il va nous annoncer. Je sens bien que je ne suis pas enceinte. J’ai parfaitement conscience que vu mon âge je peux faire une croix sur mon rêve de fonder une grande famille... mon rêve d'en fonder une tout court, peut-être. Mais, l’entendre me dire que pour lui tout est parfait et que le problème vient forcément d’un blocage que je fais ne m’aide en rien à part me donner envie de lui faire avaler sa maudite feuille par les trous de nez et les oreilles.
Mon cœur s’accélère. Mes mains se crispent sur les bras du fauteuil dans lequel je suis assise. Je sens une certaine chaleur s’emparer de mes joues à mesure que la colère monte en moi. La douce pression que mon mari effectue sur mon bras droit et surtout son regard rassurant m’apaisent peu à peu. Je suis une femme forte, mais il me connaît par cœur et sait que je suis sur le point de m'emporter, que s'en est trop pour moi. Courir de médicomages en médicomages, années après années pour toujours obtenir la même réponse au final est épuisant.
Il est tout autant déçu que moi par cette nouvelle annonce mais il se montre fort pour deux en ignorant sa propre souffrance. Il est toujours présent pour moi dans ces moments difficiles. Ça me touche de voir à quel point il se préoccupe d’abord de mon bien-être. J'aimerais pouvoir moi aussi le rassurer, lui certifier que tout se passera bien, que nous continuerons à être heureux ensemble...même sans enfant. J’essaie de trouver les mots, mais ça me semble tellement peu naturel, que je préfère rester silencieuse. Je dois d'abord me convaincre que nous continuerons à être heureux, même sans enfant.
En quittant l’hôpital Sainte Mangouste ce jour-là, je jure de ne plus jamais y remettre les pieds et de me tenir éloignée le plus possible de ces médicomages et de leurs diagnostics de malheur. Je sais qu'il me faudra du temps pour digérer la nouvelle, mais je suis persuadée qu'ensemble nous la surmonterons. Nous nous éloignons main dans la main dans l'animation londonienne pour rejoindre notre vie calme et paisible à la campagne.