Je n'ai jamais apprécié l'histoire de la magie. Pas pour les mêmes raisons que la majorité des étudiants de Poudlard, bien qu'il me faille admettre que le professeur Binns n'est pas des plus passionnants. Non, le vrai problème de l'histoire à mes yeux, c'est qu'elle me rend triste.
Je suis une enfant de la guerre, c'est écrit sur toutes les pages lues.
Sur toutes ces pages qui me racontent la guerre que j'ai longtemps naïvement considérée comme la seule ayant jamais secoué le monde des sorciers.
Puis l'histoire m'a appris que nous ne faisons que répéter nos erreurs ou, à défaut d'en avoir la possibilité, trouver de nouvelles cibles. Qu'après avoir asservis les elfes, nous avons combattu les gobelins, les créatures magiques, les Moldus, puis fini, en désespoir de cause, par nous faire la guerre entre nous. Cette incapacité que nous avons à tirer les leçons du passé m'a longtemps plongée dans un grand désespoir, chose pourtant peu courante chez moi. Je ne l'ai surmonté que cette année, dans la perspective de pouvoir cesser cette matière une fois les BUSE passés.
Je suis une enfant de la guerre, c'est écrit sur mes cahiers d'écoliers.
Des cahiers qui, je l'espère, n'appartiendront jamais à d'autres enfants de la guerre.
L'histoire m'ayant profondément secouée, j'ai commencé à m'interroger. Ma vie n'avait été jusqu'à présent qu'une longue suite de rires et de rêves, et pourtant Merlin savait que ce n'était guère parti pour. J'ai grandi entourée d'adultes déprimés, essayant vainement de se raccrocher à un passé qui n'existait plus que dans leur coeur. Sur chaque bouffée d'aurore éclataient leurs sanglots, à la pensée que tout ceci était bien réel et qu'il leur faudrait affronter une nouvelle journée sans celui qui aurait dû être mon père.
Je suis une enfant de la guerre, c'est écrit sur les sentiers éveillés.
Les sentiers qui, toute mon enfance, m'ont accompagnée jusqu'à la tombe de Colin Crivey.
Mon histoire était alors bien simple. Je n'avais pas de père, mais il avait été un héros de guerre. Il avait laissé sa vie sur les marches de la mort, pour que des enfants comme moi grandissent dans un monde d'espoir. C'est pourquoi naturellement, je décidai d'honorer son engagement. La vie m'avait privée de sa présence, j'allais prendre ma revanche. J'ai inondé les prairies environnantes de mes rires, ai été l'enfant exubérante et sympathique attirant tous les autres autour d'elle, et ai fait de couleurs aussi lumineuses que le jaune mes couleurs favorites. Parfois, et là étaient mes plus grandes victoires, j'arrachais un sourire sur la solitude nue de ma mère éplorée.
Je suis une enfant de la guerre, c'est écrit sur le front de mes amis.
Mes amis qui m'ont longtemps considérée comme plus fragile que je ne l'étais.
J'ai su bien après qu'ils n'avaient pas été les seuls. Que si les enfants appréciaient ma compagnie, les adultes s'étonnaient de trouver une gamine si souriante là où ils avaient imaginé un fantôme comme ma mère. Je crois que ma joie sonnait comme indécente aux oreilles de certains. Quel monstre d'égoïsme fallait-il être pour surmonter si aisément l'absence d'un être cher. Sans doute aurais-je dû selon eux les suivre dans leur malheur. J'en étais incapable. J'étais, foncièrement et sincèrement, heureuse. Ma mère garderait à jamais les stigmates de son amour trop tôt rompu, mais elle se reconstruisait malgré tout. Dennis faisait souvent preuve de maladresse, mais il m'entoura aussi bien que ne l'aurait fait mon propre père. L'arrivée de Coleen dans sa vie le changea d'ailleurs autant qu'elle me changea. Elle fut ma première grande amie, suivie de près par Teddy. De par leur destin si semblable au mien, eux n'ont jamais cherché à me juger.
Et pourtant, je reste une enfant de la guerre.
Je me suis vue apposer ce sigle sur l'écho de mon enfance.
Poudlard m'a ramenée à la réalité. J'ai rejoint Poufsouffle sans que cela n'étonne personne. Teddy m'a d'ailleurs accompagnée. L'intégration ne m'a pas posée de souci, j'ai très vite fait partie de nombreux clubs m'apportant moult camarades. Il n'y a guère que le Quidditch auquel je ne me sois jamais essayé, me sachant bien trop maladroite pour cela.
Puis mes camarades m'ont demandée ce que cela faisait, de grandir sans son père. Mes professeurs me l'ont vanté, ce père que je ne connaissais pas, en me félicitant d'autant lui ressembler. Mes nouveaux amis m'ont posée des questions, à son propos, à quoi il ressemblait, ce qu'il aimait faire. Et l'histoire m'a appris que sa guerre ne serait sans doute pas la dernière.
Je suis devenue une enfant de la guerre abandonnée sur l'espoir sans souvenir.
Tout ce que j'avais de mon père se résumait en un mot : Liberty. Ma mère m'avait confiée, un soir d'été, que c'était ainsi qu'il aurait souhaité me nommer. Ce prénom si chèrement acquis, je l'ai écrit sur toutes les pages blanches.
Liberty. Liberty. Liberty.
Et alors j'ai choisi. J'étais libre de le faire, après tout.
La mélancolie dans laquelle on m'a plongée ne durera pas. Je vais redevenir tellement souriante, qu'avec mes pommettes roses et mes cheveux blonds les inconnus me prendront pour une jolie gourde. Et j'en rirai, parce que j'ai toujours préféré les rires aux soupirs. Cela ne fera pas de moi la digne fille de mon père. Juste sa fille. Son enfant qui ne l'a pas connu mais qui, lorsqu'elle écrit son prénom sur ses devoirs d'histoire, écrit aussi un peu le sien.
Je suis une enfant de la guerre et j'écris ton nom.
Le nom que tu m'as donnée, le nom pour lequel tu t'es donné.