Parvenue devant la petite salle de classe qui lui avait été indiquée par hibou le matin même, Rita frappa trois coups secs et entra sans attendre de réponse.
Les tables et les chaises avaient été repoussées contre les murs de pierre afin de laisser un espace central libre suffisant à l'Examen des Baguettes. Légèrement surélevé, le bureau du professeur n'avait pas bougé de son estrade habituelle.
Cinq personnes étaient déjà présentes dans la pièce. Ludo Verpey, tout sourire, était assis aux côtés d'un photographe de la Gazette du Sorcier, qu'elle connaissait pour avoir travaillé de pair avec lui sur de nombreuses affaires. « Fripouille de Verpey, pensa-t-elle en arborant son plus beau sourire. Attends voir que je découvre ce que tu as fait pour prendre la tête du Département des Jeux et Sports magiques. Tu ne paies rien pour attendre ! » Fleur Delacour, la midinette minaudante de Beauxbâtons, conversait avec animation avec Cédric Diggory, le Poufsouffle au visage d'ange. Viktor Krum, enfin, était accoudé au rebord d'une des fenêtres de la salle de classe, à l'écart des autres, avec un air d'ours mal léché. « En voilà un qui a déjà pris trop de coups de Cognards sur le crâne. »
« Un bien joli tableau de champions. Un jeune prodige de Quidditch mystérieux, une Vélane venue de France et un appétissant futur bourreau des cœurs. De quoi écrire des lignes et des lignes. Mais il manque encore celui qui me fera écrire des pages entières... »
- Le jeune Potter n'est pas encore arrivé, Ludo ? demanda Rita en ignorant délibérément la main qui le sorcier lui tendait et en s'asseyant face à lui.
- Il devrait arriver d'une minute à l'autre, Rita, répondit Verpey, son bras retombant mollement sur la table devant lui. Ne sois pas aussi impatiente.
La journaliste lui lança un regard qui lui fit aussitôt perdre son air jovial. Elle posa son sac en crocodile sur ses genoux et lissa consciencieusement les plis de sa robe rose foncé, coupant ainsi court à un échange qu'elle aurait de toute manière jugé insipide s'il avait continué.
L'attente ne fut pas longue. Quelques minutes plus tard, le quatrième champion fit enfin son entrée. Rita l'observa attentivement tandis que Verpey lui expliquait le déroulement de l'Examen des Baguettes qui allait suivre. Il était petit de taille, en comparaison avec les trois autres champions et plutôt maigrichon. Des cheveux noirs de jais coiffés à la va-vite, des lunettes rondes à monture fine, un regard vert. Elle remarqua immédiatement sa maladresse évidente, en le voyant lutter avec la bandoulière de son sac de cours plein à craquer, voire un certain empotement. De plus, et ceci l'étonna, il avait presque l'air timide, du moins gêné de se retrouver au centre des regards des personnes présentes dans la salle de classe.
Verpey commençait déjà l'emmener vers les autres pour la suite des évènements, mais il n'était pas question qu'elle laisse passer cette occasion d'avoir un entretien exclusif avec Harry Potter. C'était une immense opportunité pour elle de se retrouver en une de la Gazette, dès le lendemain. Et cela faisait des mois que Rita Skeeter n'avait pas fait la une.
- Est-ce que je pourrais demander quelques petites choses à Harry avant de commencer ? C'est le plus jeune champion... ça ajouterait un peu de couleur..., siffla-t-elle à l'oreille de Verpey.
Son regard ne quittait plus Harry.
Et avant même que ce dernier ne puisse opposer la moindre résistance, il se retrouva dans ce placard à balais miteux, entre seaux, caisses en bois moulu et produits d'entretien sorciers. Une odeur de renfermé très prenante les enveloppa aussitôt. D'une forte pression sur l'épaule, elle lui intima de s'asseoir sur une boîte en carton instable, face à elle.
« C'était si facile. Merveilleux. »
- Alors, voyons...
Il n'avait toujours rien dit et se contentait de la regarder avec ahurissement, tandis qu'elle sortait de son sac des chandelles, qui, d'un coup de baguette magique, s'embrasèrent et se mirent à flotter au-dessus de leurs têtes. Il se tenait courbé, les épaules en-dedans et ne cessait de se tordre les mains.
- Ca ne t'ennuie pas que j'utilise une Plume à Papote ? Comme ça, je pourrais te parler sans avoir besoin de prendre de notes...
- Une quoi ?
Rita ne put réprimer un sourire carnassier devant l'ignorance d'Harry. Sa joie augmenta encore plus en le voyant admirer sa Plume à Papote préférée, dont les irisations étoilaient la pièce de discrets reflets vert émeraude. Il restait toutefois méfiant et elle put voir son visage se décomposer lentement lorsqu'elle testa la Plume sur un bout de parchemin. « Merveilleux. C'est un faiblard. Il ne résistera pas bien longtemps. »
- Alors, Harry, qu'est-ce qui t'a décidé à participer au Tournoi des Trois Sorciers ?
Le garçon bafouilla quelques paroles incompréhensibles, mais cela suffit apparemment à la Plume qui avait déjà commencé son travail. Il tenta de lire les premières lignes en se tordant le cou de manière bien peu discrète, et Rita leva les yeux au ciel, ramenant le parchemin le plus loin possible de lui.
- Ne t'occupe pas de la plume, Harry. Alors, pourquoi as-tu décidé de participer au Tournoi des Trois Sorciers ?
Il remua sur sa boîte en carton et sembla se réveiller enfin. « J'y suis pour rien, ce n'est pas moi, blablabla... Jérémiades habituelles d'adolescent. Il faut le pousser dans ses retranchements pour obtenir quelque chose de plus croustillant. »
- Quel est ton sentiment quand tu penses aux tâches qui t'attendent ? Excitation ? Appréhension ? s'enquit-elle alors.
- Je n'y ai pas vraiment réfléchi... Oui, ça me fait sans doute un peu peur...
« Ce n'est pas assez, ça, mon chéri, va falloir ouvrir les vannes ! » Elle le coupa, alors qu'il s'embourbait dans des explications inaudibles :
- Certains champions sont morts dans le passé, tu y as pensé ?
Elle écouta à peine la réponse, se focalisant sur le langage corporel de l'adolescent. Harry commençait à montrer des signes de nervosité certains, se balançant légèrement de gauche à droite, les poings serrés.
- Bien sûr, il t'est déjà arrivé de regarder la mort en face, n'est-ce pas ? En quoi cela t'a-t-il affecté ? Penses-tu que le traumatisme que tu as subi dans le passé a pu te donner l'envie irrésistible de montrer de quoi tu étais capable ? D'être à la hauteur de ta réputation ? Crois-tu que tu as été tenté de participer au Tournoi des Trois Sorciers à cause de...
- Je n'ai pas été tenté de participé ! l'interrompit Harry, le regard furieux.
« On y est ! C'est le moment où on rentre dans le vif du sujet... Je peux encore pousser un poil plus loin... »
- Est-ce que tu te souviens de tes parents ?
- Non.
Réponse courte, du tac au tac. Pas ce que Rita espérait. La Plume se suspendit au-dessus du parchemin, visiblement déçue, elle aussi.
« On ne lâche rien, il ne va pas s'en sortir comme ça ! »
- A ton avis, quelle serait leur réaction s'ils savaient que tu vas concourir dans le Tournoi des Trois Sorciers ? Inquiets ? En colère ?
Pas de réponse. Le garçon, raide comme un piquet, semblait vouloir se jeter à la gorge de Rita, qui, elle, ne perdait pas une goutte de la tension de la situation. La Plume survolait le parchemin avec précipitation, à présent. Alors qu'Harry sembla sur le point de lâcher quelque chose, ses yeux se posèrent sur les lignes qui venaient de s'inscrire à l'encre verte sur le papier.
- Il n'y a PAS de larmes dans mes yeux ! s'égosilla-t-il à pleins poumons. Vainement.
Rita sourit. Elle lèva une main parfaitement manucurée en l'air, comme signe d'apaisement. Mais, avant qu'elle n'ait pu ajouter quoi que ce soit, la porte du placard à balais s'ouvrit sur Albus Dumbledore, les aveuglant tous les deux.
« Encore ce vieil ahuri sénile. Juste au moment où j'allais le cueillir... »
S'ensuivit un échange de formules de politesse acérées cachant à peine l'inimitié entre les deux adultes. Harry en profita pour sortir en trombe du placard, renversant dans sa hâte une petite fiole dont le contenu se déversa sur le bas de la robe rose foncé de Rita. Celle-ci se précipita sur son sac en crocodile pour en sortir sa baguette. Il y eut un moment de flottement pendant lequel la journaliste pointa l'extrémité de la baguette en direction de la silhouette lointaine du jeune sorcier. Puis son regard croisa les yeux bleus perçants d'Albus Dumbledore, et elle se ravisa.
- Evanesco !
Le liquide poisseux qui s'était répandu sur sa robe s'évapora aussitôt. Dumbledore, avec un sourire quelque peu amusé, lui indiqua la sortie.
« Tu ne paies rien pour attendre, mon chou. », pensa-t-elle en regardant la silhouette d'Harry s'engouffrer dans la salle de classe où se trouvaient les autres champions.
Rita Skeeter enroula autour de son index une de ses mèches blondes peroxydées.
Et son sourire revint progressivement, déformé par une féroce avidité.