« Rends-lui la vie infernale à cette vieille folle, Peeves, lança-t-il. »
Peeves prit Fred au pied de la lettre. Il ne se retint pas pour renverser les tables et les armures, martyriser Miss Teigne, terroriser les élèves avec des torches, ouvrir tous les robinets, ramener des tarentules et autres bestioles de la forêt.
Il fila aussi dans le bureau d’Ombrage et peignit de jolies moustaches noires sur tous les chats de son bureau. Elle en fut ravie et dut, chat par chat, enlever l’encre d'un Evanesco.
Il s'amusait à la suivre chaque soir dans les couloirs, alors qu'elle écoutait d'une oreille trop attentive les conversations entre ses collègues, ou observait parfois des groupes d'élèves suspects. Au moindre moment d'inattention de la part d'Ombrage, il faisait tomber une armoire, un lustre ou un tableau. Elle sursautait et avait une expression de terreur pure. Et pendant la journée, alors qu’il continuait de voleter derrière elle, il caquetait des mots grossiers chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.
Pure délectation.
Personne ne le tint pour responsable des toilettes qui explosaient au derrière de Ombrage, ni même pour le morceau de steak dégoulinant de sang frais qui coula dans ses cheveux bien cinq minutes, devant tous les élèves.
Il eut cependant quelques regards désapprobateurs quand il graissa le couloir du deuxième étage. Certains élèves finirent à l'infirmerie pour bras ou jambes cassés ; mais ce n'était rien à côté du sourire satisfait du Baron - et c'était un événement ! - quand Ombrage alla voir ce qui causait le raffut et glissa elle aussi sur la graisse. Voir ce crapaud les quatre fers en l'air était une vision délicieuse. Colin Creevey immortalisa ce moment avant de se faire confisquer sa pellicule par l'Inquisitrice.
Peeves continua ses petits tours, il déposa un lot de vers du lac, des muinsornes, dans le lit d'Ombrage qui en ressortit bien vite d'un cri déchirant le silence de la nuit. Et il repartit en caquetant.
Rusard s'acharna de plus en plus contre lui, l'épiant même. Mais la menace du Baron n'avait à présent aucun effet car, comme tous les autres fantômes, celui-ci ne cherchait pas à plaire à Ombrage et se permettait même de souffler deux ou trois idées à Peeves. Il l'autorisa même à recouvrir d’Ectoplasme le tableau qui permettait d’accéder aux appartements du crapaud ; clin d'oeil à ce qui s'était passé un millénaire plus tôt. Il y avait des choses que personne n'oubliait.
A la fin du mois de mai, Peeves se mit à errer l’esprit en peine dans les couloirs de Poudlard. Il voulait écrire une chanson sur Ombrage, mais n’arrivait plus à trouver assez de rimes à crapaud pour les derniers vers. Et pourtant, il avait déjà utilisé « pas beau », « dans l’eau », « miro », et bien d’autres… Une dernière petite rime pour clôturer son vers, et ce serait parfait.
Il pourrait la chantonner en mélangeant la poudre d'Ombrage avec les excréments de rat trouvés sous un placard. Il pourrait aussi s'asseoir dans son appartement et la murmurer toute la nuit jusqu'à ce qu’elle explose et qu’il en rie encore plus ! Mais il y avait cette fin qui le tiraillait. Et Merlin savait que ça ne lui arrivait pas souvent !
Il avait demandé à tous les fantômes, ils s'étaient creusé la tête, le Baron avait parlé de ramper comme un bulot même, mais cela ne satisfaisait pas Peeves.
Il s'était alors tourné vers les élèves mais comme il l'avait fait en accompagnant ses questions de bombes à eau, de cheveux emmêlés ou d'encriers renversés, il n’en avait pas toujours tiré des choses intéressantes.
C'était difficile pour un esprit tel que lui de se trouver devant une panne sèche, ça ne lui était encore jamais arrivé. Peeves avait peut-être trop donné sur ce sujet, trop épuisé ses petits tours pour une seule et même personne. Il devait avouer qu'il commençait à se lasser.
Cependant, s'il devait abandonner l'idée d'ajouter un dernier vers à sa douce poésie qui ravirait les oreilles d'Ombrage, il eut une idée, qui allait bien embêter la Grande Inquisitrice et son petit chien Rusard.
*
En un beau dimanche matin, un de ceux qui annonçaient un été joyeux et paisible, il fut vu devant les décrets placardés au mur avec un sac bien rempli dans les mains.
Élève après élève, décret après décret, les rires se répandirent dans Poudlard. Evidemment, l'odeur était épouvantable mais le spectacle en valait le coup.
Peeves écrasait sur chaque décret une Bombabouse puis dessinait dans la surface poisseus un gros crapaud avec un noeud papillon dans les cheveux. Il y en avait pour tous les goûts, et ça lui plut. Surtout le cri enragé d’Ombrage….
Peeves avait eu cette idée en passant encore une fois devant le dernier carré du marécage laissé par Fred et George Weasley. L'odeur lui avait fait plissé le nez, il y était sensible car il était plus qu'un simple fantôme, il avait une réelle consistance.
Et il avait bien vu qu'il n'était pas le seul importuné.
Alors il avait récolté toutes ces Bombabouses et s'appliquait sur son oeuvre.
Quand il en eut assez de peindre sa grotesque caricature, il s'assit sur le lustre du hall et commença à les lancer sur les élèves, les professeurs, sur Rusard et Ombrage - qu'il ne manquait jamais - qui durent courir pour accéder à la Grande Salle et puis, dernier sursaut d'idée...
Les tableaux avaient beaucoup ri et profité calmement du spectacle. Alors Peeves se dit qu'il n'y avait aucune raison qu'ils soient épargnés. Il commença à lancer des Bombabouses sur les plus hideux, et le jus écoeurant décora ces peintures sinistres.
Il prit un malin plaisir à tartiner tous les sorciers qui, chacun, s’étaient moqué de lui ou n'avaient pas ri à une de ses blagues. Et depuis plus de mille ans qu'il était à Poudlard, il y en avait eu d'anciens élèves placardés aujourd'hui en tableau sur les murs. Et il se souvenait de chacun d'eux.
Peeves en jeta deux rose pétard sur une petite sorcière aigrie qui avait passé son temps à le poursuivre dans les couloirs en lui renvoyant tous les chewing-gums qu'il lui avait collés dans les cheveux. Il se vengea sur quelques autres, visant la bouche d'un dormeur qui se réveilla dégoûté, tâchant la robe blanche de la mariée du troisième étage, mais surtout... surtout... Il se vengea de Godric Gryffondor ! Ce sorcier qui s’était moqué de lui et l’avait condamné à porter un chapeau jusqu’à la fin de sa vie d’esprit. Oh, c’était de la vieille histoire évidemment, mais Peeves n’oubliait jamais.
Il trouva le tableau du sorcier, perdu au milieu de centaines d'autres accrochés dans la cage d'escaliers. La pensée qu’assurément personne à part lui ne savait que dans le château les célèbres Fondateurs avaient des tableaux discrets dans Poudlard ne l'effleura même pas. Il aurait pu lui rendre le repos bien pénible : dire aux élèves de solliciter ce vieux sorcier qui n'aspirait qu'à rester dans son paysage d'aventures.
Il n'y pensa pas.
Peeves décida d'abord de se montrer sympathique. Alors qu'il visait un verre de vin avec une de ses dernières Bombabouses sous le regard réprobateur de Gryffondor, il décida de fredonner sa petite chanson pour Ombrage. A tous les coups, le sorcier ne pourrait s'empêcher de l'aider.
Alors qu'il entamait le dernier vers, il laissa les mots suspendus...
Et la voix de Godric suggéra :
Mais ce crapaud transpire d'la peau
Et avec ses aisselles
Vous ne pourrez la trouver belle
Car à trop gesticuler
Elle a laissé les champignons y pousser
Peeves dit :
« Ah merci mon vieil ami, avec un grand sourire, je désespérais finir cette comptine pour notre chère Inquisitrice ! »
La voix mielleuse n'inquiéta pas outre mesure Godric. Il avait passé tant de temps perdu dans son paysage que parler avec Peeves, aussi farceur était-il, le réjouissait.
« J'admire votre dernière trouvaille Peeves, complimenta Godric en montrant sa voisine empêtrée dans la Bombabouse collante sur son tableau.
- C'est fort aimable de votre part ! J'eus craint un instant que vous ne me cherchiez noise pour avoir troublé votre paisible retraite, répondit l'esprit.
- Voyons, tout cela est bien derrière nous, dit Godric avec un sourire indulgent. Je ne vous tiens plus pour responsable de grand-chose, vous ne pouvez de toute façon pas me nuire de grande fa- »
Il ne put finir sa phrase que Peeves lui écrasa une Bombabousse bleue sur le nez, qu'il étala de sa main avant de s'envoler dans un rire moqueur, satisfait d'avoir montré à Godric que rien n'était jamais fini !
*
Après cette petite victoire qui fit le tour des tableaux et des fantômes, Peeves retourna à des farces plus calmes. Il s'était fait semoncé par le Baron et n'avait pas supporté le sourire menaçant et sardonique de celui-ci quand les grelots de son chapeau avaient tinté.
Une semaine plus tard, le fantôme du Baron Sanglant convoqua Peeves. Il lui rappela que certaines de ses dernières farces avaient été assez dangereuses pour les élèves - comme les torches enflammées - et lui ordonna d'aller s'excuser auprès des tableaux. De chaque tableau.
Peeves refusa dans un caquètement sonore, il gronda mais le Baron ne lâcha pas.
Le lendemain, grande fut la surprise des élèves de voir Peeves passer de tableau en disant « Pardon » à contre coeur, surtout qu'il tirait à chaque fois sa langue pointue ou sifflait des dents, se curait le nez, voir s'essuyait le doigt plein de cire d'oreille sur le cadre du tableau.
Quand il arriva devant le portrait de Godric, celui-ci l'attendait avec une tête très bizarre.
Peeves se mit sur le dos, mais Gryffondor était toujours bizarre. Il loucha, mais ça ne changeait rien.
« Vous avez de bien belles joues monsieur le Fondateur », dit-il, révérencieux.
Godric hocha la tête, avant d'éclater ses joues avec ses deux mains !
La Bombabouse qu'il avait glissée dans sa bouche fut éjectée et s'écrasa sur le visage de Peeves ! Outré, celui-ci s'éloigna du mur en caquetant, essayant d'essuyer hâtivement la substance visqueuse qui s'accrochait à son visage. Il réussit à dégager un de ses yeux avant de voir le Baron devant lui, rictus moqueur sur le visage.
« Eh bien Peeves, que vous arrive-t-il ? Venez, je vais vous aider... »
Empêtré dans sa Bombabouse, Peeves ne put échapper au fantôme qui se colla contre lui, et au frisson si caractéristique qui traversa son corps. Le Baron enroula les chaînes qui pendaient à ses poignets autour de l'esprit frappeur, lui dit « Souriez ! » et le flash immortalisa la scène.
Tandis que Colin s’enfuyait à toutes jambes pour développer sa pellicule et échapper à Peeves furieux, le Baron Sanglant repartit errer dans les couloirs de Poudlard, en chantonnant :
Tel est pris qui croyait prendre
Le responsable de ces esclandres
Ne comprendra jamais
Qu'il est plus bête que laid
Et que les farces de Peeves
Ne sont que rébarbatives !