Colin Crivey s’était toujours senti en décalage depuis qu’il avait intégré l’école primaire. Il lui était souvent arrivé de faire des choses que les autres ne savaient pas faire et il n’avait jamais compris à quoi c’était dû. Quand il était au CP, il avait fait un dessin à la craie sur le tableau, sauf qu’il se trouvait à plusieurs mètres du tableau à ce moment là. Du coup, c’était un autre petit garçon qui s’était fait disputer à sa place. Le jeune Colin avait bien essayé de dire qu’il était le seul responsable, mais la maîtresse ne l’avait pas cru, et l’avait trouvé bien gentil de vouloir protéger un camarade.

Quelques années plus tard, quand Dennis était arrivé à l’école, Colin avait tout de suite voulu protéger son frère. Or, un jour, un imbécile de gamin sans cervelle avait décidé d’en faire sa tête de turc. Voilà qui n’avait pas du tout plu à Colin. Cependant, il n’avait jamais pu s’expliquer comment le garçon s’était retrouvé les quatre fers en l’air sur le sol alors qu’il ennuyait le petit garçon. Colin avait eu la certitude qu’il était responsable, mais encore une fois, ça n’avait rien de logique.

Après ça, la plupart des enfants s’étaient éloignés de lui, en remarquant consciemment ou non qu’il se produisait toutes sortes de bizarreries à son contact. Il se retrouve vite seul et se sentait continuellement en décalage avec ses camarades, avec tout ceux à qui il n’arrivait jamais rien. Pourtant, il ne voulait de mal à personne, ni mettre en danger les gens, il ne savait pas pourquoi il provoquait tout cela. Mais il savait une chose. Il y aurait toujours un décalage et il était condamné à vivre sa vie seul.

Et puis, il avait eu onze ans, et puis le professeur McGonagall était venue lui expliquer qu’il était en réalité un sorcier et qu’il allait devoir faire ses études à l’internat de Poudlard en Ecosse. Et il avait vu toutes ces choses merveilleuses, les livres qui parlent, les hiboux qui envoient du courrier et les Gobelins de Gringotts, il avait vu le Poudlard Express et la dame et les friandises du monde de la magie. Et il avait vu Poudlard, sa Grande Salle, ses cours, ses fantômes, ses tableaux.

Et alors là, il avait aussi vu tout ce qui avait fait la réalité de ses capacités depuis qu’il était petit, il avait vus des adolescents plus vieux que lui se taquiner à coup de magie, il avait vu des balais volants et des matches de Quidditch, il avait su alors que plus jamais, plus jamais il ne pourrait se retrouver en décalage avec ses camarades parce qu’il venait d’intégrer son univers. Et c’était pour cela qu’il avait décidé, dès que ça avait démarré de ne pas en louper une miette.

Tout ce qui passerait sous son nez, qui montrerait que Colin n’était pas un enfant isolé, qu’il n’avait rien de décalé, Colin Crivey, patiemment et avec toute la passion qui l’animait, prendrait le temps de le photographier.