Assis dans un fauteuil moelleux de la salle commune de Gryffondor, Neville passa une très bonne soirée, jouant à la bataille explosive avec Dean et Seamus. Les examens de fin d'année étaient enfin terminés, et l'heure était à la détente chez les rouge et or. Un feu doux brûlait lentement dans la cheminée, réchauffant la pièce. L'air avait tendance à se rafraîchir le soir, malgré le début de l'été. L'ambiance était chaleureuse - cette maison était pour tous comme une grande famille. Des éclats de rires fusaient de tous les coins, la plupart des élèves écoutant des blagues des frères de Ron et de Lee Jordan, le garçon qui commentait les matches de Quidditch.
La soirée passa très vite, entrecoupée de sourires, de fous rires, de quelques mèches de cheveux roussies et de sourcils raccourcis. La bataille explosive était un des rares jeux où Neville parvenait à gagner contre ses adversaires, même s'ils n'étaient pas des débutants. Il préférait largement se faire brûler quelques poils à jouer aux échecs. C'était bien plus amusant. Les échecs étaient d'après lui l'une des choses les plus ennuyeuses au monde, presque autant que les cours du professeur Quirell.
Les dortoirs se remplissaient petit à petit, au fur et à mesure que les aiguilles de sa montre tournaient. Lorsque les garçons abandonnèrent leurs cartes et montèrent se coucher, ils étaient pratiquement seuls dans la salle commune. Ils se mirent tous les trois en pyjama, et se préparèrent à passer leur dernière nuit de l'année dans les lits à baldaquin douillets de Poudlard. Alors qu'il allait se coucher avec un vague sentiment de nostalgie, Neville aperçut une tâche couleur chlorophylle en train de s'enfuir par la porte du dortoir, restée entre ouverte. Son crapaud, évidemment. Comme toujours. Avec un soupir découragé, il quitta son matelas, alors que les deux autres éteignaient leurs bougies. Ils lui lancèrent un regard interrogatif, auquel il répondît par un seul mot. « Trevor ». Ils le regardèrent fermer la porte d'un air compréhensif, avec compassion. Il était de notoriété publique que la plus grande passion de Trevor était de s'enfuir et de se cacher dans des endroits impromptus. Personne n'avait jamais réussi à savoir si le crapaud avait un jour compris qui était son maître.
Le garçon descendit lentement les marches de marbres. Il avait enlevé ses chaussettes, et les pierres froides lui glaçaient les pieds. Arrivé dans la salle commune, il s'aperçut qu'il ne restait plus que Ron, Hermione et Harry qui n'étaient pas couchés. Après avoir retrouvé Trevor, caché sous un fauteuil, il décida de veiller jusqu'à ce que ses trois camarades rejoignent leurs dortoirs respectifs. La manière dont ils conversaient, en chuchotant avec un air de conspirateur, était plus que louche. Hors de question qu'ils s'offrent une nouvelle escapade nocturne qui ferait perdre encore plus de points à Gryffondor. Rester ainsi dans la salle commune, aussi tard, était un comportement extrêmement suspect pour ces trois élèves, qui avaient la fâcheuse manie de se promener dans les couloirs la nuit, si possible en se faisant attraper par le concierge. Neville se promit de les empêcher de recommencer s'ils essayaient de sortir.
Il attendit patiemment dans son fauteuil. Il avait un peu peur. Parce qu'il n'avait jamais tenu tête à personne, encore moins au Survivant. Mais après tout, c'était Ron qui lui avait dit de se défendre. Il aimait beaucoup ces trois là, et trouvait Hermione très gentille. Elle était toujours prête à l'aider. Mais il connaissait leur tendance à se balader dans les couloirs, la nuit. Il en avait même une fois profité, entraîné contre son gré dans une expérience terrifiante qui l'avait fait se retrouver face à un énorme chien à trois têtes. Il ne leur en avait jamais reparlé, et pensait que c'était bien mieux ainsi. Mais il en avait assez qu'ils s’octroient tous les droits, et qu'ils se permettent de bafouer les règles, faisant perdre des points aux autres élèves de leur maison, qui n'avaient rien demandé. Devoir tenir tête à ses amis l’impressionnait, l'angoissait. Mais il était dans la maison des courageux, et il n'avait encore jamais eu l'occasion de montrer à tous les autres qu'il était à sa place ici, et qu'il n'y avait pas eu d'erreur. Il aurait tellement voulu que sa grand-mère soit fière de lui... Même si cela ne constituait pas son plus grand acte de bravoure, il se dit que toute chose devait avoir un commencement. Et puis, ses camarades n'avaient peut-être même pas l'intention de sortir de la tour. Ils n'étaient peut-être juste pas fatigués – peut-être qu'ils voulaient juste profiter de leur dernière soirée au château.
Il attendit donc quelques minutes qu'ils fassent quelque chose. Il ne fallut pas longtemps avant que Harry monte les marches qui menaient au dortoir des garçons. Soulagé, Neville se dit que finalement, ils n'avaient peut-être pas de mauvaises intentions. Il s'en voulait de douter de ses amis ainsi, mais il ne pouvait pas faire autrement. Il les appréciaient, les respectaient, mais il trouvait quand même que leur attitude était injuste pour les autres. Et il s'en voulait aussi d'avoir été impliqué, même si ce n'était pas de sa faute, dans leur dernière escapade qui leur avait fait perdre tant de points – cette histoire de dragon avec Malefoy. Personne ne lui en avait voulu, considérant que la faute revenait entièrement à Harry, et Hermione, et que Neville avait simplement cru à leurs mensonges, et à ceux de Malefoy. Mais lui-même ne se l'était pas pardonné. Il avait tellement honte qu'il n'avait pas osé en parler à Grand-mère. Mais il ne les auraient pas laissé faire perdre encore plus de points à leur maison, déjà dernière du classement, la veille de la remise de la Coupe. Ce n'était pas la peine de les rendre encore plus ridicules. Les Serpentard seraient déjà bien assez joyeux comme ça.
Son soulagement fut de courte durée. Moins de cinq minutes plus tard, Harry descendit les marches, rejoignant ses amis, une sorte de cape argentée en main.
- On ferait mieux de mettre la cape dès maintenant, dit-il, ne prenant même pas la peine de chuchoter, croyant qu'ils étaient seuls. Assurons-nous qu'elle nous couvre bien. Si jamais Rusard apercevait un de nos pieds traînant...
Neville se leva de son fauteuil, serrant Trevor contre lui. Son angoisse lui nouait l'estomac. Qu'était-il donc en train de faire ? N'aurait-il pas dû juste assister à la scène en silence ? Après tout, cela ne le regardait pas. Mais non, sa conscience lui intimait de faire quelque chose. Il était un Gryffondor, il était courageux, et il allait leur prouver que lui aussi pouvait s'opposer aux plans des autres.
- Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-il, coupant Harry en plein milieu de sa phrase.
Apercevant ses trois camarades, il se dit qu'il n'aurait peut-être pas dû les interrompre. N'importe lequel des trois aurait pu le neutraliser facilement. Mais ils n'oseraient pas, pas vrai ? Sa peur était toujours aussi présente, et lui tordait les entrailles. Mais c'était trop tard pour rebrousser chemin. Et il était fier de lui. Ce soir, Gryffondor ne perdrait plus aucun point, et il n'y serait pas pour rien.
- Rien, rien, s'empressa de dire Harry, cachant le bout de tissu argenté derrière son dos.
Mais Neville n'était un idiot, contrairement à ce que pensaient bien souvent les autres, et même parfois lui-même. Il savait bien ce qu'ils voulaient faire, encore explorer des endroits dangereux et interdits du château. Mentionner que Rusard risquait de les apercevoir n'était pas anodin.
- Vous allez encore vous baladez, rétorqua-t-il avec une colère qui commençait légèrement à percer dans sa voix. Il détestait qu'on se moque de lui et le rabaisse ainsi.
- Non, non, non, répéta encore Hermione d'une voix qui trahissait un empressement et une angoisse certaine. Pas du tout. Va donc te coucher.
Il vit le coup d’œil discret de Harry vers l'horloge. Ses trois camarades semblaient être très pressés. Avaient-ils encore un rendez-vous secret, comme celui avec Malefoy au début de l'année ? Il avait l'impression que ce qu'ils voulaient faire était soit très secret, soit très dangereux. Ou peut-être les deux. Mais il ne pouvait pas les laisser faire, n'est-ce pas ? Pas maintenant, pas après avoir commencé à s'opposer à eux. Sinon ils penseraient qu'il n'avait aucun courage, et qu'ils pouvaient l'utiliser comme il voulait. Mais Neville n'était pas un Elfe, il avait sa propre volonté, et quand il décidait quelque chose, il s'y tenait. Il voyait leurs regards ébahis, mais il ne flancherait pas. Il ne les laisserait pas le piétiner, lui marcher dessus comme ça.
- Si vous sortez, vous allez vous faire prendre, dit-il d'une voix qu'il tentait de maîtriser pour qu'ils n'entendent ni son angoisse ni sa colère. Et Gryffondor aura encore plus d'ennuis.
Il tiendrait bon. Ils ne passeraient pas le trou de la Grosse Dame.
- Je ne vous laisserai pas partir, dit-il en se postant devant l'entrée tel un garde. Je... je suis prêt à me battre.
- Neville, laisse-nous passer, lui dit Ron d'un ton désespéré. Ne fais pas l'idiot.
Sa dernière phrase réveilla la colère de Neville qu'il accumulait depuis des semaines. Oh, il savait bien ce que tous pensaient de lui. Que tous avaient pitié du « pauvre petit Londubat », incapable de réussir le moindre petit sortilège. Mais il n'était pas un Cracmol, il le savait. Il n'était pas un incapable, loin de là. Il lui fallait plus de temps et de concentration que les autres, certes, et il était très étourdi, c'était vrai. Mais il n'était pas un idiot, un faible, un « pauvre petit garçon », ou encore l'une de toutes ces choses qu'ils disaient quand ils croyaient qu'il ne les entendait pas. Sa colère n'était pas directement dirigée vers Harry, Ron et Hermione, mais vers tous ceux qui murmuraient sur son passage. Il les avaient trop laissé parler. Il était temps de leur clouer le bec à tous. Neville Londubat était capable de se défendre, lui aussi, comme tous les autres.
Il fixa les cheveux roux de Ron et ses tâches de rousseur qui constellaient ses joues. Il avait toujours trouvé qu'elles lui donnaient un air comique. Mais en cet instant, il ne lui donnait pas du tout envie de rire. Il était beaucoup plus grand que lui, et sûrement beaucoup plus fort. Tant pis.
- Essaye de me frapper, dit-il.
Il lâcha Trevor qui bondit se cacher sous une table basse, s'échappant une fois de plus, et leva ses poings au niveau de son visage. Il était beaucoup plus impressionné par les trois autres qu'il ne voulait bien le montrer. Ron était très grand – peut-être le plus grand des garçons de première année de toute l'école. Harry n'était pas très fort, mais il était rapide. Et la légende qui l'entouraient impressionnait tout le monde, Neville compris. Il avait les sourcils froncés derrière ses lunettes rondes. Avoir à affronter Neville ne semblait pas lui plaire.
- Pas contre nous, réagit Ron, qui semblait ne pas vraiment comprendre sa réaction.
- Fais quelque chose, dit Harry à Hermione, découragé.
La jeune fille s'avança alors vers Neville. Il se sentait presque pétrifié, tellement elle lui faisait peur. Non pas qu'il la considère comme quelqu'un de mauvais – Hermione n'était pas méchante, il le savait. Elle ne lui ferait pas de mal, il le savait. Mais elle était très douée en magie, et il se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir lui faire. Il abandonna tout espoir de se défendre quand elle brandit sa baguette – il savait qu'il ne pourrait rien faire contre elle. Ses cheveux ébouriffés encadraient son visage et lui donnaient un air un peu fou. En la regardant, il se dit que malgré ce que pensaient certains autres, elle était plutôt jolie, Hermione. Mais pas quand elle était en colère. Elle avait l'air agacée, et soupira discrètement en se postant devant lui. Neville essayait de retenir le tremblement de ses mains. Il se traita d'idiot, songeant qu'il n'avait même pas sa baguette sur lui – elle était posée sur sa table de nuit. Après tout, il n'aurait sûrement pas pu faire grand chose face aux sortilèges d'Hermione. Mais il aurait pu essayer. Il maudit une fois de plus ses étourderies. Le bout de sa baguette était à moins d'un mètre de lui.
- Désolée Neville, mais il le faut. Petrificus totalus.
Il sentit ses bras se coller contre on buste, attirés par la force du sortilège. Ses jambes s'attachèrent l'une à l'autre, et il se retrouva raide comme une planche. Déséquilibré par le sortilège, il chancela d'avant en arrière, priant silencieusement pour ne pas tomber face contre le tapis rouge. Sa malchance légendaire eu raison de lui, et son visage impacta violemment le sol. Le sortilège ayant eu pour effet de le rendre aussi rigide qu'un morceau de bois, il ne se cassa pas le nez. Hermione se dépêcha de le retourner sur le dos, comme si se retrouver totalement immobilisé était plus agréable ainsi. Neville, lui, se dit que cela ne changeait pas grand chose, en fin de compte. Seuls ses yeux pouvaient bouger. Aucun autre muscle de son corps ne lui obéissait. Il commençait à paniquer, et à regretter de s'être planté entre ses camarades et la sortie.
- Qu'est-ce que tu lui as fait ? demanda Harry dans un murmure. Il semblait aussi horrifié que la victime du maléfice.
- Le maléfice du Saucisson, répondit Hermione. C'est comme si il était ligoté et bâillonné. Je suis vraiment désolée, Neville...
Sa voix était plus aiguë que d'ordinaire, mais elle semblait regretter son geste. Neville remarqua que lorsque qu'elle lui avait dit « désolée » avant de l'attaquer, elle avait vraiment semblé l'être. Mais pourtant, elle n'avait pas hésité un seul instant. Alors pourquoi...
- Il le fallait, affirma Harry. On n'a pas le temps de t'expliquer.
- Tu comprendras plus tard, affirma Ron.
Et ils le laissèrent ainsi, enjambant son corps ficelé par des liens magiques. Il était totalement seul, au milieu de la salle commune déserte. Il aurait bien voulu que quelqu'un vienne le chercher, mais tous les autres dormaient. Non, désormais, il était seul, condamné à passer le reste de la nuit ici, attaché comme un prisonnier. Il songea que chez les sorciers de Premier cycle, les sortilèges avaient tendance à s'estomper. Mais il se dit avec désespoir que cela prendrait sûrement longtemps, très longtemps, pour que celui d'Hermione ne le libère. Elle était la meilleure dans toutes les matières, et aurait facilement pu passer directement en Troisième année.
Abandonné à son sort, il contempla les bougies volantes qui étoilaient le plafond. Il n'était pas aussi beau que celui de la Grande salle - il n'était pas magique. Mais ce simulacre de ciel nocturne que formaient les flammèches sur la tenture rouge sombre seraient sa seule vision, avec les quelques saletés et autres poils de chat qui traînaient par terre, pour de longues heures à venir, jusqu'à ce que quelqu'un ne vienne le libérer. Par chance, il se trouvait près du trou de la Grosse dame. Dès qu'un élève voudrait aller se promener dans le château, il le trouverait.
Il ferma finalement les yeux, essayant de se détendre. Il ne pouvait rien faire d'autre. A son réveil, on viendrait lever le sort, et il serait à nouveau libre.
Il avait assumé sa conviction jusqu'au bout. Allongé dans la poussière, Neville Longdubat avait enfin prouvé son courage de Gryffondor. Il avait fait ce qui lui semblait juste, sans se laisser impressionner par les autres. Enfin, presque pas. Mais il était quand même fier de lui. Même s'il songea avec un pincement au cœur que passer sa dernière nuit allongé par terre n'était sûrement pas le meilleur moyen d'emporter un dernier souvenir positif du château – mais après tout, il en avait déjà plein d'autres. Et il pourrait enfin raconter à Grand-mère quelque chose dont il était fier, et qui la rendrait fière de lui. Et ça, pour Neville, ça n'avait pas de prix.
Il jeta un dernier regard à Trevor, caché sous le fauteuil à sa gauche. Il avait l'impression que le crapaud le narguait. Après tout, s'il était là, c'était à cause de ce fichu crapaud...