En apparence, la petite bourgade de Little Hangleton n’avait jamais été aussi calme que cette nuit là. Les habitants dormaient à poings fermés, sans se douter une seule seconde des événements horribles qui venaient d’être perpétrés sur leur terre : un meurtre avait été commis. Bien sûr, ce n’était pas la première fois que cela arrivait et les plus vieux résidents de la ville se souvenaient encore avec effroi, de l’assassinat sanglant des Jedusor par leur jardinier. Les autorités l’avaient relâché mais les habitants eux, savaient. C’était Frank Bryce, le meurtrier. Frank, qui semblait avoir disparu du jour au lendemain depuis près d’une année. Mais ça, personne ne semblait vraiment s’en soucier.
Pourtant, si les habitants avaient pris la peine d’ouvrir les yeux pour une fois, ils auraient sûrement constaté que quelque chose était inhabituel depuis quelques temps. Ils auraient remarqué, comme Frank à une époque, qu’une lumière venait à scintiller tous les soirs, derrière les plus hautes fenêtres du Manoir des « Jeux du Sort », qui était censé être inoccupé depuis de nombreuses années. Une lumière qui ce soir là venait à s’étendre à l’intégralité de la demeure, comme si l’on venait de reprendre pleinement possession des lieux. Une lumière qui sortait de l’obscurité et qui venait éclairer les visages sérieux d’hommes dont le regard se posait avec crainte sur le plus imposant d’entre eux. Celui qui faisait les cent pas dans son salon.
— « Maître… Il n’est pas trop tard… Nous pouvons encore réussir à mettre la main sur lui…»
L’homme très grand et maigre s’arrêta alors instantanément et tourna la tête en direction d’un plus petit à la main d’argent, qui avait osé troubler le silence oppressant qui s’était installé dans la pièce depuis leur arrivé. On aurait dit un serpent fixant une proie, et prêt à se mouvoir sur elle à n’importe quel moment. Le petit homme lui, baissa immédiatement la tête lorsqu’il croisa son regard, glaçant, et plus personne n’osa alors prononcer le moindre mot.
Ils avaient trop peur d’avoir à subir le courroux de leur Maître qu’ils venaient à peine de retrouver et ce d’autant plus depuis qu’ils avaient été incapables de rattraper un stupide garçon de quatorze ans. Cependant, au bout de quelques longues et interminables secondes, un homme plutôt grand et à la chevelure d’un blond presque blanc, se risqua à prendre la parole :
— « Nous pourrions peut-être…
— Sortez.»
La voix du Maître avait retenti clairement pour la première fois depuis leur arrivée dans cette grande demeure de moldu. Sa voix était aigüe, glaciale et personne n’osa contredire l’ordre direct qu’il venait d’émettre. Les disciples sortirent alors dans le silence le plus complet et le dernier referma la porte du grand salon des Jedusor derrière eux, laissant ainsi leur Maître, seul, comme il le souhaitait. Ils furent même soulagés de se trouver loin de lui, étant donné l’état de colère avancé dans lequel il se trouvait ; ils l’avaient fréquenté pendant suffisamment d’années pour savoir qu’il ne valait mieux pas se trouver dans les parages quand il était dans cet état là, au risque d’avoir à subir son courroux de la pire des manières qui soit.
Lord Voldemort resta ainsi quelques longues secondes, immobile, au beau milieu du salon, avant de s’assoir dans l’un des fauteuils en cuir noir qui jadis avait appartenu à ses ancêtres. Une ascendance qu’il avait en horreur et qu’il avait toujours reniée, préférant se dire Pur, comme les autres qu’il dirigeait.
« Comme lui. », se mit-il alors à penser.
Il serra ensuite fortement les accoudoirs au point d’en avoir mal à ses mains fraîchement ressuscitées ; et son visage, déjà très pâle, devint aussitôt blafard voire cadavérique. Il n’avait pas voulu le montrer devant ses disciples mais les événements qui s’étaient produits dans ce cimetière l’avait quelque peu ébranlé, malgré lui.
Sur le moment, il n’avait pas compris, trop obnubilé par le combat qu’il avait engagé avec le garçon. Combat qu’il pensait gagné d’avance quand il l’avait vu prendre la fuite derrière ce rocher. Après tout, comment les choses auraient-elles pu être différentes ? Il était le Seigneur des Ténèbres qui avait de nouveau son propre corps et lui, n’était qu’un adolescent. Il aurait dû reprendre sa revanche sur lui, aussi aisément que de formuler un lamentable sort de Première Année. C’était d’ailleurs ce qu’il s’était apprêté à faire dans ce cimetière lorsqu’il avait lancé ce qu’il pensait être l’ultime Sortilège de Mort contre lui.
Mais il s’était alors produit un phénomène étrange qu’il n’avait pas envisagé. Un lien inexpliqué entre leurs deux baguettes qui l’avait empêché d’assouvir sa soif de vengeance. Il y avait eu ce fil doré, et tous ces visages qui étaient revenus le hanter.
Au début, cela ne l’avait pas atteint. Que ce soit l’élève de Poudlard ou ce moldu de jardinier, ils n’étaient à ses yeux que des obstacles qui s’étaient mis en travers de sa route et de ses plans. Des pions qu’il s’était empressé d’éliminer de son échiquier. Mais quand il l’avait vu, elle, son sang avait commencé à se glacer dans ses veines, car il savait parfaitement que si l’écho de cette Sang-de-Bourbe ressurgissait de sa baguette, lui aussi, ne tarderait pas à la rejoindre. Inséparables, même dans la mort, voilà ce que ces deux jeunes combattants avaient toujours été.
Et il ne s’était pas trompé, car quelques secondes après l’arrivée de la femme qui avait supplié cette nuit là, l’écho de l’homme qu’il avait traqué et qui s’était amusé à l’humilier par le passé, avait fini par surgir à son tour.
Il était le même que dans ses souvenirs : grand, mince, le visage quelque peu émacié, et ses grandes lunettes rondes reposant sur son nez. Et le revoir l’avait secoué - même s’il avait tout fait pour le cacher - car cet homme n’était pas n’importe qui à ses yeux.
C’était celui qui l’avait conduit malgré lui à sa déchéance. Ce Traitre à son Sang au talent bien prononcé pour la Métamorphose qu’il avait tenté de rallier à ses rangs, en vain ; ce malotru avait osé refuser sa proposition. Il était ce Sang Pur qui s’était uni à cette ignoble vermine. Ce sorcier qui s’était hasardé à le défier par trois fois et qui s’en était sorti. Cet homme qui avait engendré un fils. Mais pas n’importe lequel, non.
L’enfant de la Prophétie. Harry Potter, le Survivant. Un misérable bébé qui l’avait presque mené à sa perte en cette nuit du 31 Octobre 1981. Ce stupide garçon qui, treize ans après, venait encore de lui échapper, sous le regard de ses disciples et ce, par sa faute, il en était persuadé.
Car Lord Voldemort était fin observateur, et il l’avait bien vu, s’avancer vers ce fils qui était son portrait craché. Il l’avait vu lui murmurer des mots afin que lui seul puisse entendre. Et à présent, le Seigneur de Ténèbres s’en voulait d’avoir été une fois de plus berné par cet homme qui a une époque figurait sur la liste de ses plus coriaces ennemis. Cet homme qui ne manquait pas de répartie et qui, à plusieurs reprises, n’avait pas hésité à l’humilier publiquement devant ses disciples… Et une fois de plus, il s’était amusé à le faire, une heure plus tôt, dans ce cimetière.
Il l’avait retenu, aveuglé avec les autres, afin que son stupide marmot puisse prendre la fuite. Il l’avait rendu incapable de s’occuper comme il se doit d’un adolescent à peine âgé de quatorze ans. C’était son plan, Lord Voldemort le savait. Même dans la mort, James Potter avait réussi à le faire apparaître faible aux yeux de ses fidèles Mangemorts.
Il l’avait fait échouer et cela l’avait rendu furieux. Une rage qu’il n’avait plus ressenti depuis des années, et dont lui seul semblait en détenir le secret. Même Dumbledore, le seul sorcier qu’il n’avait jamais réellement craint, n’était jamais parvenu à lui insuffler cette colère qui le dévorait de l’intérieur quand il se frottait à James Potter. Et en particulier, il y avait eu cette fois, en périphérie de Londres : la troisième où ce Traitre à son Sang avait osé s’opposer ouvertement à lui.
Il s’en souvenait encore comme si c’était hier de cette fin d’après midi du mois Décembre. Il se rappelait de ce jour où il avait mené, avec ses plus fidèles serviteurs, une attaque ciblée contre une famille de traîtres. Attaque qui, une fois de plus, avait été interceptée par certains membres de l’Ordre du Phénix.
La bataille avait été difficile pour les deux camps et nul n’aurait su réellement dire lequel des deux avait eu l’avantage sur l’autre. Mais il était arrivé ce moment où il avait tenté de s’en prendre à la Sang-de-Bourbe et où ce crétin facétieux s’était interposé, comme à son habitude lorsqu’il s’agissait d’elle.
Il l’avait défié et l’avait combattu avec ce sourire malicieux et moqueur au coin des lèvres : l’un de ceux qui avait le don de le mettre hors de lui. Comment ce Traître à son Sang avait-il osé s’amuser de Lord Voldemort ? Surtout que lui et sa vermine d’épouse étaient sortis indemnes de leur affrontement… Un énième pied de nez que cet imbécile avait osé lui adresser à lui : le Seigneur des Ténèbres.
Pourtant, il aurait dû se rappeler du dicton populaire qui disait : « jamais deux sans trois » ; et il aurait dû se douter qu’une fois de plus, James Potter lui échapperait. Sur le moment, il avait été frustré voire agacé de ne pas pouvoir en finir une bonne fois pour toute avec lui ; et ce sentiment qui l’avait brûlé de l’intérieur s’était intensifié lorsque ses espions lui avaient rapporté la naissance d’un enfant Potter, né le dernier jour de Juillet. Une nouvelle qui n’était pas sans lui rappeler une certaine prophétie que l’un de ses plus fidèles serviteurs lui avait soufflé au sujet d’un enfant ayant le pouvoir de le vaincre, lui : le plus terrifiant Mage Noir que ce siècle n’ait jamais connu.
« Il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié ».**
Voilà ce que la Prophétie avait annoncé et Lord Voldemort n’avait alors plus eu le moindre doute quant à l’identité de l’enfant. Il ne pouvait que s’agir de lui : le fils Potter. L’unique descendant de l’homme qui prenait un malin plaisir à l’humilier depuis ces deux dernières années. Il ne pouvait en être autrement. Il en était persuadé, surtout que, comme lui, le fils Potter était un Sang Mêlé : un autre signe qu’il n’avait pu ignorer.
Alors, il s’était mis à les traquer et avait souhaité mettre à tout prix la main sur eux. Il avait voulu en finir une bonne fois pour toute avec ces jeunes résistants. Après tout, le dicton disait peut-être « jamais deux sans trois » mais il avait espéré que celui annonçant que « la quatrième serait la bonne » se produirait également.
Et son souhait s’était réalisé lors de cette nuit d’Halloween. Celle où il avait eu vent de l’emplacement de leur cachette et qu’il s’était rendu sans plus attendre à leur domicile dans le village semi-sorcier de Godrick’s Hollow.
Là aussi, il se souvenait encore de cette nuit comme si c’était hier, et il revoyait très clairement l’expression du visage de son ennemi lorsqu’il l’avait surpris, sans crier gare, dans le hall d’entrée, dépourvu de sa baguette.
« Sombre crétin qui a accordé sa confiance à la mauvaise personne et qui s'est cru suffisament en sécurité pour ne pas penser à sa seule arme... S’en est même trop facile », avait-il pensé sur le moment.
Mais pour une fois, c’était bien lui, Lord Voldemort, qui avait eu l’avantage et qui s’était mis à sourire de la manière la plus sournoise et malsaine qui soit. James Potter quant lui, avait été sérieux et son regard avait renvoyé une certaine crainte. Pas pour sa vie, non. Mais pour les deux personnes qui s’étaient retrouvées à l’étage et qu’il avait tenté de protéger uniquement de son corps, sans baguette.
« Sombre idéaliste… »
S’il avait pensé que cela suffirait…. Il était venu pour l’enfant et rien ne pourrait l’arrêter, pas même un ennemi désarmé. Surtout lorsqu’il s’agissait de cet ennemi en particulier…
James Potter avait été à sa merci, sans défense et il s’était dit qu’il pouvait bien s’accorder quelques minutes supplémentaires pour prendre enfin sa revanche sur lui.
Alors, il avait tendu bien droit sa baguette devant lui et avait formulé les deux petits mots funestes qu’il avait toujours rêvé de prononcer à son encontre. De courtes paroles qui lui avaient pris instantanément la vie. Et tel un pantin à qui l’on avait coupé les fils, son corps était tombé lourdement sur le sol tandis que son regard autrefois pétillant et rieur lui était apparu vide ; son visage quant à lui, s’était retrouvé dépourvu du moindre sourire.
Par le passé, James Potter s’était bien amusé, James Potter l’avait souvent défié. Mais comme les autres résistants, il avait fini par trépasser ; et c’était bien lui, le Seigneur des Ténèbres qui l’avait tué.
« Enfin », avait-il alors pensé, avant de se mettre à ricaner de manière tout à fait nerveuse.
Sa revanche sur lui, il l’avait eu, bien qu’un peu trop rapide à son goût. Mais lorsqu’il avait posé son regard sur ce corps sans vie qui gisait à ses pieds, il s’était délecté du spectacle.
« Il n’a eu que ce qu’il méritait ».
Voilà ce qu’il avait immédiatement pensé avec un large sourire satisfait au coin des lèvres. Et le seul regret qu’il avait eu, demeurait dans le fait qu’aucun de ses disciples n’avaient été présents pour assister à sa victoire tant attendue depuis des années. Mais il s’était dit que de toute manière, le lendemain matin, tout le monde saurait.
James Potter n’était plus et il avait pensé que sa descendance, sa plus grande menace, serait également très vite éradiquée du monde des sorciers. Mais Voldemort avait une fois de plus sous estimé les Potter et leur capacité à se jouer de lui… Il n’avait pas imaginé que la Sang-de-Bourbe se sacrifierait et encore moins que le sortilège lancé sur le bébé se retournerait contre lui. Ce maudit bébé qui avait si bien grandi et qui venait de lui échapper dans ce cimetière, pour la seconde fois depuis cette nuit d’Halloween.
A cette pensée, le râle puissant d’une personne irritée retentit alors dans le salon du Manoir des « Jeux du Sort ». Plusieurs minutes s’étaient écoulées depuis que ses disciples l’avaient laissé seul, en proie à d’agaçants souvenirs.
— « Tel père, tel fils », se mit alors à cracher, tel du venin.
Toujours assis dans son fauteuil, les accoudoirs presque arrachés de les avoir trop serré, Lord Voldemort fulminait comme jamais.
Le Survivant lui avait encore glissé entre les doigts, et il y avait cette voix irritante qui n’avait de cesse de lui martelait l’esprit avec une rengaine insupportable depuis qu’il l’avait revu, lui, dans ce cimetière et que le garçon avait fui.
« Jamais deux sans trois, Voldy. Jamais deux sans trois. La prochaine fois, tu ne l'auras pas, tout comme moi ! »
C’était la voix de James Potter qui osait encore se moquer de lui. Alors, Lord Voldemort tenta de le chasser des portes de son esprit ou du moins, il essaya de ne plus l’écouter, préférant planifier ses prochaines actions qui le ramèneraient au sommet de sa gloire et de sa puissance.
De sa main, il avait ôté la vie aux deux premiers Potter et il en serait de même pour le troisième et dernier.
— « Jamais deux sans trois, oui. Mais sans trois Potter !», dit-il alors à la voix dans sa tête comme pour la narguer.
Et ce soir là, Lord Voldemort se fit la promesse que l'histoire ne se répéterait pas. Pas avec le fils.
La troisième fois qu’il le croiserait, Harry Potter tomberait !
** Dialogues extraits du Tome 5, de la première Prophétie de Trelawney pour être précise.