Décidément, c’était la seconde fois en quelques minutes que le chat tigré, à l’allure aussi raide qu’un piquet, aperçut la grosse tête frisée et moustachue du moldu qui vivait dans cette maison. Celle du 4, privet drive, à Little Whinging.
À croire que ce stupide moldu l’avait observée toute la soirée… pourtant, le chat ne bougea pas. Non. Pas un seul mouvement, pas l’ombre d’une esquisse ne semblait venir troubler ses gros yeux verts, ses moustaches incroyablement longues, et son pelage soyeux aux fines rayures noires. C’était comme si ce chat détenait la capacité de se statufier.
Assis depuis les premières heures de la matinée, sur le mur en briques face à cette petite maison anglaise, le félin n’avait pas cillé. Ni quand Mrs Dursley avait sorti les bouteilles de lait vides, ni quand son mari prit la voiture pour se rendre sur son lieu de travail, et encore moins quand celui-ci fût de retour le soir, ou que les enfants du quartier s’étaient amusé à lâcher leurs cavaliers king charles sur lui. Non. Le chat tigré attendait, inlassablement. Comme s’il tentait de percer le mystère de cette maison, ou de ses habitants, aussi horribles soient-ils.
Les heures continuèrent de défiler et l’ensemble du quartier semblait dormir profondément. Dans un noir quasi complet, et dans un silence des plus absolus. Le bruit d’un claquement de porte de voiture et les battements d’ailes de deux hiboux ne suffirent pas à faire ciller le chat, toujours immobile, insomniaque à cette nuit qui commençait doucement à s’éterniser.
Soudain, les lumières des lampadaires s’évanouirent une à une dans l’obscurité, et du coin de l’œil, le chat aperçut Albus Dumbledore arriver vers le petit muret en brique, sa longue cape violine balayant doucement le sol. Il prit place à côté du félin, et après de longues minutes, il prit enfin la parole.
- C’est amusant de vous voir ici, professeur McGonagall, dit-il, doucement.
Le chat tigré se redressa légèrement et la seconde d’après, c’était une grande femme d’une soixantaine d’années qui se tenait face à Dumbledore, les yeux cernés, les traits agacés, mais le chignon toujours impeccablement serré sur le sommet de son crâne. Seules ses lunettes carrées semblaient être bancales sur son petit nez, ce qu’elle s’empressa d’arranger, d’un geste irrité.
- Comment avez-vous su que c’était moi ? demanda-t-elle, passablement agacé.
- Mon cher professeur, je n’ai jamais vu un chat se tenir d’une manière aussi raide.
Elle haussa les épaules avant de lisser sa longue cape émeraude, qui cachait une partie de sa robe grise en velours.
N’importe quelle personne aurait l’air aussi raide qu’elle, si elle était restée assise toute une journée sur un mur en briques aussi froid que la calotte glaciaire. Chose que Minerva McGonagall s’empressa de faire remarquer au directeur de Poudlard.
Ce n’était pas une attitude qui lui convenait dans l’absolu, mais au vue de la situation, elle n’aurait pu agir différemment… car après tout, Voldemort ne venait-il pas, selon certaines rumeurs, de rejoindre le monde des morts ?
- Toute la journée ? s’étonna Dumbledore. Alors que vous auriez pu célébrer l’évènement avec les autres ? En venant ici, j’ai dû voir une bonne douzaine…
Mais sa voix se perdit dans les méandres de la nuit, sans même frôler les oreilles du professeur de métamorphose. Célébrer l’évènement avec les autres… Comment était-ce possible? Comment pouvait-elle s’y prendre alors qu’elle n’était même pas certaine de la raison de toute cette fête… Elle avait entendu quelques rumeurs, à droite, à gauche, mais toujours de manière incomplète, incorrecte. Et Minerva était une femme très cartésienne, très scientifique. Elle ne se basait que sur des faits, des choses et des évènements qu’elle pouvait quantifier, analyser, mesurer. Or à présent, tout lui semblait brouillon, trop flou, avec des nuances trop estompées pour en discerner un réel contour. Elle était perturbée… et plus exactement, elle avait peur. Peur d’entendre ce qui s’était réellement passer la veille. Les raisons exactes de toutes ces festivités.
Elle renifla, amèrement, ne souhaitant pas encore aborder le vrai sujet. Sa réelle inquiétude.
- Oui, oui, je sais, répondit-elle, agacée, en balayant l’air de sa main comme pour bloquer les paroles de Dumbledore dans les aires. Tout le monde fait la fête…
Sauf moi…, pensa-t-elle, avec agacement, la petite pointe au coeur qui ne cessait de transpercer sa poitrine à chacune de ses respirations depuis la veille, le 31 octobre 1981.
- On aurait pu penser qu’ils seraient plus prudents, mais non, reprit-elle, énervée. Pas du tout! Même les Moldus ont remarqué qu’il se passait quelque chose. Ils en ont parlé aux nouvelles.
Minerva montra du menton la maison des Dursley avant de continuer sur sa lancée. Elle parla des hiboux qui ne cessaient de virevolter au-dessus de Londres, des courriers entre les pattes, alors que le jour régnait en maître absolue sur l’Angleterre; des pluies d’étoiles filantes qui illuminait le crépuscule, accusant Dedalus Diggle d’en être le seul responsable. Elle en profita pour souligner encore une ou deux autres choses qui l’avaient surprise, voire même énervée. Enervée de savoir que ces confrères sorciers ne prenaient même pas la peine de se protéger de la vue des moldus.
Oui, le professeur de métamorphose fulminait… Elle fulminait de rage de voir tous ces sorciers se réjouirent sans prendre le temps de se poser les bonnes questions. La bonne question. Celle qui était à l’origine de ces festivités.
De toute manière, Minerva, ne voulait pas y participer. Et cela même si elle avait été au courant de l’histoire… bien qu'en son for intérieur, elle savait. Elle savait que les Potter étaient morts la nuit dernière. Que James Potter était mort la nuit dernière. Sinon, pourquoi ressentirait-elle cette pointe dans la poitrine à chaque mouvement de sa cage thoracique ? Pourquoi cette pointe s’agrandirait-elle de manière féroce et déchirante à chaque fois que le visage rieur de James s’imposait à elle? Ou que celui, plus doux, de Lily passait devant ses yeux ?
Parfois, la science ne pouvait pas tout expliquer. Alors Minerva préféra ne pas y penser. Allant même jusqu’à ignorer cette part de vérité, cette histoire qui allait devenir légende… sans que personne ne puisse la contrôler.
- On ne peut pas leur en vouloir, précisa Dumbledore. Nous n’avons pas eu grand-chose à célébrer depuis onze ans.
- Je sais, répliqua McGonagall, la voix sévère. Mais ce n’est pas une raison pour perdre la tête…
Elle continua de s’éparpiller sur les évènements de la journée, et sur le comportement inacceptable de ses concitoyens. Plus elle s’évertuait à faire réagir Dumbledore, et moins ce dernier ne réagissait. Mais Minerva n’en prit guère note. Habituée à son caractère doux et introverti, à cette noblesse qui se dégageait de son aura magique, elle savait que s’il ne lui répondait pas, c’était qu’il n’y avait rien à répondre. Tout simplement.
C’était sa façon, à elle, d’extérioriser tout ce qu’elle ressentait. Toute cette peine, non diluée, qui commençait sérieusement à la noyer de l’intérieur. N’arrivant toujours pas à ce faire à l’idée que… James et Lily étaient morts. Que James Potter était mort… elle, qui l’avait vu grandir. Sa perte était inconcevable. Ce n’était pas possible. Minerva se refusait de croire à de telles rumeurs !
Pourtant, dès qu’elle avait ouïe dire que les Potter étaient morts au détour d’une ruelle, sur le chemin de traverse alors qu’elle sortait d’une boutique de confection de chapeaux de soirées, elle avait stoppé nette cette information. Au point de l’ignorer et de continuer son chemin, la tête haute. C’était comme si l’information avait coulé sur elle, sans la mouiller. Comme si elle avait été d’une imperméabilité redoutable face à cet aveu, écartant l’émotion de la tristesse de savoir son petit protégé mort, ainsi que celle plus violente de l’euphorie de se dire que oui, peut-être la guerre venait-elle de prendre fin…
Malgré tout cela, Minerva s’était tout de même précipité ici, au 4 privet drive, espionnant alors les derniers membres de la famille Potter-Evans, représenté en la personne de Pétunia Dursley, la soeur ainée de Lily. C’était Hagrid qui lui avait dit que Dumbledore serait là, lui aussi. Et Minerva voulait absolument comprendre pourquoi… Comprendre ce que Pétunia Evans-Dursley venait faire dans ce tragique évènement.
La directrice de Gryffondor frissonna de nouveau. Elle aurait tout donné pour qu’Euphemia Potter, sa chère et tendre amie, soit toujours de ce monde pour être le dernier lien qui restait avec le fils de James, le tout petit Harry. Mais non… elle n’était plus de ce monde depuis un moment déjà, et finalement c’était sûrement mieux ainsi. Aucun parent ne devrait survivre à ses enfants !
- Nous ne serions dans de beaux draps si le jour où Vous-Savez-Qui semble enfin avoir disparu, les Moldus s’apercevaient de notre existence. J’imagine qu’il a vraiment disparu, n’est-ce pas, Dumbledore ? reprit-elle en secouant la tête, agacée.
- Il semble qu’il en soit ainsi, en effet, confia Dumbledore. Et nous avons tout lieu de nous en féliciter. Que diriez-vous d’un esquimau au citron ?
- Un quoi ? s’étonna Minerva.
- Un esquimau au citron. C’est une friandise que fabriquent les moldues et je dois dire que c’est plutôt bon.
- Pas pour moi, réplique Minerva, froidement.
Elle secoua de nouveau la tête, et tira sa cape sur ses épaules pour se protéger du vent qui venait de se lever. Comment Dumbledore pouvait-il penser à ce genre de divertissement? Alors que les évènements de la veille continuaient de se profiler à l’horizon. De se profiler sans la présence de James Potter dans le paysage…
- Je vous disais donc que même si Vous-Savez-Qui est vraiment parti…, reprit-elle, méfiante, avant de se faire interrompre par le vieux sorcier.
Ce dernier expliqua à McGonagall l’importance d’appeler les choses, les personnes, par leur vrai nom, mais elle ne semblait pas d’humeur à l’écouter de manière attentive. Elle grimaça à la fin de son petit discours, et ne releva que certaines choses. Son esprit était ailleurs, loin de Little Whinging, très loin… En fait, son corps était ici mais son esprit était là-bas à Godric’s Hollow, là où le drame avait eu lieu.
Lorsqu’elle avait quitté Hagrid dans sa petite cabane, à Poudlard, deux possibilités s’étaient offert à elle. Venir au 4, privet drive, comme pour s’assurer que les Dursley étaient bien là, essayant de percer les mystères de la démarche de Dumbledore ; ou se précipiter à Godric’s Hollow pour s’assurer de ses propres yeux ce que tout le monde semblait chuchoter, de plus en plus fort, dans tout le Royaume-Uni. Mais elle n’osa pas aller jusque là-bas. Finalement, qu’aurait-elle eu à gagner? Une tristesse dévastatrice tel un feudeymon qui l’aurait saisit aux tripes enflammant alors la moindre particule de son corps?
Et puis, regarder la mort en face, était au-dessus de ses forces… Découvrir les corps sans vie de James et Lily Potter était au-dessus de ses forces. Elle avait vu ces deux enfants grandir à Poudlard, et évoluer pour devenir les jeunes parents qu’ils étaient. Alors les voir étendues à même le sol comme deux coquilles vides, lui était inconcevable.
Peu à peu, Minerva revint à elle et se raccrocha aux phrases que Dumbledore semblait lui adresser.
- C’est simplement parce que vous avez trop de… disons de noblesse pour en faire usage, reprit-elle en soulignant sa puissance par rapport à celle qu’avait pu détenir Lord Voldemort.
- Heureusement qu’il fait nuit. Je n’ai jamais autant rougi depuis le jour où Madame Pomfresh m’a dit qu’elle trouvait mes nouveaux cache-oreille ravissants.
Le professeur de métamorphosa adressa un regard perçant à Dumbledore avant de détourner la tête. Il n’y avait que lui pour avoir cette capacité de se détacher de ce genre de situation. Et Minerva, encore une fois, ne pouvait lui en vouloir puisqu’elle était exactement comme ça. Mais ça, c’était avant, dans une autre vie lui paraissait-il. A présent, elle n’arrivait plus à penser à autre chose qu’aux yeux chocolat pétillants et rieurs de James Potter, qui ne s’animeraient plus jamais… A la douce voix de Lily qui ne résonnerait plus jamais dans les airs…
Elle avait réussi à contenir toutes ses questions, toute cette peine et cette amertume au fin fond de ces entrailles depuis le début de la journée, mais là, elle n’y arrivait plus. Cela devenait oppressant, comprimant alors sa cage thoracique d’une manière si forte que sa respiration en devenait sifflante.
Alors elle osa. Elle osa enfin demander à Albus Dumbledore si tout ceci était bien réel. Si Voldemort était mort. Qu’avait-il bien pu se passer cette nuit-là à Godric’s Hollow?
Minerva sentit sa voix se faner dans l’obscurité. Elle ne pouvait pas aller au bout de sa question… pourtant il le fallait, elle chérissait encore l’espoir que James et Lily, avec leur fils, avaient réussi à s’en sortir. Peut-être…
Elle n’allait pas se contenter de ce que « tout le monde » disait autour d’elle. Non. Elle voulait des preuves, elle voulait que Dumbledore confirme ou infirme cette rumeur.
- Ce qu’ils disent…, reprit le directeur de Poudlard en prenant un second esquimau de sa poche. C’est que Voldemort est venu hier soir à Godric’s Hollow pour y chercher les Potter.
Minerva retint son souffle. Elle était en apnée face à cet aveu encore incomplet.
- D’après la rumeur, Lily et James Potter sont… enfin, on dit qu’ils sont… mort…, termina Albus, le regard triste.
Mort… Ils étaient morts. C’est la seule chose que la directrice de Gryffondor retenu des deux phrases de Dumbledore.
Mort… c’était officiel. Elle pouvait enfin commencer son deuil. Une longue période de recueil dans lequel il lui faudrait avancer, seule, au milieu de tous, alors que son petit protégé n’était plus de ce monde. Le fils de sa meilleure amie. Comment avait-elle pu laisser cette situation arriver ?
Mort… c’était ce qu’elle avait l’impression d’être aussi. Ou tout du moins une partie de son âme, qui venait de s’élever dans le ciel.
Elle ne pourrait jamais oublier cette douleur qui la déchirait de l’intérieur, elle allait devoir vivre avec. L’annonce officielle de leur mort était en train de la bouleverser. Retournant alors ses plus grandes convictions sur la justice et la droiture. Qu’y avait-il d’honnête dans tout ça? Ou était la justice face à un tel acte? Deux gamins de vingt-et-un ans, morts, assassinés, laissant derrière eux leur bébé… En quoi cela était juste ?
Le professeur McGonagall ouvrit la bouche pour respirer, mais rien. Elle n’y arrivait pas. C’était comme si ses poumons venaient de se rétracter, réalisant enfin ce qu’elle s’évertuait à ignorer depuis plus de douze heures.
- Lily et James…, commença-t-elle, tremblante. Je n’arrive pas à y croire… Je ne voulais pas l’admettre… Oh, Albus…
Minerva détourna la tête, les larmes aux yeux et sentit la main de Dumbledore venir lui tapoter maladroitement l’épaule. Elle renifla et ses pensées voguèrent jusqu’à Poudlard, repensant alors à toutes ces années à Poudlard où James Potter avait grandi. Aux bêtises qu’il avait fait, aux tournoi de Quidditch qu’il avait remporté, aux heures de colles qu’il avait écopé, et surtout, Minerva repensa à toutes ces fois où il s’était fait jeter comme un malpropre par Lily Evans, avant de la faire tomber sous son charme.
Le professeur McGonagall sourit tristement. Ils lui manquaient déjà… Et Harry dans tout ça? Que lui dirait-on au sujet de ces parents? Il y avait tellement de chose à dire sur eux… Sur ce couple extraordinaire, aux imperfections si immenses que cela les rendait parfait en tout point.
- Je sais… Je sais, consola Dumbledore.
- Et ce n’est pas tout, reprit Minerva. On dit qu’il a essayé de tuer Harry, le fils des Potter. Mais il en a été incapable. Il n’a pas réussi à supprimer ce bambin. Personne ne sait pourquoi, ni comment, mais tout le monde raconte que lorsqu’il a essayé de tuer Harry Potter sans y parvenir, le pouvoir de Voldemort s’est brisé, pour ainsi dire - et c’est pour ça qu’il a… disparu.
Elle vit Dumbledore hocher la tête, approuvant alors ce que les rumeurs proclamaient. Mais Minerva ne comptait pas en rester là.
- C’est… C’est vrai ? s’égosilla-t-elle. Après tout ce qu’il a fait… tous les gens qu’il a tués… il n’a pas réussi à tuer un petit garçon ? C’est stupéfiant… rien d’autre n’avait pu l’arrêter… mais, au nom du ciel, comment se fait-il que Harry ait pu survivre?
- On ne peut faire que des suppositions, avoua tristement Dumbledore. On ne saura peut-être jamais.
A présent les larmes de Minerva ruisselaient sur son visage sévère, et elle s’essuya les yeux avec un mouchoir en dentelle qu’elle venait de sortir de sa poche. Elle se tamponna les joues avant de renifler. Elle qui d’habitude, avait des nerfs d’acier, n’arrivait plus à faire face tant l’émotion l’assaillait de toute part. James mort… Lily morte… Harry vivant mais orphelin… Les festivités… Voldemort disparu… Non, c’était trop pour elle. Elle aurait voulu que ses pleurs cessent mais elle n’arrivait pas à les contenir. Et puis cette douleur dans la poitrine était encore bien présente, la rappelant violemment à l’ordre dès que son esprit voguait jusqu’à Godric’s Hollow là où les corps sans vie de James et Lily devaient reposer, à même le sol, dans les débris macabres de leur maison.
- Hagrid est en retard. Au fait, j’imagine que c’est lui qui vous a dit que je serais ici ?
- Oui, admit-t-elle, vaguement. Et je suppose que vous n’avez pas l’intention de me dire pour quelle raison vous êtes venu dans cet endroit précis ?
- Je suis venu confier Harry à sa tante et son oncle. C’est la seule famille qu’il lui reste désormais.
- Vous voulez dire…, commença-t-elle avant de s’arrêter, le cœur battant la chamade.
Je suis venu confier Harry à sa tante et son oncle… Cette phrase résonnait comme le glas, bien avant l’heure, aux oreilles de McGonagall. Cette fois, ç’en était trop pour elle. James et Lily Potter assassinés par Voldemort, et maintenant leur fils, unique hériter de la famille Potter, allait devoir venir vivre ici… avec ces grossiers personnages. Ce n’était pas possible. Et devant la pression qui la ravageait, Minerva se mit à rire de manière grotesque. Un rire amer que peu de personnes avait eu le droit d’entendre.
- Non, ce n’est pas possible ! s’exclama-t-elle en se levant d’un bond. Pas les gens qui habitent dans cette maison !
Elle pointait son doigt en direction du numéro 4, là où les Dursley dormaient paisiblement sans savoir ce qui se tramait juste en face de chez eux…
- Dumbledore… vous ne pouvez pas faire une chose pareille! Je les ai observés toute la journée. On ne peut pas imaginer des gens plus différent de nous. En plus, ils ont un fils… je l’ai vu donner des coups de pied à sa mère tout au long de la rue en hurlant pour réclamer des bonbons. Harry Potter, venir vivre ici !
Quel gâchis, pensa-t-elle en tournant en rond devant Dumbledore, le visage fermé par la douleur, et les bras croisés.
Le fils de James Potter venir vivre ici… dans cette bicoque avec ces gens horribles, mal élevé et imbus d’eux-mêmes. Minerva secoua la tête, se demandant comment Lily Evans avait fait pour avoir une sœur aux antipodes de sa douceur, de sa générosité et de son charisme. C’était à ni rien comprendre.
Et Euphemia et Fleamont, les parents de James, qui devaient se retourner dans leurs tombes de savoir leur petit-fils venir habiter ici… non ce n’était pas possible, le professeur de métamorphose se refusa, de manière très catégorique, à laisser cet enfant ici. Grandir seul, sans amour, et sans rien connaître du monde des sorciers. De leur monde. De son monde. Elle s’étrangla de nouveau avec un rire amer avant de réaliser que malheureusement, elle n’était rien ni personne pour tenir ce genre de propos. Ce n’était pas parce qu’elle avait étudié avec Euphemia, et vu naître James Potter, qu’elle avait un droit irrémédiable sur son fils. Non… ce n’était absolument pas le cas.
- C’est le meilleur endroit pour lui, répliqua Dumbledore. Son oncle et sa tante lui expliqueront tout quand il sera plus grand. Je leur ai écrit une lettre.
Une lettre ? Une lettre… Minerva avait du mal à réaliser le sens caché de l’action de Dumbledore. Comme si cela était possible de tout expliquer dans une lettre !
- Des gens pareils sont incapables de comprendre ce garçon, précisa-t-elle de nouveau, sentant la fureur monter dans sa voix. Il va devenir célèbre - une véritable légende vivante-, je ne serais pas étonnée que la date d’aujourd’hui devienne dans l’avenir la fête de Harry Potter. On écrira des livres sur lui. Tous les enfants de notre monde connaîtront son nom.
- C’est vrai, déclara Dumbeldore, le regard sérieux. Il y aurait de quoi tourner la tête de n’importe quel enfant. Etre célèbre avant même d’avoir appris à marcher et à parler! Célèbre pour quelque chose dont il ne sera même pas capable de se souvenir! Ne comprenez-vous pas qu’il vaut beaucoup mieux pour lui qu’il grandisse à l’écart de tout cela jusqu’à ce qu’il soit prêt à l’assumer ?
McGonagall se sentit perdu dans toutes ses explications. Oui, elle savait que Dumbledore avait raison. Mais elle savait aussi que Harry Potter ne trouverait jamais sa place ici. Après tout, il ne faisait pas partie de ce monde… et elle était convaincue que James Potter aurait préféré mourir une seconde fois que de savoir son fils envoyé chez son affreuse belle-soeur. Tout ce qu’elle avait entendu à son sujet lui faisait froid dans le dos. Et la pauvre Lily… devoir supporter ça, obligée de regarder toute cette mascarade de là où elle était. N’y avait-il pas pire sur terre, que de voir son fils élever par une autre femme que soi-même? Probablement pas… Mais le professeur McGonagall n’avait pas d’enfants. Il y avait encore certains détails qui lui échappaient.
- Oui… oui, bien sûr, vous avez raison, avoua-t-elle au bout d’un long moment de réflexion. Mais comment cet enfant va-t-il arriver jusqu’ici, Dumbledore ?
- C’est Hagrid qui doit l’amener.
- Et vous croyez qu’il est… sage de confier une tâche aussi importante à Hagrid ? demanda Minerva, inquiète.
- Je confierais ma propre vie à Hagrid.
- Je ne dis pas qu’il manque de cœur, mais reconnaissez qu’il est passablement négligent. Il a tendance à…
Mais les derniers mots de Minerva restèrent coincés dans sa gorge lorsqu’un grondement profond et intense déchira le ciel comme un éclair, avant de laisser apparaître devant eux une énorme moto volante, avec Hagrid cramponné dessus.
- Par Merlin, murmura McGonagall en posant sa main sur son cœur.
Elle n’arrivait pas à croire que Hagrid puisse se déplacer de cette manière avec le petit Harry Potter sur les bras !
Les deux hommes s’échangèrent quelques phrases, mais Minerva ne s’en préoccupait pas. Son regard, et toutes ses pensées, étaient rivés sur le tas de couvertures marrons et rose qui se trouvait coincé entre les bras musclés et disproportionnés de Hagrid. Ce pauvre enfant allait mourir étouffer, elle en était certaine !
- … La maison était presque entièrement détruite mais je me suis débrouillé pour le sortir de là avant que les Moldus commencent à rappliquer…
La voix du garde-chasse de Poudlard perça les pensées du professeur McGonagall, et cette dernière ferma les yeux, fortement. La maison était presque entièrement détruite… dans quel était devait-elle être exactement? Si on écartait l’éternel optimisme de Hagrid.
Peut-être même que les corps de James et Lily n’avaient pas été retrouvés… Peut-être qu’ils s’étaient émiettés sous l’Avada Kedavra? Ou peut-être étaient-ils si défigurés, qu’il valait mieux que les ruines de la maison ne les dissimule aux yeux de tous? Tant de questions finir par meurtrier le coeur de Minerva… et pour la première fois de sa vie, elle n’avait pas de réponse à ses interrogations.
Hagrid tendit les tas de couverture face à eux, et elle se pencha au-dessus de ses bras, là où le petit Harry Potter dormait paisiblement. C’était la troisième fois qu’elle voyait ce bambin… et pourtant quelque chose dans son attitude la troubla sévèrement. Sûrement en raison de sa ressemblance frappante avec son père. Les mêmes cheveux noirs, bouclés, en bataille. Un nez fin et droit. Des sourcils bien dessinées qui semblaient se mouvoir à chaque nouvelle inspiration. Il avait aussi cette peau de bébé, toute douce, comme de la pêche. Et puis, ce qui la frappa surtout c’était l’odeur… L’odeur de Magnolia qui semblait se dégager du poupon.
Cela devait faire des années qu’elle n’avait pas senti ce parfum si doux, sucré, et légèrement citronné. Enfaite, la dernière fois qu’elle l’avait senti c’était le 18 avril 1960… Et puis tout d’un coup, sans crier garde, son cerveau ressortie ce souvenir, vieux de plus vingt ans. La première fois qu’elle avait vue James Potter…
(…) Minerva venait d’arriver dans le Manoir des Potter, à Godric’s Hollow, avec une énorme peluche sous le bras et une boîte de caramels, les sucreries favorites d’Euphemia Potter, sa plus vielle amie.
Lorsque cette dernière était venue l’accueillir dans le petit salon et l’avait fait monté à l’étage dans la nurserie, la jeune professeure de Métamorphose avait l’impression que son cœur allait exploser tant elle avait hâte de découvrir le petit poupon, ce petit être qui semblait éveiller en son amie, une certaine aura, aussi lumineuse que le soleil lui-même.
Son teint était de nouveau clair, et reposé, et ses grands yeux de biche étaient aussi pétillants qu’avant. Alors, oui, Minerva avait hâte de voir à quoi pouvait ressembler le petit James Potter. Héritier du clan Peverell-Potter. Depuis le temps que tout le monde attendait sa venue, comme le messie… Le chemin en valait bien le détour !
- Entre, lui dit Euphemia, de sa voix douce et chaude, en ouvrant la porte de la nurserie.
Minerva avança à pas feutrés dans la grande pièce circulaire, peintes aux couleurs chaudes de Gryffondor - évidemment, comment pouvait-il en être autrement? - mais dont les rideaux, le sol et le plafond couleur crème cassait un peu l’ambiance flamboyant de la salle, radoucissant alors l’atmosphère.
Elle s’approcha doucement du berceau, le cœur battant la chamade, même si à l’extérieur, elle n’en laissait rien paraître. Après tout, ce n’était pas son bébé. Mais elle savait déjà qu’elle allait l’adorer. En connaissant les parents, il était difficile de ne pas aimer l’enfant.
Une douceur odeur de Magnolia citronné flottait dans la pièce et semblait se dégager des couvertures et des vêtements pour bébé, installé un peu partout dans la nurserie.
Euphemia se pencha délicatement, bras tendues, au-dessus du berceau et attrapa son fils, tout doucement, le ramenant alors contre elle. Calant son bébé entre ses bras, et sa tête sur sa poitrine, elle s’assit sur le fauteuil à bascule près de la cheminée, dans lequel crépitait un tout petit feu et encouragea Minerva à prendre place à ses côtés.
Elle s’installa sur le petit canapé, le dos bien droit, et après avoir déposé les cadeaux sur la table basse, elle se pencha doucement vers le bébé, emmailloté dans un petit pyjama bordeaux, avec des empreintes de lions sous les pieds. Minerva leva les yeux au ciel, ce qui fit sourire Euphemia.
Son amie d’enfance perdait déjà la tête avec son fils… alors qu’il était né depuis trois semaines. Mais en même temps, qui aurait pu la blâmer? Elle, qui avait mis presque vingt ans à avoir un enfant.
- Regarde, mon chéri, commença Euphemia, de sa voix douce. Je te présente Minerva, c’est une de mes excellentes amies…
Et puis, comme par magie, le bébé ouvrit ses yeux et le professeur McGonagall sentit son cœur louper un battement. Il avait des yeux sombres et lumineux, exactement les mêmes que sa mère, mais son petit sourire en coin et son nez fin et droit, étaient ceux de son père. Tout comme ses cheveux soyeux et légèrement bouclés qui retombaient élégamment sur son front et ses petites oreilles.
Il était tout mignon, tout pimpant, et gazouillait déjà en agitant frénétiquement ses petits pieds et ses petites mains dans le vide.
- Prend-le, lui dit Euphemia, souriante, en posant son fils -la prunelle de ses yeux- entre les bras crispées de son amie.
- Oh, je ne pense guère que cela soit une bonne idée, Euphemia, s’inquiéta Minerva, en sentant le petit James Potter taper ses pieds contre son buste comme s’il était déjà prêt à gambader par tout.
Sa peau était vraiment toute douce, et l’odeur du Magnolia citronné semblait se dégager de ses cheveux. C’était tellement doux comme parfum.
- Mais si, voyons, rassura la jeune maman. Tu n’as juste à bien lui tenir la tête, expliqua-t-elle en surélevant le coude de son amie. Voilà, comme ça.
Minerva regarda ce petit bonhomme, âgé de quelques semaines, s’agiter dans tous les sens, et gazouillant à la volée, les doigts entortillés dans les longues mèches châtains de sa mère qu’il n’aurait lâché pour rien au monde. Ses grands yeux sombres croisèrent ceux, plus vert, de Minerva et il eut un temps d’arrêt comme s’il ne comprenait pas pourquoi il était là avec elle, et non avec sa mère, avant de repartir de plus belle, souriant aux éclats, les petits pieds tapant toujours contre le buste de Minerva.
- Ne t’inquiète pas mon chéri, elle fait toute stricte comme ça, mais je t’assure que c’est la personne la plus compréhensive qu’il m’est donné de connaître, sourit Euphemia en caressant document le front de son bébé.
Le professeur de métamorphose leva les yeux au ciel, et s’empêcha de sourire. Oui, il est vrai qu’elle avait su être l’oreille attentive et l’épaule réconfortante dont avait eu besoin Euphemia lorsqu’elles étaient toutes deux plus jeunes. A présent, elle enseignait à Poudlard, et son amie venait enfin de réaliser son voeu le plus chère. Celui d’être une maman…
- Pourquoi ai-je l’impression, Euphemia, que ton fils va me donner du fil à retordre quand il sera à Poudlard ? demanda Minerva, les sourcils froncés. C’est un vrai petit asticot, remarqua-t-elle alors que le bébé tentait de s’échapper de ses bras.
- Non, répondit Euphemia en reprenant son fils dans ses bras.
Elle le berça pendant de longues minutes avant de terminer sa phrase.
- Je suis certaine qu’il sera sage comme une image, murmura-t-elle en embrassant le sommet de sa petite tête brune.
Minerva McGonagall sourit brièvement devant ce tableau touchant, et se senti heureuse pour son amie. Elle se leva pour aller chercher un caramel dans la petite boite afin de lui en proposer un, alors que l’odeur citronné et sucré du Magnolia semblait se répandre un peu plus dans la pièce.
C’était un doux après-midi d’avril… et le professeur de métamorphose savait déjà qu’elle n’allait pas être au bout de ses peines avec James Potter, lorsqu’elle le vit faire des bulles de salives avec sa petite bouche en forme de coeur. (…)
Oui, Harry ressemblait beaucoup à son père… et c’était difficile pour McGonagall de ne pas faire la comparaison. La seule différence étant que sur le front bombé de ce bébé se trouvait une cicatrice en forme d’éclaire, encore rouge de la veille.
- C’est là que ?…, murmura Minerva, la gorge serré.
Oui, acquiesça Dumbledore. Il gardera cette cicatrice à tout jamais.
- Vous ne pourriez pas arranger ça, Dumbledore ? voulut savoir le professeur McGonagall en montrant la cicatrice du doigt.
Elle n’osait pas toucher le bébé. Par crainte de devoir revivre certains souvenirs du passé qu’elle espérait voir enfouit à tout jamais. Comme ce fameux jour où elle avait surpris James et Lily en train de s’embrasser passionnément dans la salle d’étude. C’était leur premier baiser… mais ça, elle ne l’avait su que bien après.
- Même si je le pouvais, je ne le ferais pas. Les cicatrices sont parfois utiles. Moi-même j’en ai une…
Le reste de la phrase se termina dans la nuit sombre sans que Minerva ne s’y intéresse. Elle n’en pouvait plus… elle était épuisée. Epuisée d’avoir passé la journée assise sur un muret, épuisée d’avoir eu la confirmation de la mort des Potter, et surtout, épuisée de devoir se battre pour ne pas montrer ses sentiments. Elle s’était déjà assez dévoilée, et elle n’en supporterait pas d’avantage. Son coeur n’en supporterait pas d’avantage.
Elle détourna la tête du petit Harry qui lui rappelait bien trop son père au même âge. Et des petites larmes vinrent inonder ses yeux et rouler sur ses joues.
Hagrid et Dumbledore continuèrent de discuter entre eux, au sujet d’Harry et de ce qui allait se passer. Et puis Minerva sursauta quand elle entendit les gros sanglots d’Hagrid déchirer le silence absolu de la rue, ce qui l’agaça profondément. Ne pouvait-il pas se retenir comme elle s’évertuait à faire pour elle-même depuis le début ?
- Oui, je sais, c’est très triste, mais ressaisissez-vous, Hagrid, sinon, nous allons nous faire repérer, marmonna McGonagall, aussi délicatement qu’elle put en tapotant le bras d’Hagrid pour le consoler.
Du coin de l’oeil, elle vit Dumbledore déposer le tas de couverture avec Harry dedans, sur le pas de la porte des Dursley et préféra détourner le regard. Elle vivait cela comme une trahison… et même si Dumbledore avait raison sur le calme dont devait bénéficier cet enfant pendant son enfance, elle n’en restait pas moins contre. Minerva était nettement convaincue que James Potter, de là où il était, n’allait pas du tout apprécier de savoir son fils chez ces gens-là. Alors, elle se promit d’arranger la situation dès qu’il serait à Poudlard.
Elle ne doutait pas un seul instant qu’il serait dans sa maison, à Gryffondor, comme ses parents, et ses grands-parents, et à ce moment-là, elle pourrait garder un oeil constant sur lui. C’était son devoir. Et même si cette promesse pouvait paraître ridicule, c’était sûrement la chose la plus importante de toute sa vie…
Elle battit des paupières alors que Dumbledore revenait à eux, et ils observèrent une dernière fois en silence, cet enfant qui dormait paisiblement dans ses couvertures, sa main accroché à la lettre.
- Eh bien voilà, déclara enfin Dumbeldore en se redressant. Il est inutile de rester ici. Autant rejoindre les autres pour faire la fête…
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