30 janvier 1971
Aujourd’hui, Lily a onze ans. Et pour son anniversaire, il neige. Sa sœur dit que c’est dommage, qu’ils ne pourront pas le fêter dehors. Lily, elle, elle ne dit rien. Elle se fiche bien qu’ils ne puissent pas aller jouer dans le jardin. D’ailleurs, si ça ne tenait qu’à elle, ce n’est pas la neige qui l’en empêcherait. Mais c’est comme ça, sa mère a peur qu’elles attrapent froid, et Pétunia préfère attendre que les gros flocons blanc aient finit de tomber comme des paillettes argentées sur le sol. Pétunia a toujours préféré les grandes étendues de neige lisses, calmes, belles dans leur pureté intouchée. Lily, elle, elle aime les gros flocons qui se mêlent et s’entremêlent, qui tombent doucement, les uns dansant autour des autres dans un ballet glacé.
Alors, elle s’assoit sur le rebord de la fenêtre, et elle plonge ses yeux verts au dehors, elle laisse son regard dériver d’une paillettes à l’autre, observe avec enchantement leur chorégraphie ordonnée.
Sa mère l’appelle. Le repas est prêt. Dehors, le ciel un peu gris commence à se teinter de rouge. C’est beau, le rouge, ça lui rappelle la passion, l’amour.
Elle inspire un grand coup. Ça sent les bougies et le gâteau au chocolat. Elle adore le chocolat.
Alors elle quitte son perchoir, se laisse tomber à terre, et s’assoit aux côtés de sa sœur. Pétunia et elle échangent un regard complice.
Ce soir, Lily a onze ans. Elle a l’impression d’entrer dans le monde des grands.
30 janvier 1972
Aujourd’hui, Lily a douze ans. C’est le premier anniversaire qu’elle fête sans ses parents. Il ne neige pas, cette année.
Heureusement, pense-t-elle, sinon sa chouette n’aurait peut-être pas pu lui apporter la lettre de ses parents à temps.
Mais si, elle arrive au petit déjeuner, les ailes déployées, majestueuse. Elle est mouillée, quand même, un peu, et l’enveloppe est gondolée. Peu importe. Lily donne des friandises à sa chouette et ouvre l’enveloppe, fébrile.
Le mot de ses parents illumine son visage, amène de petites larmes dans ses grands yeux verts. De l’autre côté de la table, ses amies l’observent, compréhensives. Elles sont toutes passées par là.
En bas, en petit, d’une écriture maladroite, Pétunia lui souhaite un joyeux anniversaire. Lily est déçue. Elle espérait… Qu’espérait-elle ? Plus. Quelque chose. Une réconciliation, peut-être, sûrement.
Lily pousse un soupir. De l’autre côté, ses amies la regardent. Elles ont compris. Lily leur sourit. Ce n’est rien, tout va bien.
Elle se lève. Elle a envie de sortir, d’aller courir dans la neige.
Dehors, tout est lisse, tout est propre. Il a dû neiger, cette nuit. Pétunia doit être contente.
Lily secoue la tête. Elle ne doit pas penser à elle. Pas aujourd’hui. Pourtant, c’est le jour où sa sœur lui manque le plus. Elle, leurs jeux, leurs regards complices, leurs secrets.
Une boule de neige glacée s’écrase dans son cou, Lily cri.
Elle se retourne, à la recherche de la coupable. D’un coup d’œil, elle la repère, pliée de rire un peu plus loin. Lily se penche et rassemble de la neige qui s’accroche à ses moufles. Elle se met à courir, poursuivant en glissant son amie qui essaye vainement de lui échapper.
Ce matin, Lily à douze ans. Elle n’a jamais autant aimé les batailles de boules de neige.
30 janvier 1973
Aujourd’hui, Lily a treize ans. Treize, c’est un chiffre qu’elle a toujours trouvé effrayant. Treize. Comme s’il avait quelque chose de menaçant. Pourtant, elle est heureuse. La lettre de ses parents est arrivée, le mot trop court de Pétunia l’a blessé, mais peu importe.
Parce qu’aujourd’hui, ses amies l’ont emmenées découvrir un passage secret de Poudlard.
Ce n’est pas un passage secret à proprement parler. Ce n’est qu’une tenture, aux couleurs de Gryffondor, tout prêt de leur Salle Commune, qui cache une ouverture dans le mur. C’est Mary qui l’a trouvée, et c’est Evy qui a eu l’idée de faire leur petite fête, rien qu’elles cinq, cachées dans leur petit repère.
Ce n’est pas un passage secret, mais ça suffit déjà largement à Lily. Ce ne sont que quelques cadeaux mal emballés, des aliments mauvais pour la santé, des jus de citrouille pas assez frais, mais c’est déjà largement assez.
Aujourd’hui, Lily a treize ans. Elles ont leur premier secret de dortoir.
30 janvier 1974
Aujourd’hui, Lily a quatorze ans. Et même si elle commence à s’habituer aux anniversaires dans un magnifique château de contes de fées, ses amies ont encore trouvé un moyen de rendre la journée inoubliable.
Il suffit de pas grand-chose. Une surprise au petit déjeuner. Un paquet troué. Un papier cadeau qui remue tout seul. Un miaulement affamé. Lily est comblée.
Une bataille de boule de neige. Un passage dans leur coin privilégié, cachées par une lourde tenture rouge et or. Parce qu’on ne change pas les bonnes habitudes. Une soirée dans leur dortoir, avachies sur leurs lits, allongées par terre, au milieu des gâteaux apéritifs, des bonbons, et des jus de citrouille toujours pas assez frais. Des rires qui percent le silence de la nuit, des oreillers qui volent, des objets qui tombent quand l’une d’elles vise mal.
Et puis la neige, qui se met doucement à tomber au dehors. Lily trouve que c’est encore plus beau, le soir, parce que sa couleur blanche décore la nuit, se glisse dans l’obscurité comme un rayon inattendu.
Ce soir, Lily a quatorze ans. L’odeur du parc mouillé et des cheveux parfumés de ses amies a remplacée celle du gâteau au chocolat.
30 janvier 1975
Aujourd’hui, Lily a quinze ans. Et elle n’arrive pas à croire qu’elle est en train d’enfreindre les règles de l’école. Techniquement, elle ne savait pas où ses amies l’emmenaient. Elle n’est donc pas en tort.
Mais maintenant qu’elle y est, elle pourrait très bien repartir. Or, elle n’en fait rien. A la place, elle reste bouche bée, muette devant le spectacle qui s’offre à elle. L’autre côté du décor.
Voilà donc comment leurs repas arrivent sur les grandes tables de la Grande Salle. C’est magnifique.
Et la banderole, maladroitement accrochée entre deux poutres, l’est encore plus. Lily rit. Elle ne pense plus aux règles. Elle ne voit que les plats en argent, les couverts qui brillent, les ingrédients qui s’alignent sur des étagères qui n’en finissent plus. Et les elfes, qui s’affairent au milieu, qui passent d’un chaudron à l’autre, qui salent ceci, goûte cela, et trouvent encore le temps de venir les chouchouter.
L’énorme gâteau qui l’attend sur la table la fait saliver d’envie. Il est au chocolat, et pendant un instant, son odeur sucrée la ramène des années en arrière, avant la lettre, avant Poudlard, avant ses merveilleuses amies, avant la sorcellerie. Avant les disputes avec Pétunia, aussi. Lily ne peut empêcher un voile de tristesse de recouvrir ses yeux. Elle n’a même pas prit la peine d’écrire sur la lettre, cette année.
Lily soupire. A choisir, elle préfère sa vie ainsi. Si sa sœur ne peut l’accepter comme elle est, l’a-t-elle vraiment jamais aimée ?
Cette question lui fait mal, trop mal, comme un petit couteau vicieux qu’on enfoncerait doucement dans sa poitrine, alors elle la chasse de son esprit.
L’odeur du gâteau au chocolat lui manque, parfois, mais elle ne peut pas abandonner celle des vieux grimoires, de l’herbe mouillée, des draps frais de son dortoir. Elle sourit à ses amies, rit quand Mary coupe mal le gâteau.
Ce matin, Lily a quinze ans. Elle enfreint une règle. Et le pire, c’est qu’elle s’en fiche royalement.
30 janvier 1976
Aujourd’hui, Lily a seize ans. Il n’a pas neigé depuis plusieurs semaines. Lily est un peu triste que, pour la première fois, il n’y ait ni étendue blanche à admirer, ni flocons argentés à regarder danser.
Mais peu importe. Parce que ce soir, elle danse. En haut de la tour d’astronomie, ses amies ont accroché une banderole colorée, lancé quelques confettis, rassemblé de la nourriture et de la boisson, et surtout, ramené de la musique.
Lily trempe ses lèvres dans un verre d’alcool et grimace un peu. Elle n’est habituée à rien d’autre que la bierreaubeurre. Le Whisky Pur Feu est encore un peu fort pour elle.
Peu importe.
Ce qu’elle veut, c’est s’amuser. La musique déchire le silence, leurs rires réchauffent la froideur de la nuit. Elles se sont un peu maquillées, mais peu leur importe de se faire belles. En jean et gros pulls d’hiver, serrées les unes contre les autres pour se tenir chaud, elles se sentent bien. Quand elles sont trop fatiguées pour danser, elles s’assoient, en ligne, les jambes libres de tomber dans le vide. L’une a la tête posée sur l’épaule de l’autre, ou une main accrochée à un bras, une jambe posée par-dessus un torse.
Aujourd’hui, Lily a seize ans. Les étoiles n’ont jamais été aussi belles.
30 janvier 1977
Aujourd’hui, Lily a dix-sept ans. Elle est majeure. Elle entre dans le monde des grands. Ça lui fait peur, un peu. Beaucoup. Elle n’est pas sûre d’être prête à être responsable. Quand elle le dit à ses amies, elles rient.
« Si toi tu n’es pas prête, personne ne l’est !
- Et personne ne le sera jamais. »
Lily sourit. Elles ont raison, elle le sait. Mais ça n’empêche pas cette petite boule de stress qui a pris place dans son estomac, accompagnée d’un étrange sentiment d’adrénaline. Un sentiment de puissance, une ivresse qui l’envahit sans qu’elle ne puisse la contrôler. Et elle aime ça.
Lily s’attendait un peu à ce que ses amies lui organisent une fête dans la Salle Commune. Après tout, cette année, chaque élève de sa promotion a eu droit à la sienne. Mais ça ne lui fait pas moins plaisir pour autant.
Tous les élèves sont présents. Elle se doute que c’est pour la fête, l’alcool, la musique, mais ça lui fait plaisir quand même. La plupart d’entre eux viennent la féliciter, et chaque fois, son sourire s’agrandit, elle rayonne un peu plus.
Sauf quand le tour de Potter vient. Elle se renfrogne, se ferme, murmure un merci soupçonneux. A juste titre. Il essaye à nouveau de l’inviter à sortir. Elle lâche à Black et Lupin qu’ils devraient mieux tenir leur ami, ce qui fait rire Black et sourire Lupin. Bravo le soutient amical.
Elle s’éloigne, son sourire revient. Un jeune garçon de Serdaigle, à qui elle a déjà parlé plusieurs fois, et que Lula a laissé entrer, lui demande une danse. Elle rougit, accepte. Il est gentil, il la fait rire. Mais il ne l’embrasse pas. Lily ne sait pas si elle est déçue ou soulagée.
Evidemment, elle finit assise près de la fenêtre avec ses amies. Elle regarde la neige qui tombe au dehors avec un petit sourire béat. Elle ne s’en lassera jamais, elle le sait.
Ce soir, Lily a dix-sept ans. Elle se sent belle. Elle se sent jeune. Elle ne veut pas que la nuit finisse.
30 janvier 1978
Aujourd’hui, Lily a dix-huit ans. C’est le dernier anniversaire qu’elle passe à Poudlard. Elle essaye de ne pas y penser. Ca la rend triste. Nostalgique, déjà, alors que l’année n’est pas prête d’être finie. Mais elle a peur de ce qui viendra après. Elle a peur de l’odeur qui remplacera celle de du parc mouillé et des cheveux parfumés de ses amies. Si elle le pouvait, elle aimerait rester toute sa vie ici, à l’abri entre les murs épais et rassurants de Poudlard.
Elle sait que bientôt, elle sera lâchée dans le monde extérieur. Et elle sait qu’elle se battra. Elle l’a décidé il y’a longtemps déjà. Elle sait que c’est son tour de rejoindre les rangs de l’Ordre du Phoenix. Qu’elle est grande maintenant, et qu’il est temps qu’elle soit courageuse. Elle sait que d’autres, plus jeunes, moins expérimentés, ont, eux, encore besoin de la protection de Poudlard.
Pourtant, elle ne se sent pas prête à l’abandonner. Elle se sait égoïste, mais elle voudrait bien voler la place des premières années.
Le regard d’Evy sur elle lui dit d’oublier. De profiter. Elle sourit. Son amie a raison. Après tout, elles ont beau être en 7ème année, cela ne les a pas empêchées de faire leur bataille de boules de neige traditionnelle, avant d’aller se cacher dans leur recoin secret.
Alors, elle attrape la main de James, assit juste à côté d’elle. Il détache son regard de Sirius et pose les yeux sur elle. Lily le tire en avant. Elle veut danser. Elle veut se perdre, pour quelques mois encore, dans la bulle, pas complètement hermétique, que représente Poudlard.
Elle se laisse aller dans les bras de James. Elle est bien, contre lui. La seule chose qui lui manque, quand elle est comme ça perdue dans ses bras, ce sont ses yeux chocolat. Parfois, elle se demande comment ils en sont arrivés là. Mais après tout, elle avait toujours adoré le chocolat.
Aujourd’hui, Lily a dix-huit ans. Elle se noie entre la musique, les rires familiers de ses amis, et les bras de James.
30 janvier 1979
Aujourd’hui, Lily a dix-neuf ans. Cet anniversaire-là, elle l’a énormément anticipé. Pourtant, ce n’est pas si terrible que ça. Poudlard lui manque. Elle ne peut pas voir sa famille, de peur de les mettre en danger.
Mais il lui reste ses amis, et cette odeur de neige. Cette année, c’est une véritable tempête, comme Evy les aime. Lily, elle, elle préfère les flocons calmes, qui dansent avec grâce.
Poudlard lui manque, c’est vrai. Mais son appartement est mignon. Il lui ressemble. Non, il leur ressemble. C’est mieux. Des étagères de livres recouvrent les murs, des affaires de Quidditch trainent dans un coin, des décorations de Noël scintillent fièrement aux fenêtres. Lily n’a pas encore eu le courage de tout enlever. Et puis, tant qu’il neigera, elle les laissera.
C’est le premier anniversaire qu’elle fête dans leur maison, et cette idée lui met du baume au cœur. Elle aime les voir tous réunis, assis un peu partout dans le salon, une bierreaubeurre ou une part de gâteau à la main. Par Merlin, comme elle les aime.
Aujourd’hui, Lily a dix-neuf ans. Elle attend l’année d’après avec un peu moins d’anxiété.
30 janvier 1980
Aujourd’hui, Lily a vingt ans. Leur maison est à nouveau animée. Elle l’est souvent, en vérité.
Vingt ans, dit Sirius, c’est le début de la vieillesse. Lily rit et Evy lève les yeux au ciel, amusée.
Depuis l’année dernière, elle a vu plus de choses, perdus des gens. Personne de très proche, mais des connaissances, des membres de l’Ordre, des gens à qui elle a parlé. Elle a de plus en plus peur pour ses amis. Pour ses parents. Pour James. Pour Pétunia. Pour le chat, parfois. C’est un cadeau de ses meilleures amies. Elle ne supporterait pas qu’il lui arrive quelque chose.
Vingt ans, c’est un âge tout rond. Elle ne pensait pas l’atteindre comme ça. Elle ne pensait pas connaître la guerre. Elle ne pensait pas craindre pour la vie de ses proches, ou ouvrir le journal en angoissant tellement.
Mais c’est comme ça, et elle ne peut rien y faire. Rien de plus que ce qu’elle ne fait déjà.
Alors elle se concentre sur les conversations qui se déroulent autour d’elle. Leurs rires lui réchauffent quelque peu le cœur. Elle sait qu’elle n’est pas la seule à refouler des pensées noires. Elle sait qu’ils le font tous.
Ce soir, Lily a vingt ans. Elle est enceinte. Sur le canapé, le chat dort.
30 janvier 1981
Aujourd’hui, Lily a vingt et un an. C’est la première fois qu’elle le fête en étant maman. Elle est heureuse, tellement heureuse malgré les horreurs qui font rage au dehors. Malgré le Mage Noir qui les traque.
Cette année encore, elle peut compter tous ses proches parmi les présents, assis dans son salon. Elle a eu de la chance. Elle n’a perdu personne. Personne de très proche.
Ils ont l’air fatigués, tous. Des cernes ornent leurs visages, l’inquiétude tire leurs traits, leur attention est constamment aiguisée. Ils ont appris du meilleur. Vigilance constante.
Harry éclate de rire. Sirius est en train de le faire tourner dans les airs, en imitant le son d’une moto qui vrombit. Sa moto, prétend-t-il, tandis qu’Evy secoue la tête en levant les yeux au ciel. Et Lily rit.
Aujourd’hui, Lily a vingt et un an. Elle commence à croire qu’ils vont être chanceux.
30 janvier 1982
Aujourd’hui, Lily aurait dû avoir vingt-deux ans. Et pour son anniversaire, il neige.
Evy parvient à sourire, juste un peu, sans que ça n’atteigne ses yeux. Lily aimait la neige. Aujourd’hui, elle tombe juste comme Lily l’aimait.
Evy retient un sanglot et laisse échapper un nuage de buée qui semble se cristalliser dans les airs. Elle sert un peu plus le bras de Mary, et sa main trouve celle de Lula.
Elles sont trois. Trois. Il est seul.
Remus ne semble pas pouvoir détacher son regard du point vague où il s’est fixé, peu après qu’ils soient arrivés.
James est mort. Lily est morte. Alice et Frank sont enfermés. Sirius aussi. Pour une autre sorte de folie. Celle de la vengeance, qui l’a mené droit à sa perte, droit entre les griffes dégoutantes de ce petit rat. Car ils savent bien, eux, que Sirius n’est pas coupable. C’est l’autre. Evy n’arrive même pas à prononcer son nom. Il lui a tout prit.
Il leur a tout prit.
Même au chat.
Aujourd’hui, Lily aurait dû avoir vingt-deux ans. Elle aurait aimé cette froide journée d’hiver.
Il neige.