Pourquoi diable James avait-il laissé sa correspondance traîner ?
Alice se glissa habilement entre deux Serdaigle pressés, passa sous le bras d’un gardien de Serpentard immense, évita un groupe de filles secouées de fou rires, et atteignit enfin le petit coin caché près de la porte. Elle réussit à se baisser sans faire tomber la sacoche trop pleine qu’elle portait, et attrapa le papier pour le fourrer dans sa poche. Elle avait peut-être apprit à se déplacer sans tomber, mais prendre le temps de rester immobile ici serait du suicide.
Elle parvint à s’intégrer à nouveau au semblant de fil qui se pressait vers les tables, et faillit se cogner contre un Sirius à contre-courant.
« Salut ! » Lança-t-elle en lui donnant une petite tape sur l’épaule -elle essaya en tous cas d’atteindre l’épaule, mais échoua comme toujours.
Sirius baissa le regard vers elle, et mit plusieurs secondes à la reconnaître.
« Salut, répondit-il enfin. Désolé, il faut que je- »
Le jeune homme ne prit pas la peine de finir sa phrase et disparut dans la foule des élèves, dérangeant sans s’en soucier le semblant d’ordre qui régnait encore.
« D’accord, à tout à l’heure », dit Alice dans le vide.
Elle fut projetée vers sa table, et tomba sur le banc à quelques mètres de Mary. Elle entreprit de se glisser jusqu’à elle, et poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle vit enfin le sourire de son amie l’illuminer. Les timides brins de soleil s’emmêlaient à ses mèches blondes, et Alice la trouva rayonnante.
« On pourrait penser qu’ils auraient voulu rentrer chez eux pour les vacances, grommela la jeune fille. Mais non, Poudlard est plus sécurisé, Poudlard est protégé, Poudlard blablabla »
Alice eut un petit rire et plongea sur ses pommes de terre.
« Faut dire qu’on a fait pareil.
- Non non non, nous, on reste pour s’amuser. S’a-mu-ser. Ce qui ne va pas être facile si la Salle Commune et les couloirs sont toujours bondés ! »
Alice rit à nouveau et enfourna une énorme fourchetée de patates et de crème dans sa bouche.
« Mmmh, soupira Mary. Ça, c’est un repas d’automne. »
Alice secoua vivement la tête, et leva un regard apaisé sur le plafond magique. Le ciel qu’il leur offrait aujourd’hui était d’un bleu sombre, sans être vraiment gris, teinté çà et là de nuages orangés qui se déchiraient et s’attachaient aux branches des arbres. Ils rappelaient un peu à Alice les fausses toiles d’araignées qui orneraient dès ce soir la Grande Salle. Par les grandes fenêtres à carreaux, on pouvait apercevoir l’exact même ciel, ainsi que les immenses arbres immobiles, et le tapis de feuilles rouges et or qui recouvrait le parc.
Alice englouti une nouvelle fourchetée avec un grand sourire. Elle avait hâte d’être ce soir.
Le petit papier qu’Alice avait trouvé était resté bien au chaud dans sa poche pendant encore quatre longues heures. Elle était sortie se promener dans le parc avec Mary, s’était adonnée à une bataille de feuilles dans la plus grandes des maturité, s’était avachie au coin du feu pour finir le roman qu’elle avait commencé la veille. Elle avait recroisé Sirius, toujours à contre-courant, mais il les avait encore moins remarquées que la première fois, le regard fixé au sol, l’air sombre et paniqué.
« Qu’est ce qu’il a ? » Avait demandé Mary en fronçant les sourcils.
Alice avait haussé les épaules, un peu inquiète.
« J’espère qu’il ira mieux d’ici ce soir, soupira-t-elle.
- Surtout que James a pas l’air en pleine forme ces derniers jours. Si deux Maraudeurs sur quatre sont hors-jeu, il va être moins drôle notre Halloween. »
Alice avait hoché la tête d’un air grave, puis les deux amies s’étaient laissées tomber dans un canapé, avec un bol de bonbons collants, des tasses de thé et deux bons livres.
Si Alice ne s’était pas penchée en avant pour déposer sa tasse sur la table basse, et que le papier n’avait pas choisit ce moment là pour s’échapper de sa poche, elle l’aurait sûrement oublié et il aurait finit à la laverie avec son jean.
Heureusement pour lui, le petit parchemin glissa à terre et roula sous la table. Alice le repéra du coin de l’œil, et se contorsionna pour le récupérer. En se relevant, elle coinça une mèche dans son chignon fait-défait et déplia prudemment le papier.
Alice s’attendait à une vieille note de cours, à une discussion entre Maraudeurs, ou peut-être même à un brouillon de devoir, mais certainement pas à ce qu’elle découvrit.
« Lily »
Le reflet du feu s’attacha à la boucle du L, et Alice arrêta aussitôt sa lecture et releva la tête d’un air coupable. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, comme si elle était en train de faire quelque chose de répréhensible. Assis à une table, deux quatrième année bataillaient une partie d’échec. Sur un rebord de fenêtre, trois jeunes filles discutaient de tout et de rien, leur tête penchées l’une vers l’autre, le bord de leurs lèvres repliées, prêtes à rire à la moindre occasion. Alice crut presque se voir, entourée de Lily et de Mary, quatre ans plus tôt. A ses côtés, sur le canapé, Mary s’était endormie, le livre ouvert posé sur sa poitrine.
Une fois qu’elle eut vérifié que personne ne l’observait, Alice jeta un nouveau regard hésitant à la lettre. Elle mourrait d’envie de continuer sa lecture, mais elle se sentait horriblement mal de fourrer ainsi son nez dans les affaires des autres. D’un autre côté, Lily était sa meilleure amie, et elle connaissait ses doutes sur sa relation avec James. S’il y’avait quoi que ce soit qu’elle puisse faire pour l’aider, n’était-ce pas son devoir d’amie de s’assurer de le faire ?
Elle jeta un regard vers Mary pour vérifier qu’elle dormait, puis replongea sur le parchemin.
Dès les premiers mots, Alice fondit devant la plume passionnée de James. Jamais, au grand jamais, elle n’avait lu une lettre aussi belle. James était amoureux, ça crevait les yeux depuis longtemps déjà, mais aucune de ses déclarations, aucune de ses paroles n’égalaient celles-ci. Si Alice avait reçu une telle lettre, elle aurait aussitôt épousé l’auteur.
Elle rougit légèrement derrière le papier et replaça son chignon. Si Frank l’entendait… Le jeune homme lui montrait tous les jours son amour, avec des cadeaux, des baisers, des surprises, mais jamais il ne lui avait écrit une telle chose.
Alice se racla la gorge et regarda à nouveau autour d’elle d’un air gêné.
« Tu sais, Lily, je crois que je t’aime chaque jour un peu plus, si c’est possible. »
Les flammes semblaient danser sur le parchemin, et les lettres se mêlaient les unes aux autres dans un ballet automnale.
« J’ai l’impression que mes sentiments pour toi étaient bien fades en cinquième année, comparé à aujourd’hui. Et pourtant, je sais bien que j’étais déjà fou de toi. Demande à mon dortoir ! Je les ai rendu fous, eux aussi. Il n’y a pas que toi que j’ai embêté avec ça, tu vois.
Si tu savais, Lily, comme je regrette ces années perdues. Je te l’ai déjà dit, tu m’a pardonné, tu m’a dit que toi aussi, tu avais tes torts, mais je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais été moins bête, nous pourrions avoir partagé tellement plus. Et je n’aurai pas eu tant de mal à te parler, l’autre jour, sur le quai.
Les feuilles tombent encore, et je sais que tu trouve ça si beau. Mais pour moi, elle sont sifflantes, cassantes, aujourd’hui. Tu es loin, et je n’arrive pas à profiter de ces vacances. Je continue à t’imaginer là-bas, dans le froid, tes si jolis yeux à nouveau rougis, et je voudrai pouvoir te serrer dans mes bras, sentir ton parfum, essuyer tes larmes. »
Mary se retourna dans son sommeil, et son livre tomba au sol avec un bruit sourd. Alice poussa un petit cri et lâcha la lettre qui tomba en papillonnant sur la table basse, comme l’une de ces feuilles d’automne dont James parlait.
« Quoi, quoi ? » S’affola Mary en se redressant d’un bond.
Elle jeta un regard paniqué autour de la pièce, finit par remarquer que personne à part elle ne semblait paniqué, et se laissa retomber dans le fond du canapé avec un soupir de soulagement.
« Je suis crevée, marmonna-t-elle dans un bâillement.
- Tu as dormi comme un bébé cette nuit. »
Mary haussa les épaules.
« L’excès de sommeil fatigue. »
Alice leva un sourcil soupçonneux en direction de son amie.
« Tu cite Homère ?
- Lily m’a fait relire ses cours d’Etude des Moldus.
- Eh bien qui dort dîne, et je commence sérieusement à mourir de faim. »
Pendant sa lecture, la lumière avait doucement quitté le ciel, et il faisait à présent presque nuit. L’intérieur de la Salle Commune n’était plus éclairée que par le feu de cheminée et les lueurs orangées du dehors. Presque tout le monde avait quitté la pièce. Il ne restait plus que les trois amies, qui avaient émigrées sur le sol sous la fenêtre.
Alice se pencha en avant, déterminée à récupérer la lettre pour l’emmener avec elle, décider quoi en faire et, au pire, la garder bien à l’abri dans son dortoir pour en parler à Mary. Mais la pression de deux mains sur ses épaules contrarièrent ses plans.
« Salut toi », souffla une voix dans son dos, et Alice frémit des pieds à la tête.
Elle sourit lorsque Frank l’embrassa dans la nuque, puis elle se retourna pour déposer un baiser sur ses lèvres.
« J’ai quelque chose pour toi », sourit-il en effleurant ses cheveux.
Il lui fit signe de se retourner, et Alice sentit une fine chaîne glisser le long de son cou. Lorsqu’elle baissa les yeux, son regard rencontra une toute petite fleur argentée. Un immense sourire vint éclairer son visage, et elle se retourna pour serrer son petit-ami dans ses bras.
« Il est magnifique, souffla-t-elle contre son menton.
- C’est parce que la première fois que je t’ai demandé de sortir avec moi, on parlait de botanique et… enfin… »
Alice le sentit rougir contre sa joue, et son sourire s’agrandit.
« Merci », chuchota-t-elle en effleurant ses lèvres.
Il l’embrassa, puis murmura dans son oreille :
« J’ai autre chose pour toi, en haut. Mais je préfère garder les bougies et l’ambiance tamisée pour quand on sera seuls. »
Alice rit, puis s’écarta de lui sans lâcher sa main.
« Vous êtes trognons », s’enthousiasma Mary en enfournant une poignée de bonbons dans sa bouche.
Alice et Frank échangèrent un regard attendrit, et il se pencha à nouveau vers elle.
« Vous êtes trognon, mais j’ai vraiment très faim. »
Frank secoua la tête d’un air amusé, et Alice sauta sur ses pieds.
« Moi aussi », se rappela-t-elle soudainement.
Sans plus attendre, elle tira Frank derrière elle, la voix amusée de Mary les suivant de peu. Son amie avait eut raison d’insister pour qu’elles restent. Aucun Halloween ne serait plus parfait que celui-ci.
Le rire de Frank s’éleva et le portrait se referma doucement.
Sur la table, le bout de parchemin frémit légèrement.