Lily marchait dans les couloirs, furieuse. « Comment ai-je pu être aussi stupide et me laisser aller à de telles confidences ? ». Un jour venait de passer depuis qu'elle avait avoué la vérité à Narcissa, et cela faisait un jour qu'elle ruminait en boucle la scène : l'air dépité de la blonde, le regard haineux de Malefoy et surtout, la réaction de James. La rousse ne savait pas bien ce qui la rendait le plus folle de rage : la peur qu'elle ressentait des représailles du Serpentard, où le fait que James Potter ait encore une fois trouvé bon de la prendre en excuse pour s'en prendre à Malefoy. Il était évident pour Lily que le jeune homme n'avait pas réagi de cette manière pour elle. Sinon, il ne l'aurait pas tout bonnement ignoré depuis leur baiser. Lily rougit à cette pensée. Désormais aussi gênée qu'enragée, elle remarqua à peine qu'elle revenait sur ses pas et se trouvait à nouveau devant la bibliothèque qu'elle venait de quitter quelques minutes plus tôt. S'embrasant à vue d'œil, elle repartit d'un pas pressé vers la Salle commune de Gryffondor. Il ne lui était plus possible de garder son secret plus longtemps : elle devait le dire à Nelly. Après avoir réprimandé des deuxièmes années qui rôdaient dans l'enceinte du château et avoir failli écraser la queue de Miss Teigne- qui se trouvait dans ses pieds-, elle atteignit la Salle commune, essoufflée et la mine contrite. Reprenant quelque peu ses esprits et réarrangeant ses mèches rebelles, elle prononça le mot de passe et la Grosse Dame la fit entrer. C'était l'effervescence : des premières années s'occupaient de pousser les tables dans les coins tandis que d'autres élèves, plus âgés, installaient une radio. Il lui sembla même voir quelques Bièraubeurres lui échapper des yeux. Attrapant un première année au vol, elle laissa tomber le livre qu'elle avait emprunté à la bibliothèque et lança, furieuse :
-Qu'est-ce que c'est que tout ce bazar ?
Le jeune garçon, visiblement apeuré, se recroquevilla sur lui-même.
-Je ne vais pas te faire de mal. Seulement, je suis préfète-en-chef et j'aimerais bien savoir pourquoi la Salle commune de ma maison est mise sans-dessus dessous.
-Un garçon nous a demandé de déplacer les tables. Il a dit que c'était pour faire une surprise à son ami.
-Quel garçon ?
Le jeune homme haussa les épaules.
-Je suis préfète-en-chef ! Si tu ne veux pas me le dire à moi, tu iras le dire au professeur Mcgonagall et alors...
-Lui aussi dit qu'il est préfet-en-chef.
Si Lily avait été en colère auparavant, ce n'était rien face à la fureur qui la submergeait, à tel point qu'elle ne vit pas le petit garçon prendre ses jambes à son cou, les larmes au bord des yeux. Oubliant la promesse qu'elle s'était faite d'aller voir Nelly pour lui avouer son plus horrible secret, Lily se fraya un passage à coup de coudes à travers la foule. Elle trouva bien rapidement la cause du raffut : James Potter se tenait au milieu de la Salle, débitant ses ordres aux garçons de première année pendant que les filles gloussaient entre elles.
-POTTER !
-Tu penses qu'il va aimer la suprise ? Je ne suis pas vraiment sûr que Patmol aime les surprises...
-Il aimera celle-là, fais-moi confiance Queudver.
-Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'il est un peu morose ces temps-ci.
-Ne le prends pas mal, Lunard, mais je crois qu'il est surtout morose avec toi, après votre petite accroche de hier.
James, Peter et Remus étaient dans la Salle commune de Gryffondor. Les cours venaient de se terminer avec deux heures de métamorphose, et les Maraudeurs s'étaient retrouvés dans la salle commune. Tous, excepté Sirius.
-Et où est-il ? demanda Remus en feignant n'avoir pas entendu la dernière remarque de James.
-J'ai mandaté Cassidy pour qu'elle l'occupe pendant que l'on prépare les derniers détails. Ensuite, on ira dîner ensemble comme si de rien n'était et, lorsque l'on remontera : surprise !
James haussa un sourcil devant le manque de réaction de ses deux camarades.
-Enfin quoi, Sirius a dix-sept ans aujourd'hui ! C'est quand même normal qu'on le fête, non ?
-Je ne sais pas trop, commenta Peter. Il n'a jamais semblé beaucoup apprécié ses anniversaires...
James balança sa main en l'air comme s'il chassait négligemment une mouche :
-Balivernes. Il n'aime peut-être pas être le centre de l'attention, mais je crois qu'il aime faire la fête, peu importe la raison. Quoi de mieux que de fêter sa majorité ? Ça veut dire qu'il pourra enfin utiliser la magie en dehors de l'enceinte de ce château, et qu'il est aussi libre pour...
-Partir de chez lui ? coupa Remus avec un haussement de sourcil réprobateur.
James soupira :
-J'allais plutôt dire : libre pour faire ce qu'il souhaite de sa vie. J'en ai parlé à mes parents dans ma dernière lettre, et ils ont trouvé que cette fête était une bonne idée. En plus, il s'agira juste de prendre quelques Bièraubeurres entre amis. Rien de plus que ce qu'on fait généralement après un match de Quidditch.
-Et qu'en est-il de la horde de filles qui se pavaneront devant lui pour lui souhaiter un bon anniversaire ?
-C'est ce que je dis : rien d'inhabituel, sourit James.
Peu convaincus, Remus et Peter l'aidèrent tout de même à déplacer les fauteuils et à accrocher une banderole rouge et or : BON ANNIVERSAIRE SIRIUS. James appela ensuite les premières années et les autres élèves présents dans la salle pour leur donner quelques directives :
-Je voudrais que vous poussiez les tables plus loin. Quant à ceux qui ont plus de quinze ans, si vous aviez l'amabilité d'aller dans les cuisines nous chercher de quoi étancher notre soif et, si vous le pouvez, quelques gâteaux et biscuits, j'en serais très reconnaissant. Dites à Wilber que vous venez de la part des Maraudeurs, cet elfe nous adore. Pour ce qui est de la radio, ça serait bien si...
-POTTER !
James sursauta. Il n'y avait qu'une personne pour l'appeler par son nom de famille sur un ton aussi furax. Même le professeur Mcgonagall ne montait pas autant dans les aigus lorsqu'il s'amusait à faire des blagues dans ses cours. Ses amis partirent aussi loin que possible de lui. Osant à peine tourner la tête, une cascade rousse inonda bientôt son champ de vision. Elle semblait plus furieuse qu'il ne l'avait jamais vu : quelques mèches dépassaient de son visage cristallin, et ses joues avaient pris une teinte d'un rouge soutenu. Son regard trahissait sa colère. Il l'avait presque oublié. Presque...
-Evans ! Tu veux te joindre à la préparation de notre petite fête ? Toute personne ayant aidé aura accès aux Bièraubeurres plus rapidement que les autres. Si tu le souhaites, tu peux déplacer ce fauteuil près de la...
-Comment oses-tu ? Est-ce que je dois te rappeler que je suis aussi préfète-en-chef et que tu ne peux tout simplement pas prendre ce genre de décisions sans m'en parler ?
James ne savait pas comment réagir. Il lui était facile de jouer l'innocent et de la narguer, puisqu'elle démarrait aux quarts de tour. Mais il n'était plus très sûr d'en avoir autant envie qu'avant. Depuis leur baiser échangé, il avait eu du mal à s'enlever l'image de Lily de sa tête. Il n'en avait toujours parler à personne. Comme à son habitude, il avait réussi à justifier son acte de colère envers Malefoy par une simple « haine tenace ». C'était tout du moins ce qu'il avait dit à Mcgonagall après avoir écopé de deux dimanches de retenue ainsi qu'avoir fait perdre cinquante points aux Gryffondor. Lily, Malefoy, Narcissa et lui-même étaient enfaite les seuls à savoir pourquoi James avait réellement frappé Lucius. Mais ça aussi, il avait décidé de le garder pour lui. Il avait pris l'habitude d'ignorer Lily, pour éviter tout débordement. Jusqu'à ce moment-là.
-Ecoute... C'est les dix-sept ans de mon meilleur ami, et j'ai pensé qu'une fête pourrait l'aider à passer le cap. Rien d'extravagant : on trinquera, on écoutera les meilleurs morceaux à la radio et on ira au lit. Je te promets même de ne pas me coucher après minuit.
Narguer Lily Evans était définitivement plus fort que lui. Mais pouvait-il réellement se passer de ce tic qu'elle avait de pincer ses lèvres lorsqu'elle était en colère contre lui ? Probablement pas : il avait vécu les sept précédentes années à vouloir provoquer ce tic, il n'allait sûrement pas s'arrêter de ci-tôt. Se rappelant tout de même la gifle cuisante qu'elle lui avait administré lorsqu'il était allé trop loin, James recula d'un pas.
-Je me fiche éperdument que ton meilleur ami ait dix-sept ans aujourd'hui, et je ne vais sûrement pas y prendre part. Si cette mascarade n'est pas finie à minuit tapante, j'irai réveiller le professeur Mcgonagall.
-Marché conclu. Elle m'a déjà donné deux dimanches de retenue, elle n'aura qu'à en rajouter un si je ne respecte pas le couvre-feu.
Il vit Lily s'embraser : elle savait de quoi il parlait. Elle savait qu'il avait écopé de ses jours de retenues pour avoir frappé Malefoy, et elle savait pourquoi il avait frappé le blond. Soudain, l'expression de la rousse changea : c'était toujours de la fureur, mais il y avait quelque chose d'autre dans son regard, qu'il avait de la peine à identifier.
-Ça ne te suffit pas de m'humilier, encore faut-il que tu t'en vantes ?
James fut pris de court. S'il était vrai qu'il aimait la provoquer, en aucun cas il n'avait jamais voulu l'humilier. Et il ne voyait pas bien comment il aurait pu s'y prendre pour le faire. S'apprêtant à répliquer, cette fois-ci avec sérieux, il fut coupé par une Lily beaucoup plus froide :
-Tu as jusqu'à minuit. Ensuite, tu ranges la salle et je ne veux plus jamais entendre parler de toi.
Sirius remonta le col de sa veste et passa son écharpe autour de son cou. Le mois de novembre avait apporté son lot de froid, de vent et de grisaille. Bien qu'il n'en eût pas besoin pour se sentir maussade. Cassidy avait insisté pour l'emmener prendre l'air, et il avait accepté uniquement par peur de la vexer. Tout ce qu'il souhaitait était de prendre un bain et de s'endormir afin que cette journée se termine le plus rapidement possible.
-Alors, ça fait quoi d'être majeur ?
Le jeune homme prit une grande inspiration. La question que tout le monde lui avait posé sans relâche depuis le début de la journée : « comment te sens-tu après avoir passé le cap ? C'est quoi, avoir dix-sept ans pour toi ? Tu te sens homme, Sirius ? » Comme si le simple fait d'avoir un an de plus pouvait y changer quelque chose. Il était exactement le même que le jour précédent, et le jour suivant, il resterait le même. Cependant, il haussa les épaules et répondit de la même manière mécanique qu'il l'avait fait durant la journée :
-Ça ne change pas grand-chose pour l'instant, vivement que je puisse utiliser ma baguette en-dehors de l'école.
C'était bien la seule perspective qui le réjouissait depuis le début de sa journée. En effet, les adolescents atteignaient la majorité à dix-sept ans dans le monde des sorciers, et acquerraient avec cela le droit d'utiliser la magie en dehors de leur enseignement. Si Sirius avait déjà transgressé bon nombre de règlements, il n'avait jamais osé se servir de sa baguette en-dehors de Poudlard. Seulement, il ne pourrait le faire qu'aux prochaines vacances, à savoir celles de Noël : la perspective était soudainement beaucoup moins réjouissante.
-Je vois. C'est vrai que c'est plutôt sympa ! Mais je n'ai jamais vraiment compris pourquoi tout ce chamboulement autour de cet âge. Ce n'est qu'un âge après tout. La fin de nos études à Poudlard, ça ça va être l'évènement de l'année ! Remarque, je n'aurai même pas encore dix-sept ans, je me demande bien ce que je vais pouvoir faire...
Sirius sourit. Il était vrai que Cassidy était plus jeune que lui d'un an.
-Ne t'inquiète pas trop pour ça, on a le temps de voir venir.
-N'empêche, il serait plutôt temps de s'en inquiéter, tu ne crois pas ? C'est notre dernière année.
Sirius se rembrunit à nouveau. S'il y avait quelque chose qui le réjouissait encore moins que son anniversaire, c'était la perspective de quitter le seul endroit où il ne se soit senti chez lui.
-Tu sais ce que tu vas faire, après Poudlard ? insista Cassidy, qui, il le voyait, faisait des efforts pour maintenir une conversation.
-Pas vraiment, marmonna-t-il, son envie de rentrer prendre un bain reprenant le dessus. Ecoute Cass, c'est sympa de vouloir faire un tour, mais je suis un peu fatigué et je crois que je vais juste rentrer dans la salle commune et...
-Non !
L'entrain de la jeune fille le fit sursauter. Elle rougit légèrement.
-Je veux dire... Je ne t'ai pas amené là par hasard, j'aimerais te parler de ce qu'il s'est passé entre nous l'autre soir.
Ce fut au tour de Sirius d'être déstabilisé. La soirée d'Halloween lui paraissait si loin qu'il n'y avait pas réellement pensé depuis que ça c'était passé. Ce n'était pas dans les habitudes de Cassidy de revenir sur de tels sujets, pourquoi le faisait-elle à présent ? A moins que...
-Ne me dis pas que vous me préparez une surprise ?
La jeune fille s'arrêta net, et ses épaules s'affaissèrent :
-Mon frère va me tuer. Il m'avait conseillée de te parler de Quidditch, mais on ne sait même pas quand on va rejouer notre match contre Serpentard, alors je ne savais pas de quoi te parler... Tu pourras feindre la surprise, s'il te plaît ?
Le jeune homme ne répondit pas. Il ne voulait pas de surprise. Il ne voulait pas fêter son anniversaire. Il ne voulait pas passer la soirée avec ses amis, et il ne voulait pas que James Potter, qui avait été incapable de lui avouer la vérité quant à son baiser avec Lily Evans et la vérité sur pourquoi il avait frappé Malefoy- ne lui organise quoi que ce soit.
-Et bien dis à ton frère que ce n'est pas la peine qu'il prenne du temps pour moi. Je ne veux pas de surprise, pas de fête, pas de cadeau, pas de vœu. Pour l'instant, je ne souhaite qu'une chose : prendre un bain afin d'être sûr que mes doigts peuvent encore bouger et aller dormir.
Désormais furieux, il s'apprêtait à rentrer dans le château d'un pas rageur lorsque Cassidy se planta devant lui :
-C'est quoi ton problème ? Tes meilleurs amis t'organisent une surprise pour la meilleure fête de ta vie, et toi tu joues les sinistres ? Si tu aimes que l'attention te soit autant portée, il suffit de le dire.
-Le meilleur jour de ma vie ? Ce jour signifie que je n'ai désormais plus aucune attache qui me relie à ma famille, si ce n'est mon nom. Ça signifie que, lorsque je sortirai de Poudlard, je serai livré à moi-même, sans personne pour me guider sur le chemin à prendre. Ça signifie aussi que tu es vraiment trop jeune pour moi, et que ce qu'il s'est passé l'autre soir ne se reproduira plus jamais.
C'était injuste, et il le savait parfaitement. Il ne voulait pas se retourner pour voir les larmes perler dans les yeux de Cassidy, pour voir comment il avait, encore une fois, déçu profondément quelqu'un. Il voulait rentrer prendre un bain, et c'était ce qu'il allait faire coûte que coûte.
Il passa le portrait de la Grosse Dame d'un pas rageur et entra dans la Salle commune de Gryffondor.
-Patmol, qu'est-ce que tu fais là ? s'égosilla James en tentant de cacher une horrible banderole.
Sirius planta son regard dans celui de son meilleur ami :
-Ecoute, James. Je ne veux pas de stupide fête, encore moins de stupide banderole. Je veux être seul ce soir.
-Qu'est-ce que c'est que ça ? Tu nous fais une crise parce que tu deviens vieux ? Ecoute, si tu préfères qu'on reste entre amis...
-Ami ? Tu oses parler d'amitié alors que tu gardes tous tes secrets pour toi ? Je ne suis pas ton ami. Je suis tout-au-plus ton partenaire pour trouver de nouvelles blagues. La sensation que tu te donnes d'aider quelqu'un.
Ça aussi, c'était injuste. N'était-il pas celui qui cachait à James ce qu'il se passait entre lui et Cassidy ? Il sortit de la Salle commune en trombe : ce n'était pas d'un bain qu'il avait besoin, c'était de s'éloigner le plus possible de ce château.
Elle n'avait pipé mot depuis le début du repas. Même la part de gâteau à la pomme qu'il y avait dans son assiette réussissait à l'énerver.
-Lily, tu comptes dire ce qu'il ne va pas ou tu préfères qu'on le devine ?
Alice et Nelly l'accompagnaient. Lily n'avait même pas essayé de cacher son désarroi, elle comptait tout simplement ne plus parler jusqu'à ce que la température qui embrasait ses joues diminuent de quelques degrés.
-Je préfère qu'on me laisse tranquille pour l'instant. Demain est un autre jour.
Ses deux amies se regardèrent en soupirant.
-De deux choses l'une : soit tu as appris une mauvaise nouvelle, soit quelqu'un t'a mis dans cet état. Dans tous les cas, c'est probablement quelque chose qui mérite que l'on soit au courant, non ?
Lily réfléchit. Ce n'était pas tant qu'elle n'avait pas confiance en Nelly et en Alice, mais c'était plutôt le fait de le dire à voix haute. Avouer qu'elle avait embrassé James, qu'elle s'était faite attaquée par Malefoy, sauvée par Sirius et que James avait cru bon de l'humilier un peu plus en se servant d'elle comme excuse pour frapper son pire ennemi, ça ne lui semblait pas concevable. Ça rendrait le tout trop réel. Elle concéda tout de même à lever la tête vers ses deux amies. En regardant Nelly, elle se souvint qu'elles étaient meilleures amies depuis leur premier jour à Poudlard, et qu'il n'y avait pas un secret qu'elle n'avait pas partagé avec elle. Aucune de deux n'allaient la juger. Elles pourraient même l'aider à passer le cap de l'humiliation. En prenant une grande respiration, Lily posa sa fourchette :
-Et bien enfaite...
A peine avait-elle pris la décision de tout avouer qu'une énorme chouette hulotte entra dans la Grande Salle et se posa devant elle. A ses pattes était accrochée une unique lettre, à son nom. Déconcertée, Lily prit le parchemin, paya la chouette qui s'envola élégamment hors de la salle et entreprit de lire.
-Enfaite, j'ai besoin d'air. On se verra demain les filles, dit-elle sèchement à la fin de sa lecture.
Elle se leva d'un bond et sortit de la Grande Salle. « Je ne pleurerai pas, pas ce soir, pas maintenant ». Et pourtant, c'était la seule chose qu'elle souhaitait à l'instant : pleurer. Mais elle savait que si elle se laissait aller aux larmes, c'était un torrent qu'elle allait devoir affronter. Elle s'était empêchée de pleurer le week-end durant. Mais elle continua à serrer les dents. Tout ce qui lui fallait, c'était un bol d'air frais. La rousse poussa les portes du château et se retrouva dans l'enceinte principale, qu'elle traversa à la volée. Au loin se distinguait la cabane de Hagrid. Peut-être était-ce auprès de lui qu'elle trouverait du réconfort ? Après tout, il lui était arrivé d'aller visiter le garde-chasse, étant plus jeune, pour se plaindre des cours ou de certains professeurs. Hagrid lui avait toujours remonté le moral, avec ses paroles d'une douceur peu commune pour un demi-géant et d'une gentillesse infinie. Mais elle se doutait qu'il ne lui serait d'aucune aide ce soir-là. Sans s'en rendre compte, elle dépassa sa cabane et se trouva à l'orée de la forêt interdite. Lily s'arrêta net. Elle n'avait pratiquement jamais violé aucune règle de l'école, ou du moins jamais de sa propre initiative. Mais il y avait quelque chose qui la poussait à le faire ce soir-là : la promesse d'être seule. Elle s'engouffra donc la forêt, poussa quelques branches et se trouva au cœur des arbres. Il n'y avait plus de bruit, rien que le bruissement des feuilles. La pénombre rendait la vue difficile, bien que la Lune, qui était bientôt toute remplie, brillait de mille feux. Soudain, un bruit anormal se fit entendre, comme si quelqu'un marchait près d'elle et s'était encoublé à une branche. Elle dégaina sa baguette et son cœur se mit à cogner contre ses tempes. Elle avait peur, et de la peur, elle n'en avait que trop ressenti.
-Qui est là ? lança-t-elle d'une voix qu'elle voulait assurée.
-Moi.
Lily se retourna aussi vite que l'éclair et tomba nez-à-nez avec Sirius. Elle abaissa immédiatement sa baguette et son cœur retrouva un rythme plus régulier : il ne lui ferait pas de mal.
-Qu'est-ce que tu fiches ici Black ?
-Et toi ?
Lily rougit. Elle ne pouvait sortir la carte de la préfète-en-chef, puisqu'elle-même venait juste de violer la règle la plus importante de Poudlard.
-J'avais besoin d'air, et d'être seule.
-Désolé de contrer tes plans. La forêt est grande, on peut sans autre rester chacun dans notre coin.
Puis le jeune homme s'assit contre un arbre, les mains dans les poches, le regard perdu. Lily voulut partir, mais quelque chose l'en empêcha. Elle essaya de se convaincre que ce n'était que parce qu'elle ne voulait pas être seule dans la nuit qui était désormais tombée, mais il y avait bien autre chose. En regardant Sirius, elle ne voyait pas le jeune homme malicieux, parfois vicieux, qu'elle ne connaissait que trop bien. Il semblait au bord d'un gouffre que lui seul pouvait voir. Sans réellement s'en rendre compte, elle se laissa tomber à côté de lui :
-J'ai entendu dire que c'était ton anniversaire.
-A ce qu'il parait.
-Et bien... Bon anniversaire.
-Merci.
-Tu sais, je crois qu'ils t'ont préparé une fête, là-haut. Tu ferais peut-être bien de t'y pointer.
-A mon avis, elle n'aura pas lieu.
Lily comprit au ton du jeune homme qu'il ne souhaitait pas en parler. Mais elle savait aussi bien que quiconque que tout le monde avait besoin de parler de ses soucis. Il fallait juste trouver une oreille attentive.
-Pourquoi ça ?
-Tu ne comprendrais pas.
-Essaye. Au pire, tu auras dit un secret à Lily Evans, et nous serons quitte : tu ne dis rien à personne concernant Malefoy, je ne dis rien concernant ton secret. Au mieux : je comprendrai peut-être.
Elle vit le jeune homme hésiter.
-Rien de bien palpitant au final. J'ai dix-sept ans aujourd'hui, et aucun membre de ma famille n'a tenu bon de me le souhaiter. Pas que je m'y attendais, surtout pas. Mais enfin... J'imagine que c'est officiel à présent : je suis renié de la famille Black. Je ne dis pas que ce n'est pas ce que je voulais : j'ai passé ma vie à les fuir, et c'est moi qui ai pris la décision de quitter cette maison horrible. C'est juste que... Imaginer que je suis maintenant un adule, que je doive décider de mon futur, et que je vais devoir le faire tout seul et bien... ça m'a fichu un coup.
La rousse se tut pendant un instant.
-Figure-toi que je te comprends.
Sirius haussa un sourcil :
-Sans vouloir te vexer Lily, je ne suis pas certaine que tu puisses me comprendre. Je sais bien que tu ne m'aimes pas, tu n'as pas besoin de rester, je ne vais pas faire de bêtises tu sais.
-Si je voulais partir, je l'aurais fait. Je ne te déteste pas. Pas vraiment... Je n'aime pas ton attitude, ni tes blagues, ni ton comportement. Mais toi, je ne te connais pas assez pour t'apprécier ou non. Cependant, je te comprends. Je viens de recevoir une lettre de mes parents : ma sœur s'est mariée. Un mariage moldu, comme j'en rêvais étant petite. Dans mes rêves, j'aurais accompagné ma sœur jusque dans l'Eglise. La réalité est toute autre : elle s'est mariée sans m'en parler, et la personne qui l'a accompagnée n'était autre que la sœur de son mari, une certaine Marge. Pétunia me déteste. Et réellement. Je ne suis qu'un monstre à ses yeux. Et, quand j'aurai dix-sept ans, probablement que je ne ferai plus partie de sa famille non plus. Ironique, quand on y pense... Je suis un monstre pour elle et, à Poudlard, je suis un monstre aux yeux de certains élèves. Je comprends ce que tu ressens : tu as l'impression que tu n'appartiens à personne, que ta place n'est nulle part. Je ne connais ta famille que par réputation, donc je ne vais pas parler pour eux. Mais en ce qui concerne ta vie ici, à Poudlard, et bien... Tes amis t'ont organisé une fête, pas vrai ? Et crois-moi, ils y mettaient du cœur. Je sais d'expérience que l'on ne choisit pas sa famille, mais on choisit ses amis. Il y a sûrement une raison pour ça, tu ne crois pas ?
Elle avait parlé posément, facilement. Elle n'avait plus envie de pleurer : le dire à voix haute faisait certes d'un problème une réalité, mais c'était aussi l'accepter. Sirius la regardait. Si intensément qu'elle en aurait rougi s'il avait fait jour. Elle pouvait voir le gris de son regard même à travers le bleu de la nuit.
-Je comprends mieux maintenant, dit-il soudainement avec un sourire sincère.
-Quoi ?
-Ce que certains te trouvent. Je crois qu'il est temps que l'on rentre, maintenant.
-J'attendais que tu dises ça, je meurs de peur dans ses bois !
Il éclata de rire en se relevant, et l'aida à reprendre pieds. Alors qu'ils se dirigeaient vers la sortie de la forêt, un bruit, cette fois-ci presque imperceptible, attira leur attention.
-C'est peut-être les centaures, suggéra Lily, dont la peur revint à la surface.
-Regarde, il y a de la lumière là-bas !
Sirius alluma sa propre baguette et se dirigea vers la source du bruit, une Lily plus qu'hésitante à ses côtés.
-Oh non, pas ça ! s'écria soudain Sirius.
-Qu'est-ce qu'il se passe ?
-C'est mon frère, ils sont entrain de lui faire quelque chose !