- Redresse-toi, Narcissa.
La jeune femme pinça les lèvres et obéit à sa mère. Elle raidit son dos et releva le menton, tandis que son regard partait papillonner en direction de la porte close sans qu’elle puisse l’en empêcher. L’expression sévère de Druella la rappela à l’ordre et elle se recomposa immédiatement un visage lisse de circonstances. Une dame ne pouvait montrer son impatience en une quelconque occasion, même lors de la visite de son futur mari. Et Narcissa se devait d’être une dame soignée, jusqu’au bout des ongles.
- Ils ne devraient plus tarder, murmura Druella, un œil sur l’énorme pendule familiale accrochée au-dessus de la cheminée.
Narcissa sentait la nervosité monter en elle, crisper ses entrailles et enserrer sa gorge. Elle avait croisé ses mains moites sur ses genoux, dans l’espoir de dissimuler leurs tremblements.
- Je compte sur toi pour être exemplaire. Tu ne peux pas laisser aux Malefoy l’opportunité de se rétracter.
- Je sais bien que je n’étais pas le premier choix de Lucius, Mère, répondit Narcissa, mais je vous promets que je ne ferais rien pour entretenir ses hésitations.
Elle serra les dents, le visage tendu. Elle n’avait pas besoin qu’on lui rappelle sans cesse que son fiancé l’avait au départ dédaignée. C’était déjà assez humiliant et douloureux comme cela d’y repenser à chaque fois qu’elle croisait ses prunelles froides.
L’apparition soudaine de leur vieille Elfe de Maison empêcha Druella de réprimander sa fille pour sa dernière réplique.
- Les Malefoy sont arrivés, Mrs Black.
- Parfait. Fais-les entrer. Et sers-nous le thé.
La créature s’inclina et s’exécuta aussitôt. Narcissa prit une brève inspiration et présenta son meilleur profil à la double porte d’acajou. Elle savait pertinemment que dans cette position, la douce lumière de cet après-midi hivernal donnait à ses cheveux une couleur de lune et sublimait la délicatesse de ses traits.
Inconsciemment, ses mains se crispèrent lorsque les Malefoy firent leur entrée. Elle attendit quelques secondes avant de se tourner vers eux avec grâce, l’air parfaitement calme. Mais sous son crâne régnait une véritable tempête.
Lucius portait une cape de fourrure noire aux accroches d’argent qui tranchait avec sa peau pâle. Ses longs cheveux d’or étaient attachés par un ruban de soie vert foncé, dégageant les traits aristocratiques de son visage. Ses yeux froids balayèrent la salle avant de se poser sur elle. Elle frissonna devant la puissance de son regard et laissa échapper un sourire. Elle avait toujours été subjuguée par l’arrogance de ses traits, et non intimidée comme la plupart des gens. Elle admirait sa façon de se tenir, comme s’il possédait le monde. Comme si rien ne lui faisait peur.
- Enchantée, Mr Malefoy, le salua-t-elle.
Sous le regard satisfait de sa mère, Narcissa se leva et tendit sa main à son futur époux. Ce dernier sembla hésiter un instant avant de la saisir et de l’effleurer de ses lèvres froides. La jeune femme frissonna au contact de ses doigts glacés, autant de surprise que de délice. La proximité entre eux était si rare.
- Mrs Malefoy, ajouta-t-elle en se tournant vers sa future belle-mère.
Elle s’inclina en une révérence parfaite et Annabeth Malefoy eut un sourire appréciateur.
- Quel plaisir de vous voir, mes chères, répondit-elle d’une voix onctueuse.
Elle échangea avec Druella quelques amabilités convenues tout en s’installant autour de la table basse en bois d’amarante, sur laquelle était positionné le service à thé. Narcissa reprit place sur la causeuse qu’elle avait quittée, sa jupe en lin gris anthracite s’étalant autour d’elle en plis parfaits. Son cœur battait à toute vitesse dans sa poitrine. Il s’agissait de la première visite officielle des Malefoy depuis l’annonce de leurs fiançailles et elle espérait beaucoup de cette rencontre. Elle n’attendait que cette occasion pour prouver à Lucius qu’elle pouvait être tout aussi méritante que sa sœur.
Mais à son plus grand effroi, Lucius dédaigna la place à ses côtés pour s’asseoir dans un fauteuil de soie verte, à l’opposé d’elle. La déception fut si forte qu’elle peina à la dissimuler. Ses mains se crispèrent sur ses cuisses et elle serra les dents avec force.
- Tu devrais t’asseoir aux côtés de ta fiancée, Lucius, fit remarquer sa mère d’une voix impassible, sous laquelle couvait une pointe d’irritation. Druella et moi avons des choses importantes à discuter et il serait impoli de la laisser seule.
Durant un infime instant, Narcissa fut certaine qu’il s’apprêtait à argumenter. Mais le regard inflexible de sa mère sembla le faire changer d’avis. Réticent, il obéit et vint s’asseoir à ses côtés, le plus loin possible pour ne pas la toucher, évitant résolument son regard. Les joues rougies par l’humiliation, Narcissa dut se faire violence pour maîtriser le tremblement de ses mains.
- Un morceau de sucre dans votre thé, Mr Malefoy ? demanda-t-elle d’une voix mesurée.
- Non, merci, je n’en bois pas.
Son ton cassant accentua l’écarlate de ses joues, mais elle continua d’agir comme si de rien n’était. Elle saisit sa propre tasse et se mit à siroter son thé, en bonne petite fille bien élevée qu’elle était.
Lucius ne desserra pas les dents de tout l’après-midi, malgré les longs regards d’avertissement de sa mère. Druella faisait également les gros yeux à sa fille, mais Narcissa eut beau tenter de faire le premier pas, elle ne cessait d’encaisser rebuffades sur rebuffades et finit par s’enfermer dans un silence outragé.
Les yeux fixés sur la tasse en porcelaine entre ses mains, elle combattait son amour propre à chaque instant pour rester assise ici, un masque calme et serein sur le visage. Faire comme si elle ne se sentait pas profondément humiliée par son attitude hautaine. Malgré toutes ses suppositions, jamais elle n’aurait cru que leur premier rendez-vous officiel en présence de chaperons se passerait ainsi.
Lucius et elle s’étaient côtoyés à Poudlard, mais toujours brièvement, toujours de loin. Il avait un an de plus qu’elle, un groupe d’amis influents et ne faisait pas attention à elle. Elle n’était que la dernière des Black, pâle et silencieuse, une petite poupée blonde obéissante. Quelconque à ses yeux. Si fade par rapport au feu et à la passion qui habitaient Bellatrix. Un feu par lequel il s’était laissé aveugler.
Narcissa resta les yeux fixés sur ses mains, sans prononcer un mot de plus, à ruminer et se désespérer sur l’indifférence de son fiancé si taciturne. Son manque total d’attention était comme un couteau qui s’enfonçait dans ses plaies ouvertes.
- Votre sœur n’est pas à la maison ?
Sa question soudaine la fit sursauter. Une goutte de thé s’écrasa sur sa jupe sans qu’elle y prenne garde. Elle releva la tête et fixa ses yeux dans les prunelles froides qui la regardaient enfin, malgré elle heureuse d’avoir un semblant d’attention.
- Pardon ? demanda-t-elle d’un ton poli.
Elle avait été si perdue dans son auto-apitoiement qu’elle n’était pas sûre de ce qu’il lui avait dit.
- Votre sœur, répéta Lucius, manifestement agacé. Elle n’est pas à la maison ?
Narcissa sentit son cœur sombrer dans sa poitrine. Etourdie, il lui fallut quelques instants pour rassembler ses moyens et répondre d’une voix atone.
- Non. Bellatrix n’est pas ici. Je vous prie de bien vouloir m’excuser.
Elle reposa sa tasse sur la table basse, éclaboussant le bois de thé froid et se leva sans attendre. Elle marmonna à sa mère qu’elle ne se sentait pas très bien, pria Mrs Malefoy de bien vouloir lui pardonner et s’éclipsa sans un regard en arrière. Elle ignora les yeux furieux de Druella et la moue contrariée de Lucius. La brûlure de l’humiliation lui faisait monter des larmes aux yeux.
Narcissa monta sans attendre au premier étage et s’enferma dans sa chambre, où elle put enfin laisser libre cours à son chagrin et sa colère. Ceci n’était pas une conduite digne d’une jeune fille de bonne famille et sa mère la réprimanderait sûrement dès le départ de leurs hôtes. Mais cela n’avait pas d’importance pour l’instant. Elle s’étendit sur son lit duveteux, les membres las. Elle fixa sans le voir le plafond haut, les dents et les poings serrés.
Elle était amoureuse d’un homme qui n’avait d’yeux que pour sa sœur, qui refusait de la voir telle qu’elle était réellement. Coincée dans un mariage sans amour, où elle ne connaîtrait que honte et jalousie à chaque fois que Bellatrix serait dans les parages. Si cela ne tenait qu’à elle, elle aurait brisé ses fiançailles sans hésitation. Mais elle n’était pas seule dans cette histoire. Sa famille ne se relèverait pas d’un tel coup bas. Elle était la seule à pouvoir sauver l’honneur des Black. Cette union prestigieuse n’était pas forcée, mais fortement encouragée des deux côtés, et s’en retirer n’attirerait que honte et opprobre sur leur nom.
Durant un instant, sa colère s’intensifia. Elle en voulut à Andromeda pour sa légèreté et son inconscience. Son aînée avait jeté son héritage aux orties sans hésitation pour un Né-Moldu et maintenant c’était à elle de réparer les pots cassés. De mettre ses envies et son amour propre de côté pour le bien de la famille.
Cependant, la pensée d’Andy raviva bien vite sa tristesse. La fuite de sa sœur était encore trop fraîche pour qu’elle y pense sans douleur. Leurs parents l’avaient rayée de leur vie, définitivement. Ils agissaient comme s’ils n’avaient toujours eu que deux filles. Mais c’était plus difficile pour elle, tellement plus difficile. Elle qui avait été si proche d’Andy vivait son départ comme une trahison personnelle. Et ne plus pouvoir ne serait-ce que mentionner son nom ou des souvenirs communs ne faisait que raviver sa peine.
Presqu’inconsciemment, Narcissa glissa une main fine sous son oreiller et en ressortit une lettre de parchemin jaunie, à l’encre délavée et effacée par le temps. L’écriture familière d’Andy fit naître des larmes au coin de ses yeux. C’était la dernière missive qu’elle avait reçue. Celle pour lui annoncer la naissance de la petite Dora. Il y avait presque un an.
Après cela, Narcissa lui avait demandé de ne plus lui écrire. Pas parce qu’elle n’en avait plus envie, loin de là. Ces quelques mots jetés sur papier étaient la dernière chose qui lui restait de sa sœur et elle les chérissait plus que tout au monde. Elle lui avait fait cette requête par peur. Peur que sa mère, son père, Bella découvrent ces lettres et entrent dans une colère folle. Peur que tout s’écroule si l’on découvrait leur correspondance secrète. Peur de tout perdre.
C’était en ce genre d’instants que Narcissa regrettait la présence de sa grande sœur. Elle était sûre que si Andy était à ses côtés, elle aurait compris. Elle lui aurait dit de ne pas se marier à Lucius, qu’elle valait mieux que ça. Qu’elle devrait tenir tête à leur mère et affirmer ses propres choix.
Un coup sec frappé contre sa porte ramena brusquement Narcissa à la réalité. Elle se hâta de dissimuler la lettre sous son oreiller et se redressa en essuyant les traces de larmes sur ses joues. Elle se recomposa une façade lisse et se leva avec réticence. Une main sur le bouton froid de la porte, elle prit une profonde inspiration pour reprendre le contrôle de sa respiration tremblante.
Elle n’avait pas le loisir de se perdre dans des rêves hypothétiques. Andy n’était plus là. Et elle se devait d’accomplir son devoir pour sauver l’honneur de la famille. Même si cela signifiait épouser un mari qui lui était indifférent.
Les yeux emplis de résignation, Narcissa ouvrit la porte, prête à recevoir les réprimandes de sa mère.