Avec une précaution toute particulière, Neville ferma la porte d'entrée après être rentré de sa promenade dans les jardins. Augusta Londubat recevait des amies en cet après-midi du 29 juillet pour le thé, et le jeune garçon ne tenait pas particulièrement à les croiser, préférant grandement monter dans sa chambre pour lire plutôt qu'écouter les banalités que pouvaient s'échanger des septagénaires de la bonne société sorcière en fixant la tapisserie pour éviter tout contact visuel.
Il avança alors à pas de loup sur le parquet du couloir, évitant tout grincement inopportun ayant pu signaler sa présence. C'est avec une pointe de fierté qu'il atteignit les escaliers menant à l'étage.
« Augusta, je n'ai pas besoin de te rappeler que tant que le garçon n'a pas reçu sa lettre, rien ne certifie qu'il soit effectivement un sorcier. »
La voix douce qui prononça cette phrase appartenait à la vénérable Griselda Marchbanks, une amie de longue date de sa grand-mère. Elle eut le mérite d'arrêter Neville dans son élan et de créer un silence embarrassant et embarrassé dans le salon. Le jeune garçon n'avait pas besoin d'assister à la scène pour savoir qu'Augusta Londubat foudroyait en ce moment-même sa vieille amie de ses yeux bleu électrique pour avoir osé dire tout haut ce qu'elle craignait tout bas.
Mrs Marchbanks n'avait pas tort et ne disait pas cela avec malveillance, pourtant Neville perçut lui aussi cette phrase comme un coup de poignard dans le cœur. Parce qu'il le savait, il était différent. Parce qu'il n'était pas aussi talentueux que son père à son âge. Parce que le mot Cracmol se répétait inlassablement dans un coin de sa tête.
« Rien ne prouve non plus qu'il est un Cracmol. » poursuivit la sorcière sur un ton rassurant.
Le jeune garçon, qui s'apprêtait à monter les marches menant jusqu'à sa chambre, s'arrêta à nouveau et tendit l'oreille, avec curiosité et appréhension, pour entendre la réponse de sa grand-mère à travers la porte close. Une seconde, deux secondes... Neville respirait le plus silencieusement possible, limitant ainsi les risques d'être découvert.
Il savait qu'il aurait dû se retirer dans sa chambre, maintenant qu'il était rentré de sa promenade. Sa grand-mère n'aimait pas qu'on écoute aux portes et elle lui avait souvent répété qu'un vrai homme ne se cachait pas.
Neville avait horreur de décevoir sa grand-mère et il ne voulait pas risquer de recevoir des remontrances publiques, aussi décida-t-il de grimper rapidement les marches. Une fois à l'étage, il ne tarda pas à rentrer dans sa chambre. Son lit, qu'il avait laissé au petit matin, avait été fait par un des elfes de maison. Mis à part ça, ses affaires demeuraient dans le même état.
Le jeune adolescent poussa un soupir avant de s'effondrer sur son lit, les yeux fixés sur le plafond. Ses vêtements lui collaient à la peau, et il pouvait jurer avoir attrapé des coups de soleil. Il fallait dire que Neville avait passé la majorité de son temps dehors ces dernières semaines, évitant au maximum les visites des amies de sa grand-mère, ou celles de son grand-oncle Algie... Tous n'avaient qu'une question à la bouche : « Le petit a-t-il reçu sa lettre ? »
Évidemment, tout sorcier devait recevoir une lettre de Poudlard avant le jour de ses onze ans. C'était source de réjouissance, et d'excitation dans de nombreuses familles sorcières. Hélas, dans le manoir du Yorkshire appartenant à Augusta Londubat, cet événement était plus source d'inquiétude qu'autre chose. La magie de Neville ne s'était manifestée qu'une fois, lors d'un malheureux accident causé par son grand-oncle Algie... Lâché dans le vide, seule la magie avait permis à Neville de rester en vie ce jour-là. Mais, depuis cet incident, c'était le néant. Pas la moindre goutte de magie n'était sortie de son corps.
Son grand-oncle Algie avait été interdit de visite au manoir pendant deux bons mois, et plus jamais il n'avait essayé de mettre Neville en danger ou de le pousser dans ses retranchements. Sans doute était-ce là la condition posée par sa grand-mère pour qu'il revienne le voir...
Dix-sept heures quarante-cinq, indiquait le réveil posé sur sa table de nuit. Neville sortit de sa rêverie. Il était temps pour lui d'aller prendre sa douche.
Dans quelques heures, Neville aurait onze ans. Et il n'avait toujours pas reçu sa lettre. Cela ne pouvait signifier qu'une chose, n'est-ce pas ? Qu'il était réellement ce que tout le monde pensait de lui : un Cracmol. Qu'allait-il faire de sa vie, dans ce cas ? Allait-il être envoyé chez les moldus ? Ou lui permettrait-on tout de même de vivre dans le monde de la Magie ?
La chaleur de l'eau sur sa peau le soulagea un peu, créant un semblant de réconfort en cet affreux cauchemar qu'il vivait et estompa légèrement l'agitation qui l'animait. La vapeur d'eau embua rapidement la cabine de douche, lui donnant l'impression d'être enveloppé dans une bulle, sa petite bulle à lui. Il en arrivait presque à oublier ces soucis qui le rongeaient, préférant se concentrer sur le jet d'eau qui se déversait sur son corps.
« Le souper sera servi dans une vingtaine de minutes, Mr Londubat. » l'informa alors la petite voix aigue de Timiny à travers la porte.
Neville répondit brièvement qu'il se dépêchait, ferma le robinet et sortit de la cabine de douche. Il s'habilla ensuite pour assister au repas, et descendit dans la salle à manger, où l'attendait déjà sa grand-mère.
Contrairement à ses habitudes, Augusta Londubat ne s'était pas encore attablée. Elle se tenait devant le buffet en bois de son arrière-grand-mère, dont les ornements avaient été réalisés par des gobelins. Bien qu'elle soit dos à lui, Neville aurait pu jurer que des larmes silencieuses coulaient sur ses joues alors qu'elle observait une photographie de son fils et sa belle-fille posée sur ce buffet.
Mais Augusta Londubat était une femme forte, qui ne supportait pas de montrer le moindre signe de faiblesse. Aussi, dès qu'elle entendit les pas légers de son petit-fils s'approcher d'elle, elle porta une main à son visage, sans doute pour essuyer les traces de son chagrin et s'adressa à lui d'une voix très légèrement rauque, sans le regarder dans les yeux :
« Tu sais, Neville, tes parents étaient vraiment exceptionnels. »
Il hocha la tête, les yeux fixés sur la photographie en noir et blanc sur laquelle ses parents souriaient avant de s'embrasser tendrement. Une pointe d'amertume entacha légèrement son humeur. Il adorait entendre les histoires que sa grand-mère avait à lui raconter sur ses parents, ou regarder avec elle des albums remplis de photos d'eux, mais dernièrement, la fierté que sa grand-mère éprouvait envers ses parents avait tendance à lui rappeler à quel point il n'était pas à la hauteur.
Quand la vieille horloge du salon sonna huit heures, Neville était déjà remonté dans sa chambre, avait enfilé son pyjama rayé avant d'enfouir son nez dans son oreiller. Depuis qu'il était sur son lit, il comptait les secondes qui le séparaient de minuit. Encore quatorze mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf, quatorze mille quatre cent quatre-vingt-dix-huit, quatorze mille quatre cent quatre-vingt-dix-sept...
Treize mille deux cent quarante. Le bruit d'un objet qui claqua contre le carreau de sa fenêtre lui fit perdre le décompte et il releva la tête aussi sec.
Non, ça n'était pas possible, il n'en croyait pas ses yeux !
Sur le rebord de sa fenêtre se tenait un majestueux hibou grand duc, dont les plumes tachetées de noir faisaient ressortir la sévérité de ses yeux. Deux grosses billes jaunes scrutatrices et froides qui eurent vite fait de le mettre mal à l'aise. On comprenait pourquoi personne ne s'amusait à caresser les hiboux : ces oiseaux n'avaient rien d'affectueux ! Les plumes sombres que ce grand duc portait au-dessus de ses yeux et faisant penser à des sourcils se relevèrent d'un coup, comme pour accentuer le malaise qui étreignait le jeune garçon.
« Calme-toi, Neville ! Les hiboux ne savent pas user de la Légilimancie. » chuchota-t-il pour se rassurer.
Il finit alors par détourner son regard sur ce qui l'avait subjugué en premier lieu, et inspira bruyamment en avisant l'enveloppe que le rapace tenait fermement dans son bec.
Neville n'avait jamais reçu de courrier de sa vie, et le seul qu'il attendait ne pouvait venir que d'un expéditeur : Poudlard.
Aussitôt que cette pensée se glissa dans son esprit, la paume des mains de Neville se fit moite, tandis que son coeur s'emballait. Incapable de faire le moindre mouvement, il continuait à fixait le bec de l'hibou avec des yeux exorbités et la bouche grande ouverte.
S'impatientant du manque de réaction dont le petit homme faisait preuve, le hibou tapa à nouveau contre le carreau, et déploya ses larges ailes, comme pour démontrer toute sa puissance. Cela eut le mérite de faire réagir Neville qui se précipita à sa fenêtre, inquiet à l'idée que ce messager reparte pour Poudlard sans lui avoir délivré sa lettre.
A peine eut-il déverrouillé le loquet fermant sa fenêtre, que le grand duc lâcha le courrier et s'enfuit en un battement d'ailes, comme s'il avait beaucoup plus important à faire que de regarder un enfant vivre le meilleur moment de sa courte vie.
Encore légèrement étonné par l'attitude du volatile, Neville le regarda s'éloigner, bouche bée. Il s'empressa ensuite de fermer sa fenêtre, ramassa une plume noire laissée par le hibou qu'il posa sur son bureau. Et enfin, il ramassa la lourde enveloppe jaunie sur laquelle l'encre de couleur émeraude s'étalait en une écriture fine et distinguée.
Mr Neville Londubat
Chambre du premier étage, en face de la serre
Manoir des Londubat
Yorkshire
Le coeur battant à tout rompre, Neville entreprit de décacheter l'enveloppe, retirant alors le sceau de Poudlard. Il fallait qu'il lise, qu'il ait enfin la preuve. Les mains tremblantes, il réussit tout de même à tenir la lettre qui lui était adressée, laissant tomber par terre sans plus de cérémonie l'enveloppe et le reste de son contenu.
Peu soucieux de l'entête, Neville porta immédiatement son regard sur la partie de la lettre qui l'intéressait. En réalité, il s'agissait d'une seule phrase :
Cher Monsieur Londubat,
Nous avons le plaisir de vous informer que vous bénéficiez d'ores et déjà d'une inscription au collège Poudlard.
« GRAND-MERE ! » s'écria-t-il d'une voix si forte qu'elle fit trembler ses poumons et peut-être aussi le reste du manoir.
Les yeux toujours fixés sur la même phrase, Neville ne put empêcher une larme de couler librement sur sa joue. Elle était là, la preuve qu'il était un sorcier, et pas un Cracmol qui entacherait la mémoire de ses parents.
« Enfin, voyons, Neville, tu sais bien que je ne supporte pas que l'on crie sous mon toit, alors j'espère que... »
Sa grand-mère, vêtue d'une robe de chambre à carreaux et de bigoudis magiques s'agitant sur son crâne, s'interrompit quand elle remarqua le parchemin qu'il brandissait. Leurs yeux se croisèrent ensuite et Neville lut un mélange de soulagement, de joie intense et de fierté dans ceux d'Augusta Londubat. Des émotions qui, il en était persuadé, se retrouvaient aussi dans ses yeux à lui.
« Oh, viens dans mes bras mon chéri, je suis tellement heureuse ! » s'exclama soudain sa grand-mère.
Sans lui laisser le choix, elle l'emprisonna dans une étreinte que Neville eut énormément de plaisir à lui rendre. Cela faisait si longtemps que sa grand-mère ne lui avait pas fait de câlins... Le tenant toujours serré dans ses bras, sa grand-mère ne cessait de parler :
« Demain, on amènera ta lettre à tes parents quand nous irons les voir, d'accord ? Ils seront si fiers de toi ! Oh, il faut absolument que j'envoie un hibou à Algie et Enid ! Et à Griselda ! Ils vont tous être si heureux pour toi ! »
Augusta dégagea une mèche de cheveux un peu longue qui tombait devant les yeux de son petit-fils avant de poser un baiser sur son front, et quitta ensuite sa chambre, sans doute pour écrire les fameuses lettres dont elle parlait.
Neville, quant à lui, s'affala sur son lit, un sourire béat plaqué sur ses lèvres. Il était un sorcier.