Remus avait repris son travail à Pré-au-Lard, bien qu'il eût emménagé au château avec elle. Ce travail lui laissait beaucoup de temps libre qu'il occupait à rattraper tout le temps perdu avec son épouse.
Le reste du temps, Morgwen le passait en compagnie de Rolanda Bibine qui lui apprenait tout ce qu'il y avait à savoir sur la vie de sorcière.
Trois jours s'étaient écoulés depuis son mariage et la vie était belle.
Le matin du quatrième jour, alors qu'elle prenait son petit-déjeuner dans la Grande Salle avec Remus, elle vit entrer un vieux sorcier inconnu. Sa barbe et ses cheveux blancs comme neige étaient serrés dans sa ceinture, il portait une robe bleu nuit aux motifs étoilés et des lunettes en demi-lune sur le nez.
Albus Dumbledore…
Le directeur s'assit à sa place, au milieu de la table des professeurs et commença de déjeuner comme s'il venait de se lever.
Morgwen ne put s'empêcher de le dévisager curieusement. Elle en avait tant entendu parler ! Quel âge pouvait-il avoir ? Soixante-dix ans ? Quatre-vingt ? Ce devait être un très vieil homme – Remus l'avait toujours connu avec des cheveux blancs – mais il se tenait droit et riait en s'adressant à McGonagall comme un enfant…
S'interrogeant, elle jouait avec son alliance. Depuis quatre jours, elle n'avait pas encore pris l'habitude de la porter et avait une tendance à la tripoter chaque fois qu'elle était nerveuse.
Remus, ayant fini de manger, se leva, l'embrassa sur le front et partit pour le village.
Morgwen s'apprêtait à l'imiter lorsque Dumbledore l'interpella.
-- Madame Lupin. Venez donc vous asseoir près de moi.
McGonagall était sortie après avoir apparemment mis le directeur au courant du mariage.
Morgwen obéit avec hésitation. Bien qu'elle ne pût l'expliquer, il l'intimidait énormément.
-- Morgwen… Vous permettez que je vous appelle Morgwen ?
Elle acquiesça.
-- Je suis ravi de voir que votre captivité prolongée n'a pas altéré votre santé.
Elle avait juste accouché d'un enfant mort-né et été saignée… Évidemment, à part ça…
-- J'ai malheureusement de mauvaises nouvelles pour vous…
Dumbledore la regardait par-dessus ses lunettes et son regard semblait lire le fond de son âme. Remus lui avait dit que son regard à elle lui faisait parfois le même effet…
-- Que Lawhead et ses compères aient été envoyés à Azkaban ne change rien à la menace que votre sang fait peser sur le monde…
De quelle menace parlait-il ?
-- Je vois que vous ne comprenez pas… Hmmm… Peut-être n'est-ce pas le meilleur endroit pour en discuter. Nous devrions…
-- Non ! coupa-t-elle. Quoi que vous ayez à me dire, dites-le moi maintenant !
-- Très bien… Mon enfant, vous êtes la dernière descendante vivante de Morgane la Noire. Savez-vous qui était Morgane ? Oui ? Bien. Vous savez donc qu'elle avait trouvé le moyen de conserver sa jeunesse, capacité qu'elle a transmise par son sang à ses filles. Son sang s'est mélangé petit à petit au fil des générations, ce qui fait que si un sorcier voulait l'utiliser aujourd'hui, il devrait vider sa dernière descendante de tout son sang. Vous vider de tout votre sang…
Morgwen frissonna, se remémorant la cérémonie, le couteau qui lui avait entaillé les poignets, ouvert les veines…
-- Si un groupe de mangemorts a trouvé votre trace pour tenter de ramener Voldemort à la vie, reprit Dumbledore, d'autres y parviendront. Donc, tant que Voldemort n'aura pas été détruit, vous représentez un danger…
Dumbledore lui avait exposé son plan. Elle devait en parler à Remus.
Pourquoi son bonheur avait-il été si court ? Était-ce bien le seul moyen ?
Allait-elle accepter ? Avait-elle le choix ?
Que dirait Remus ?
Il la trouva dans leur appartement, perdue dans ses pensées, le regard fixé sur une de leur photo de mariage.
-- Morgwen ? Ça ne va pas ?
Elle lui sourit sans répondre et se leva de son fauteuil. Le prenant dans ses bras, elle l'embrassa profondément. Le corps de Remus répondit à son baiser.
Ils n'avaient pas atteint la chambre à coucher. Ils reposaient tous deux sur un tapis devant la cheminée. Remus s'était endormi, un sourire sur les lèvres.
Il était encore heureux…
Que dirait-il ?
Elle le réveilla d'un baiser.
-- J'ai quelque chose à te dire…
Son ton sérieux et triste le réveilla tout à fait. Il se souleva sur un coude et la regarda, interrogateur.
Elle lui répéta les paroles de Dumbledore.
-- Un danger ? S'écria-t-il. Non ! En tout cas pas tant que tu resteras ici…
-- Ça ne sera pas suffisant. Il faut que personne ne me trouve. Jamais. Tant que Voldemort peut revenir…
-- Mais comment pourrions-nous nous cacher ?
-- Dumbledore a trouvé un moyen de me cacher, soupira-t-elle. Un moyen qui me permettra de rester à Poudlard et d'apprendre tout ce qu'une sorcière devrait connaître…
Il poussa un soupir de soulagement.
-- Mais ça ne va pas te plaire…
Elle jouait à nouveau avec son alliance. Combien de temps avant qu'elle puisse à nouveau la porter ?
-- Il m'a parlé d'une potion que Rogue serait capable de concocter, reprit-elle. Une potion aux effets irréversibles…
Elle devait lui expliquer… Comment le prendrait-il ? Pourrait-il accepter ?
-- Cette potion rajeunirait mon corps de treize ans… A l'intérieur, je serais toujours une femme… Ta femme… Mais extérieurement, je ressemblerais à n'importe quelle petite fille commençant ses études au château…
-- QUOI ?
Remus s'était relevé brusquement et la regardait horrifié. Elle continua néanmoins.
-- Il m'a expliqué que ça n'allait pas me permettre de rallonger ma vie… Mon corps aura toujours les mêmes capacités, les mêmes désirs…
-- Ne me dis pas que tu as accepté !
Elle le regarda douloureusement et il lut la réponse dans ses yeux.
-- Dans ce cas, qu'il me rajeunisse aussi ! Que nous ayons le même âge !
-- Ce n'est pas possible, Remus… Cette potion sera préparée à partir d'un peu de mon sang… Tu n'as pas le sang de Morgane…
-- Il doit y avoir un autre moyen ! rugit Remus. Je ne veux pas être marié à une enfant ! Comment pourrai-je retenir l'envie que j'ai de toi ? Non ! Je ne peux même pas t'imaginer si jeune et moi…
Elle ne répondit rien. Que pouvait-elle dire ? Si Dumbledore n'avait pas vu d'autre moyen, comment pourraient-ils en trouver ?
Il ne restait qu'à Remus à accepter.
Trois anneaux entrecroisés. L'un en or jaune, le deuxième en or rouge, le dernier en or blanc… A l'intérieur du jaune, le nom de Remus était gravé en lettres minuscules. Sur le rouge, c'était son nom à elle. Et l'autre restait vierge…
Morgwen jouait de nouveau avec son alliance. Elle l'avait aimée dès le moment où Remus le lui avait montrée. Il portait la même…
Ces trois anneaux inséparables…
Remus, elle et… un troisième être dont il ne pourrait jamais se séparer mais qui n'avait pas de nom…
Un anneau blanc comme la lune… Un anneau blanc comme l'argent…
-- Madame Lupin ?
Elle se retourna vivement en reconnaissant la voix du garde-chasse.
-- Combien de fois vous ai-je demandé de m'appeler Morgwen, Hagrid ? répondit-elle en souriant tristement.
-- Pardon Morgwen, reprit-il. Vous cherchez Remus ?
Effectivement, elle s'était rendu dans la Grande Salle dans cette idée, n'ayant pas trouvé son mari près d'elle à son réveil.
-- Il est allé voir le professeur Dumbledore. Par la barbe de Merlin, il avait l'air en colère quand je l'ai croisé !
Hagrid lui jeta un coup d'oeil interrogateur, espérant probablement qu'elle pourrait l'éclairer sur le comportement de Remus, mais elle se contenta de hocher les épaules.
-- Tant pis, dit-elle.
Elle était déçue. Combien de temps leur resterait-il, à Remus et elle, avant d'être à nouveau séparés, non par la distance, mais par quelque chose de bien pire ? Elle avait espéré profiter de tous ces instants avec lui.
-- Euh… commença Hagrid d'un air maladroit. Peut-être que… Euh… Vous ne voudriez pas voir vos chevaux ?
-- Mes chevaux ? Mes chevaux sont ici ?
-- Eh bien… Oui. Remus est rentré avec eux cet hiver. Je m'en suis occupé depuis parce que, il faut bien le reconnaître, le soin des animaux, c'est pas vraiment son truc…
Morgwen avait complètement oublié ses deux étalons, avec lesquels elle avait pourtant vécu de longs mois solitaires en pleine nature. Elle suivit Hagrid jusqu'à un enclos à l'écart de sa cabane.
Dès qu'ils les entendirent approcher, les animaux hennirent, reconnaissant la jeune femme, et accoururent vers la barrière. Deux chevaux fins et racés, l'un noir comme le jais, l'autre exhibant une robe brune à la crinière et à la queue sombres.
-- Myrddin ! Artus ! s'écria Morgwen en sautant la barrière et en serrant les deux chevaux contre elle chacun à leur tour.
Ses deux amis… Témoignages de sa vie d'autrefois… Sa vie avant qu'elle ne rencontrât Remus…
Remus…
Son plus grand bonheur, et sa plus grande douleur…
C'est ici que Remus la trouva, sur le dos d'Artus, la sérénité revenue sur son visage, parcourant l'enclos au petit trot. Dès qu'elle le vit, elle sauta au sol et courut vers lui.
Il la serra contre elle un long moment, ses mains jouant avec sa longue chevelure auburn. Il n'avait jamais été si démonstratif devant du monde – Hagrid était toujours présent – et elle comprit ce que cela signifiait.
Dumbledore l'avait convaincu…
Un mois… C'était le temps qu'il leur restait… C'était le temps nécessaire à Severus Rogue pour concocter la potion…
Dumbledore avait suggéré à Remus de prendre un congé dans son travail tout ce temps et proposé de l'héberger gracieusement, ce que le jeune homme avait accepté avec reconnaissance. Et les deux époux profitèrent de ce temps pour explorer le corps de l'autre jusqu'à ce que chacun de ses détails soit gravé dans leur mémoire.
Ils ne se séparèrent que trois nuits, lorsque la part humaine de Remus disparut. Il quitta leur appartement sans lui dire où il serait et elle trouva soudain leur lit tellement froid qu'elle se leva et s'habilla.
Elle sortit dans les couloirs du château, indécise quant à ce qu'elle pourrait faire maintenant. Elle laissa ses pas la porter dans des lieux inconnus jusqu'à ce qu'elle tombe sur un groupe d'élèves sortant bruyamment d'une salle située en sous-sol. Ils s'interrompirent en la voyant et déguerpirent rapidement. Ils la prenaient probablement pour un professeur.
La porte par où les élèves étaient passés était restée grande ouverte et Morgwen ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil à l'intérieur.
Personne !
Curieuse, elle entra. C'était apparemment une salle de cours – des rangées de bureau faisaient face à un tableau noir – mais elle ressentit une étrange impression de déjà-vu, de chez-soi dans cet endroit où elle n'était jamais venue. Elle s'approcha de l'un des bureaux et réalisa que ceux-ci supportaient des chaudrons tous semblables.
Ce devait être la salle de potions.
Et effectivement, alors qu'elle aboutissait à cette conclusion, une porte à côté du tableau noir s'ouvrit et l'un des témoins de son mariage en sortit.
-- Morgwen ? Que faites-vous ici ? demanda-t-il.
Elle nota à part elle qu'il l'avait appelée par son prénom pour la première fois.
-- Je suis désolée… La porte était ouverte et… balbutia-t-elle en rougissant. Je vais m'en aller…
-- Non, attendez ! coupa Rogue d'un ton froid. Puisque vous êtes ici, j'ai besoin de vous.
Elle le regarda, étonnée, alors qu'il lui faisait signe de la suivre puis passa la porte de son bureau à sa suite. Elle regarda curieusement autour d'elle, détaillant le contenu des bocaux rangés tout autour d'elle sur des étagères. Elle reconnut certains ingrédients de ce qu'elle appelait ses « recettes de grand-mère », dont plusieurs qu'elle savait extrêmement difficile à se procurer. Mais peut-être pouvait-on les trouver au coin de la rue dans le monde sorcier…
Rogue la regardait à présent d'un air assez étonné.
-- C'est bien la première fois qu'un novice regarde mon bureau sans dégoût, dit-il.
Elle lui sourit. Le visage du Maître de Potions se ferma de nouveau.
-- Je voulais vous parler de la potion que je prépare pour vous, reprit-il.
Le sourire de la jeune femme s'effaça à cette pensée. Depuis le début du congé de Remus, elle s'était empressée de la chasser de son esprit, ses caresses aidant la plupart du temps.
-- Elle sera prête dans quatorze jours, continua Rogue. Il vous faudra la boire aussitôt. Plus vous attendrez, plus il sera difficile de contrôler le nombre d'années en jeu.
-- Quatorze jours…
-- Vous savez que votre sang est nécessaire à l'élaboration de cette potion, reprit-il sans tenir compte de l'interruption. Il nous faudra l'ajouter à un moment précis, demain dans l'après-midi.
Il la regarda un moment avec ce regard si dépourvu d'expression.
-- J'ai bien peur que nous n'ayons besoin d'une grande quantité de votre sang, Madame Lupin…
Elle ne répondit pas. Elle se demandait ce qu'il appelait grande quantité.
-- Ce que je vais devoir vous prélever vous laissera très faible pendant quelques jours. Peut-être même risquez-vous de vous évanouir pendant l'opération. J'ai demandé à Madame Pomfresh d'être présente.
Très faible… Elle ne pourrait pas faire l'amour à Remus…
Mais demain, Remus ne serait toujours pas auprès d'elle…
Rogue continuait de lui parler, mais elle ne l'écoutait plus. Elle jouait à nouveau avec son alliance.
-- Je passerai vous chercher à la Grande Salle à quinze heures, entendit-elle.
– Bien ! Au revoir, Severus.
Et elle rejoignit les couloirs du château sans se retourner.
Elle regardait le chaudron fixement, la main de Remus dans la sienne. Encore trois minutes, avait dit Rogue…
Elle ne pouvait pas affronter le regard de Remus.
Deux minutes…
Elle sentait qu'il la regardait, qu'il voulait graver son image présente dans son esprit.
Une minute…
Elle voulait en finir. Elle voulait que ce moment n'arrive jamais. Elle ne savait pas ce qu'elle voulait.
La potion, rouge du sang de Morgwen, prit une teinte jaune. D'un jaune maladif, contre-nature…
Une coupe entra dans son champ de vision. La main de Severus Rogue la plongea dans le chaudron et l'en ressortit, pleine à rabord. La coupe s'approcha d'elle.
-- Buvez !
Ce n'était pas la voix de Rogue. Elle leva le regard pour le plonger dans les yeux bleus du directeur. Bien qu'ils ne reflètent que bienveillance, elle le haïssait à cet instant.
Elle prit la coupe dans une main, sans lâcher celle de Remus.
Elle l'approcha de ses lèvres sans toutefois les y tremper.
-- Morgwen, buvez ! insista le directeur.
Elle tourna le visage vers son époux. Devait-elle boire ? Devait-elle l'abandonner ainsi ?
Remus la regardait tristement, douloureusement. Mais il hocha la tête, l'encourageant à boire.
Elle but.
La transformation fut lente. Rogue lui avait prêté un miroir et elle s'observait. Ses traits ne changeaient pas de manière régulière, mais plutôt par à-coups.
Chacune de ces étapes lui amenait un frisson. Ça n'était pas précisément douloureux mais la sensation était réellement désagréable.
Quand son alliance, trop grande, tomba de son doigt, un noeud se forma dans sa gorge. Elle leva les yeux vers Remus qui la regardait, son visage se décomposant petit à petit.
Au bout d'un long moment, plus rien ne se passa. C'était fini. Elle s'aperçut à peine du départ de Dumbledore et Rogue.
Elle n'osait pas regarder Remus… A la place, elle s'observa dans le miroir. Son visage était redevenu osseux. Son corps, flottant dans sa robe, lui paraissait aussi maigre que dans son enfance. Ses mains étaient minuscules, sa petite poitrine avait disparue…
Elle revint à son visage. Ses cheveux auburn étaient restés longs et ondulés et ses yeux noirs trahissaient son âge réel.
Elle sentit la main de Remus toucher son visage et le tourner vers lui.
Elle plongea son regard dans le sien, se perdant dans sa détresse.
-- Je ne peux pas te voir ainsi, souffla-t-il faiblement.
Des larmes se mirent à couler sur les joues de Morgwen. Ce n'étaient pas les pleurs d'un enfant, mais ceux d'une femme.
-- Si je croise ton regard, j'oublie ton apparence. Je me rappelle nos étreintes…
Il pleurait également à présent.
-- Mais je ne peux pas te toucher si tu es ainsi…
Ils se turent un instant. Morgwen comprenait ce qu'il ressentait, et ce qu'il s'apprêtait à faire, mais elle le refusait.
-- Je ne peux pas rester ici et te voir…
-- Remus… implora-t-elle. Ne me laisse pas ! Ne m'abandonne pas ! Je ne veux plus être seule !
Mais il s'écartait d'elle. Il ramassa l'alliance toujours au sol et la lui tendit.
Morgwen la serra dans sa main.
-- Quand cette bague t'ira de nouveau, je reviendrai.
Et la solitude enveloppa Morgwen à nouveau.