L’antre du Démon
Les flashs se succédaient et s’évanouissaient sans temps mort. La mémoire des scènes fantomatiques auxquelles Sirius était confronté depuis sa chute à travers le Voile, le hantait à chaque seconde, tandis que de nouvelles s’y ajoutaient. Les corps mutilés, les plaintes assourdissantes, les bruits de chaînes qu’on traînait, les murmures incessants et les rires sadiques remplissaient tout l’espace. Mais plus que tout, c’était le son angoissant de griffes, accompagné d’un souffle erratique et puissant qui le terrorisait. Cette menace permanente qui laissait une odeur brûlante de souffre, le suivait où qu’il aille. Sirius était coincé depuis si longtemps dans ce tourbillon d’horreur qu’il avait perdu le compte des jours et des années. Seules survivaient la douleur et la confusion. Se retrouvant projeté d’un endroit à un autre de ses souvenirs par un simple clignement d’œil. Traversant les époques dans un sombre rougeoiement.
Cette-fois là, ne supportant plus la vue des corps inanimés de ses meilleurs amis à Godric ‘s Hollow, il avait eu la faiblesse de fermer les yeux trop fort. Les rides étaient encore ancrées dans sa peau craquelée lorsque les pleurs d’une enfant lui étaient parvenus. L’innocence de cet écho, le força à relever ses paupières. Il découvrit alors qu’il était revenu dans l’antre des Black. La pièce était si sombre qu’il eu du mal à reconnaître le salon de son enfance. Le plafond et les murs semblaient s’étirer indéfiniment vers un ciel sans étoiles, seulement éclairé par cette lueur rouge et inquiétante qui perçait difficilement à travers les fenêtres obstruées.
- Je les ai perdus, sanglotait l’enfant aux anglaises parfaites.
Sirius qui avait perdu l’habitude de ce calme, se laissa aller à de la compassion, retrouvant l’allure si éblouissante de sa cousine Narcissa dans la silhouette de la fillette. Cette pause inespérée dans sa course effrénée à travers l’horreur des morts lui permettait de reprendre sa respiration. Même l’odeur de souffre ne lui brûlait plus les narines, il était tranquillisé à cette constatation. Peut-être était-ce une âme innocente comme lui qui s’était perdue dans les limbes.
- Hé petite, qu’est-ce que tu as égaré ?
- Ils sont perdus, continua l’enfant en gémissant.
A genoux sur le sol, elle avait le visage enfouit dans ses mains sales. De là où il était Sirius ne pouvait pas voir ce qui les recouvrait, mais il remarqua que sa robe blanche était elle aussi parsemée de tâches obscures. Il décida de se rapprocher.
- Je peux peut -être t’aider ?
- Non ! cria-t-elle en secouant violemment la tête. Ils sont perdus ! Perdus ! PERDUS !
Sirius sursauta face à ce changement d’humeur, et faillit trébucher en arrière sur un bras carbonisé qui dépassait du four à bois. Avant de pouvoir réaliser l’horreur de la situation, l’enfant reprit :
- Je voulais pas le voir le monstre. Mais il finit toujours par arriver. Oui, il finit toujours par nous trouver. Ils disent que si on le voit pas, il ne peut rien contre nous. Alors je les ai perdus…
La petite blonde écarta enfin ses petites mains de son visage, et Sirius frissonna d’horreur en découvrant les orbites vides d’où dépassait quelques nerfs. Il déduisit alors que les tâches sur sa robe étaient du sang et que ses mains en étaient recouvertes également. Alors qu’il ravalait la bile qui lui remontait dans la gorge, un souffle saccadé s’éleva soudain des entrailles de la terre et le bruit de griffes contre les dalles résonna entre les murs.
- Tu vas bientôt le voir, ricana la fillette. Et il te brûlera tout entier, et moi j’écouterai tes cris !
La panique envahit l’ancien Gryffondor, et il voulut échapper au souffle du monstre asthmatique à tout prix. Il ne l’avait jamais vu, seulement deviné. Et il n’avait aucunement l’intention de changer cet état de fait. Il se rua donc vers la porte d’entrée et l’ouvrit dans un geste de désespoir lorsque le froissement d’ailes se fit plus proche. Mais lorsque la porte se referma derrière lui, il fut bien surpris de se retrouver dans le couloir du premier étage du square Grimmaurd, non loin des tentures dissimulant sa génitrice. Il avait pourtant passé la porte, il aurait dû se retrouver dehors loin de cette prison qu’il avait fui si longtemps auparavant. Que signifiait ce nouveau tour ?
Il ressentit plus intensément les vapeurs étouffantes qui consumaient ses chairs. La sueur provoquée par l’angoisse et la chaleur des lieux ne cessait de perler le long de son visage. Etait-ce là le bout de son chemin ? Il posa un regard circulaire sur le couloir et eut à peine le temps de remarquer les tableaux morbides qui représentaient des personnages pendus ou écorchés vifs, car une silhouette hideuse traversa le couloir en criant d’une voix suraiguë. Sirius fut forcé de se couvrir les oreilles pour atténuer l’insupportable son. Il avait l’impression qu’on lui arrachait les tympans à chaque note stridente émise par cette créature aux cheveux en pagaille. Elle continua de hurler comme une âme en peine, affichant son visage de harpie, les mains emmêlées dans sa chevelure cramoisie.
- Qu’on la fasse taire ! supplia le sorcier épuisé.
- Si tu connais un sort pour lui rendre sa belle chevelure, je suis sûre qu’elle se décidera à se taire, lui répondit une voix dans son dos.
Sirius se retourna brusquement, inquiéter par l’arrivée du nouveau venu. Il fut d’autant plus déstabilisé de découvrir qu’il s’agissait de ce sale traître de Pettigrew ! Si les cris de la Vélane ne l’avaient pas diminué, il aurait sans aucun doute sauté au cou de cette abomination qui valait à lui tout seul tous les monstres connus et encore inconnus.
- Espèce de…
- Économise ta salive, Patmol. Je voulais juste voir à quoi ressemble ta version des limbes. Il semble que ta mauvaise manie à utiliser les femmes se soit retournée contre toi, dit-il en désignant le Vélane qui continuait de s’égosiller. Je me rappelle de ta vantardise de l’époque. De cette manie de toujours mettre en avant tes conquêtes. La surenchère était un de tes forts. Regarde comme tu es puni aujourd’hui ! On dit souvent que : s’amouracher d’une Vélane, c’est se condamner à une éternité avec un Dragon…
- Ferme-là sinon…
- Sinon quoi ? Tu ne peux plus rien me faire ici. C’est le bout du tunnel et je peux enfin vider mon sac sur toutes ses années à devoir vous supporter tous. Tu crois que je n’ai jamais compris depuis le départ que vous aviez pitié de moi et que vous m’utilisiez ? Oui, vous avez cru pouvoir me manipuler, à toujours me laisser les miettes comme à un chien. Mais voilà, j’ai eu droit à ma vengeance. Moi, et pas toi Sirius. Alors dis-moi qui est le plus malin des deux maintenant ? Hein, dis-le moi ?
- Je vais t’étriper sale ordure, grogna Sirius tandis que du sang s’échappait de ses oreilles endolories.
- Je connais le sort qui lui redonnera sa chevelure d’ange. Mais il est trop compliqué pour une tête de nœuds comme toi. Je vais te laisser agoniser ici. Et il viendra te chercher, peut-être même qu’il t’a déjà eu. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi il nous trouvait toujours. C’est peut-être bien parce qu’il nous a déjà croqué. Même avec cet asthme il reste robuste…
- Donne-moi ce fichu sort, hurla Sirius qui commençait à perdre patiente entre les cris et les paroles de son pire ennemi.
- Comme je t’ai dit il n’est pas simple… oh je peux bien te le dire puisque tu ne pourras pas le réaliser. Pour la pommade qui va avec le sort, il te faut de la poudre de pieuvre, du Napel, et de l’aconit…
Il n’en pouvait plus d’entendre la Harpie qui hurlait sans s’arrêter comme une démente. Pourquoi n’existait-il pas un sort simple pour lui rendre ses longs cheveux dorés ?! Il était sur le point de perdre conscience au bord du désespoir quand il entendit une voix au loin. Une voix si familière qui lui rappela des cheveux brun mal coiffés et des lunettes rondes.
- Harry tu ne devrais pas rester dans cette pièce. Ça ne fera revenir personne…
- Mais qui peut dire où il est Ginny ? Qui peut m’affirmer qu’il n’est pas toujours vivant en ce moment même ?
Sirius se redressa avec difficulté, toujours diminué par la Vélane en furie. Sous les yeux mauvais de Peter, il se traîna vers la pièce où se trouvait l’arbre généalogique de sa famille. Mais il ne trouva rien d’autre qu’une pièce sombre de nouveau. Pourtant, il ne pouvait pas avoir rêvé ? Ces voix étouffées, presque irréelles, il les avait entendu au plus profond de son cœur…