Labyrinthe de cris
Remus fut pris d’un frisson dès qu’il entra dans les limbes. L’endroit – si on pouvait appeler cela un endroit – contrastait avec la sérénité de l’au-delà qu’il venait de quitter. Il ignorait si les limbes étaient aussi atroces pour tout le monde... Une chose était sûre, il n’y avait que Sirius pour en faire un Square Grimmaurd aussi cauchemardesque. Il entendait Kreattur marmonner, le portrait de Walburga crier, et Buck gratter le sol de sa chambre. C’était un brouhaha assourdissant qui lui donnait l’impression d’être fou. Le plus étrange peut-être était d’entendre tant de bruit, et pourtant, de ne voir personne. Au fond, au-delà des malédictions de la famille Black, il ne restait que la solitude. Et dire que son ami était ici depuis trois ans... Est-ce que le temps passait dans les limbes ?
- Horreur, monstre, loup garou, je vais lui arracher les yeux, les donner à manger à ma maîtresse...
Remus soupira. Il était pris dans un lieu totalement incompréhensible, qu’il devait pourtant comprendre s’il voulait atteindre son ami. Quand il était mort... Il avait vu l’éclair vert fondre sur Tonks à la vitesse d’un hippogriffe au galop, il s’était jeté devant elle pour la protéger, et, il avait su que c’était la fin. Il avait accueilli la mort avec le soulagement de ceux qui ont vécu une vie trop pleine de souffrances. D’une manière ou d’une autre, les quatre maraudeurs seraient enfin réunis...
Sauf qu’après la mort, il n’y en avait que trois. Remus avait rapidement compris, en repensant au Voile du département des Mystères, que son dernier ami était prisonnier, quelque part... Il s’était alors démené pour le chercher. Il ne pouvait tout de même pas le laisser là, si ? Il rageait de voir que Pettigrow le traître avait plus ou moins trouvé le repos alors que l’âme de Sirius errait on ne savait où…
- Il est perdu ici et ne repartira jamais, il ne retrouvera pas sa misérable épouse, et c’est bien fait...
Maintenant qu’il était là, Remus regrettait peut-être un peu... Il se trouvait dans la cuisine, il entendait Buck galoper dans les escaliers, et des cris, tellement de cris... Il y avait des pleurs de petite fille, le vagissement d’un bébé, les imprécations de Regulus, et les hurlements de Walburga, le crissement caractéristiques d’ongles sur une surface lisse, les notes stridentes d’un piano désacordé, les plaintes de Kreattur, des voix d’hommes aussi... Etait-ce cela qui avait rendu Sirius fou, quand il était arrivé au Square Grimmaurd ? Etait-ce ces voix qui faisaient briller l’horreur dans les yeux de son ami, quand ce dernier croyait qu’on ne le regardait pas ?
- Sirius ? appela-t-il.
Il ne fut pas étonné d’entendre sa voix trembler. Aucune réponse ne vint, et cela ne l’étonna pas non plus. Cet endroit était atrocement bruyant, même si Sirius l’entendait, il ne songerait pas une seconde que quelqu’un était venu le chercher. Dans ce cauchemar sans nom chaque bruissement passait pour une hallucination.
Remus prit une profonde inspiration, remarquant que l’air avait des relents de souffre et de sang. Il quitta la pièce. Mais au lieu de se trouver dans le couloir, il arriva directement dans la vieille chambre dans laquelle Sirius gardait Buck. L’hippogriffe s’y trouvait, il grattait le sol comme un taureau fou. Quand la créature aperçut Remus, elle fondit sur lui.
- Une bête atroce qui en dévore une autre, la loi de la nature, la boue mange la boue...
Buck avait craint Remus dès la première fois qu’il l’avait vu, comme s’il avait senti le loup qui se cachait dans l’âme de l’homme. Le maraudeur avait toujours pris garde à ne jamais l’approcher, il ne se sentait pas à l’aise... Devant l’animal qui le chargeait, il s’inclina comme le professeur Brûlopot lui avait appris à faire... En vain. La bête se cabra, et Remus en profita pour courir vers la porte, la refermer...
Il n’arriva ni dans le couloir, ni dans la cuisine, mais dans la bibliothèque. Buck était en train de s’acharner sur la porte, il devait faire vite. Il regarda à gauche et à droite, mais il n’y avait rien dont il aurait pu se servir pour repousser la bête. Il n’avait pas sa baguette sur lui. On ne conservait jamais sa baguette dans les véritables cauchemars, et il ne doutait pas une seconde que ces limbes en fassent partie. La silhouette sombre qui venait de se lever du fauteuil en cuir avait la sienne, en revanche, et le menaçait directement.
- La traîtresse et le monstre, quel joli couple, qui tuera l’autre en premier ?
C’était Andromeda, mais la colère déformait tellement ses traits que sans le commentaire de Kreattur – mais était-ce vraiment Kreattur ? – Remus l’aurait confondue avec Bellatrix. Sa figure était comme lissée par un étrange filtre qui faisait perdre toute humanité au visage de sa belle-mère. Ce n’était ni Andromeda ni Bellatrix, en réalité, c’était une création étrange sortie d’une horreur sans nom.
Mais peu importait l’endroit d’où elle sortait. Elle le menaçait directement avec sa baguette, et il était désarmé. Un filet de sueur froide coula entre les omoplates de Remus qui, lentement, leva les mains.
- Alors, Remus, cracha la cousine de Sirius, que fais-tu dans la demeure de ma famille ? Que fais-tu dans les limbes ?
- Je cherche Sirius, répondit-il tout à fait honnêtement.
Alors la voix d’Andromeda atteignit des aigus insupportables.
- CROIS-TU VRAIMENT QUE LES LIMBES LAISSERAIENT SES PRISONNIERS SANS GARDIENS ?
Remus baissa les yeux comme un enfant pris en faute, plus tremblant que jamais. Les cris de la mère de Dora entraient en écho avec tous les bruits de la maison et lui vrillaient les tympans. Il voulu porter ses mains à ses oreilles mais la voix d’Andromeda s’éleva à nouveau, cette fois-ci douce et caressante.
- Pour le ramener Remus, il faudra le mériter. Je suis le sphinx qui garde les limbes, Sirius et toi êtes mes prisonniers en ce lieu. Pour sortir, résolvez l’énigme. De la seconde évasion, j’ai été le moyen. Si désormais, mon muscle stylo-glosse a mal fait son travail, me rendant d’une humeur exécrable, je ne suis pas un danger. Au contraire, je suis la clef qui te permettra de retrouver celui que tu es venu chercher.
- Tu es trop idiot, monstre, jamais tu ne trouveras. Tu resteras ici, et ce sera bien fait pour toi...
Remus prit une profonde inspiration. Il n’était pas si idiot que ce que Kreattur, ou quelle que soit cette voix, voulait bien lui faire croire. La fin de l’énigme était limpide : ce qu’il allait trouver serait la clef qui lui permettrait de retrouver Sirius. Mais le début...
Il n’était pas médicomage, et n’avait aucune idée de ce que pouvait bien être le muscle stylo-glosse. Fort heureusement, il se trouvait dans une bibliothèque. Il se dirigea vers les rayonnages, les gestes rendus brouillons par l’angoisse. Ses oreilles lui faisaient toujours mal, et il avait l’étrange impression que le sol de la bibliothèque tanguait. Ce n’était pas impossible, d’ailleurs, dans les limbes, les lois de la physique ordinaire ne s’appliquaient sûrement pas. Buck s’acharnait tellement sur la porte qu’elle menaçait de céder à tout moment. Il devait trouver un livre d’anatomie, ou un dictionnaire, au moins, il...
Il sentit un mouvement dans son dos et se retourna brusquement. Andromeda était proche, toute proche, et par réflexe, Remus posa la main sur son avant-bras. Elle se mit immédiatement à hurler de sa voix suraigüe :
- HORREUR, LE SANG DES BLACKS SOUILLE PAR LE MONSTRE JE...
Le cri s’éteignit dans un gargouillis alors que la femme portait les mains à son cou, qui gonflait à vue d’œil comme si elle avait fait une réaction allergique.
- C’est bien ça pourtant, aucun Black ne peut survivre si tu le touches, tu tues tout ce que tu croises, monstre. C’est l’allergie du pur à l’impur, le rejet premier qu’elle n’aurait jamais dû oublier...
Remus soupira. S’il avait voulu un indice, c’était râpé. Andromeda était en train de se rouler sur le sol en tenant sa gorge et en émettant des grognements. Son visage prenait peu à peu une teinte violacée inquiétante, et des flots mousseux s’échappaient de sa bouche. Il fut tenté de venir l’aider, puis se raisonna : il était venu chercher Sirius, Andromeda n’était pas dans les limbes, elle était bien en vie et elle s’occupait de Teddy. Il le savait. Tout le reste n’était qu’illusions et hallucinations.
Il mit finalement la main sur un large dictionnaire, et l’ouvrit frénétiquement. La définition était laconique, ce n’était pas un ouvrage d’anatomie, mais les quelques mots lui suffirent. Le muscle stylo-glosse était un muscle de la langue.
Il cherchait donc une créature d’une humeur exécrable, qui avait permis une évasion, et dont la langue avait mal fait son travail.
Les méninges de Remus tournaient à toute allure, mais les cris incessants et les bruits de grattements et de coups produits par Buck l’empêchaient de se concentrer correctement. Il savait que c’était inutile, et pourtant il ne put s’empêcher d’exprimer sa frustration à haute de voix.
- Oh, mais ça suffit à la fin, sale hippogriffe mal...
Il s’interrompit. Il allait dire « hippogriffe mal léché ».
C’était ça ! Buck n’avait pas permis à Sirius de s’échapper d’Azkaban, mais il avait été la clef de son évasion de Poudlard. Mal léché était une métaphore, sa langue a mal fait son travail...
Remus soupira de soulagement.
Buck n’était pas un danger.
Sûr de lui – que pouvait-il lui arriver de toute manière ? Il était déjà mort. quel idiot il faisait... – il ouvrit la porte. L’hippogriffe se précipita sur lui mais ne le toucha pas. Le loup garou attendit un moment... S’il était la clef, comment l’activer ?
- Idiot, monstre idiot, tu ne trouveras jamais, jamais tu ne sortiras d’ici. Ce cauchemar est ton cauchemar et il te suivra jusqu’à ce que tu deviennent fou et que tu t’en crèves les tympans.
Buck ne montrait aucun signe positif. Il se contentait de lui tourner autour, faisant grande démonstration de son humeur exécrable. Remus soupira. Cet hippogriffe ne lui était d’aucune aide. Andromeda avait dû lui tendre un piège... Au moins ne risquait-il pas de se faire tuer.
Et puis, une idée lui vint. Il se souvint de ce jour, où il avait recherché Sirius en haut du toit. Il était tellement ivre, tellement fracassé... Mais il l’avait appelé à l’aide, ce jour-là.
A présent, il avait à nouveau besoin d’aide.
Remus quitta la pièce et, talonné par Buck, gagna le dernier étage, dans l’espoir de trouver la trappe qui le mènerait vers son ami.
- Ta femme égorgée, ton fils éventré, tes amis massacrés, quelle horreur vas-tu découvrir ensuite, monstre ?
Remus frissonna une nouvelle fois mais ne s’arrêta pas. Quand il se hissa en haut, il n’y avait ni cadavre ni étoile à interpeller. C’était de nouveau la cuisine, et il n’y avait personne. Même Buck avait disparu, Remus était à nouveau seul.
Découragé, perdu dans cet atroce labyrinthe qui mélangeait les époques et qui résonnait de voix plus atroces les unes que les autres, Remus s’assit et prit sa tête dans ses mains. La douleur qu’il ressentait dans ses oreilles s’étaient propagée dans son crâne, et il souffrait désormais d’une migraine qui semblait ne jamais pouvoir cesser. Sous le coup de la douleur et de la fatigue, il ferma les yeux…
Quelques minutes plus tard, ou du moins, il lui semblait que c’était quelques minutes plus tard – comment évaluer le temps dans les limbes ? – Remus ouvrit les yeux. S’était-il endormi ? Peut-on dormir quand on est assourdi par les cris et les plaintes ? Le sommeil existe-t-il quand on est entre la vie et la mort ?
Buck n’était visible nulle part, et Remus se prit à regretter le bruit de ses pas et de ses grattements. Au 12 Square Grimmaurd, il n’y avait plus que les cris déchirants des Blacks et la solitude. S’il avait été la clef, alors il l’avait perdue…
Remus se leva brusquement, et fut pris d’une brusque envie d’uriner. Il allait gagner la salle de bain, et se rappela qu’il se trouvait dans les limbes, que la maison sentait le soufre et le sang, et qu’il n’y avait personne pour le voir. D’ailleurs, rien ne lui disait qu’il n’aurait pas à traverser des pièces et des pièces avant de trouver ce qu’il cherchait…
Sans réfléchir, il se soulagea dans le chaudron qui pendait dans la cheminée.
- Remus ? fit une voix dans son dos.
Le loup-garou sursauta, et se retourna brusquement, répandant de l’urine sur ses chaussures et tout autour de lui.
Sirius. Cela faisait une éternité ou deux qu’il lui courait après, était-il obligé d’arriver à ce moment précis ?