- Dans le repas de ma maîtresse, les saucisses ressemblent à des doigts, c’est dans la nature des choses, parce que son fils l’a trahie…
Sirius poussa un soupir et se mit à reculer. Les fuites sans fin, les hippogriffes enragés, les pleurs et les rires perpétuels, les cris, les escaliers immenses et les lits qui rétrécissaient, tout ça n’était pas suffisant. Il fallait que la maison lui montre aussi Remus, le moque et le tourne en ridicule. Il ne voulait pas avoir ça. Autrefois il aurait ri, plus aujourd’hui.
-Merde, soufflait le faux-Remus, en remballant précipitamment ses attributs. Sirius, ne t’en va pas, c’est moi, je ne suis pas une illusion ou je ne sais quoi !
-Si c’est vraiment toi, souffla Sirius, t’as vraiment été con de venir jusqu’ici.
Les prunelles sombres du sorcier ne brillaient pas, elles semblaient éteintes. Tout en lui puait l’abandon, de ses épaules tombantes à son visage dénué d’expression, loin du bonheur extatique qu’il avait connu avant de traverser le Voile.
Quelque part dans les rideaux, le rire d’une petite fille se transforma en sanglot.
Au dessus d’eux, à moins que ça ne soit en dessous, Buck galopait comme un forcené. Et la voix de Kreattur ne cessait de résonner.
-Fils ingrat, cannibale, chair qui mange la chair, sang qui boit le sang…
Remus glissa la main dans la poche de sa robe pour en sortir une flasque de whisky pur feu, du genre qu’on ne faisait plus parce que le taux d’alcool dans le nectar était suffisant pour rendre quelqu’un aveugle, et l’envoya à Sirius, qui l’attrapa avec un petit sursaut.
-De la part de James.
-James est mort.
-Moi aussi.
Les doigts du Sirius se crispèrent sur le goulot de la flasque.
-J’ai eu le temps d’avoir un fils. Harry est le parrain.
-Si c’est vrai, c’est bien. Je serais content pour toi Lunard, tellement content, si je savais que c’était vrai.
-Monstre qui souille la maison de ma maîtresse, tu ne sortiras plus jamais d’ici. Jamais, jamais, jamais. Elle mangera tes orteils, tes oreilles et tes doigts.
-Sirius, essaie de réfléchir, de te souvenir. On s’est revus, une fois, après notre mort à tout les deux. Harry allait affronter Voldemort, et il nous a tous fait apparaître. Toi, James, Lily, moi.
-Je croyais que c’était un rêve. Des fois. Et des fois j’avais l’impression que c’était vrai.
-Tu te souviens de ce que tu lui a dit ?
-Oui. Mourir est moins douloureux et plus rapide que s’endormir.
-Tu as menti ?
-Je ne pouvais pas faire autrement. Je ne pouvais pas lui dire ma vérité. Je l’aurais terrorisé.
Sirius décapuchonna la flasque d’un air absent, haussa les épaules et but une longue rasade de son contenu. La violence sèche du whisky le fit grimacer.
-C’est réel, murmura-t-il, avec l’expression d’un homme qui n’ose pas y croire. C’est bon.
En quelques enjambées, il traversa l’espace qui le séparait de Remus, et le saisit dans ses bras. Il tâta ses épaules, son torse, son front, ses joues, avec une frénésie étrange, pendant que Remus restait tout à fait immobile, attendant que son ami ait fini son examen, prêt à tout pour lui montrer qu’il était la seule chose réelle dans cette maison infernale, fruit des limbes et des phobies de Sirius. Les doigts et les ongles de ce dernier s’enfonçaient avec brusquerie dans les biceps de Remus, et soudain il plaqua ses lèvres parfumées par l’alcool sur celles du Loup-garou, avec une violence virile et désespérée. Remus, cette fois, sursauta et fit un bond en arrière, sans vraiment se dégager de l’étreinte de son plus vieil ami.
-C’était un philtre d’amour ?! s’exclama-t-il d’une voix haut perchée. James m’a refilé un philtre d’amour en me faisant croire que c’était du whisky ? Je vais le.. le… le massacrer !
Sirius se mit à rire, un rire guttural, qui ressemblait à son éternel aboiement, en posant son front contre celui de Remus.
-Désolé Lunard, souffla-t-il. Je n’ai plus rien senti d’humain depuis tellement longtemps. Je ne suis pas amoureux de toi, je laisse ça à d’autres. J’avais seulement besoin… de contact.
Et pendant quelques secondes, plus rien n’exista en dehors du cercle de leur bras que l’obscurité et le silence.
-Tu es venu me chercher ?
-Oui.
-Tu sais comment sortir d’ici ?
-Pas encore.
Sirius rit, Remus aussi.
-Ensembles, on peut tout faire.
Le loup-garou releva la tête et regarda autour de lui.
-Où est-ce qu’on est ?
Sirius l’imita et fit un bond en arrière, plus affolé que Remus ne l’avait jamais vu.
-Non, non, non, non… gémit le sorcier en se recroquevillant sur le sol, les bras relevés au-dessus de la tête. Remus, pas ici, aide-moi, aide-moi….
A en juger par les murs, les tentures et le mobilier, ils se trouvaient toujours au Square Grimmaurd, mais Remus ne reconnaissait pas la chambre plongée dans une semi-obscurité. Les rideaux étaient tirés, et la pleine lune brillait dans le ciel rougeoyant du soleil couchant. Un gigantesque lit à baldaquin occupait presque la moitié de l’espace, et le loup-garou se figea lorsqu’il discerna du mouvement sous les voiles du lit. C’était une très vieille femme, en pyjama, affublée d’une coiffe de dentelle jaunie, tout occupée à dévorer son repas avec ses couverts argentés, sur un plateau finement ouvragé. Remus s’avança à pas prudents, vaguement attiré et dégoûté, sans qu’il puisse savoir pourquoi.
Bientôt, il put discerner les traits de la sorcière, qui n’était autre que Walburga. Et dans son assiette… Remus eut un haut le coeur. C’était un bras humain, qu’elle dévorait de bon appétit, le petit doigt levé. Lorsqu’il avisa les trois grains de beauté disposés en triangle près du poignet, il blêmit.
Ce bras, c’était celui de Sirius.
Buck était de retour, tournant en rond comme un fou dans la pièce, et Kreattur était là aussi, prostré au pied du lit, marmonnant dans sa barbe.
-Bientôt, bientôt ma maîtresse mangera du loup, après avoir mangé du chien. Comment peuvent-il la taxer de cannibalisme, elle si pure…
Remus se tourna vers son ami, toujours prostré sur le sol, et l’empoigna à son tour pour le forcer à se remettre sur ses jambes.
-Sirius, parle moi, grogna-t-il. Dis un truc, n’importe quoi. Et ne regarde pas le lit.
-C’est pas que moi qu’elle mange, des fois c’est mon frère, chuchota Sirius. Elle nous a foiré tout les deux, tu vois, dans deux extrêmes différents.
Il ne regardait pas vers le lit alors qu’il parlait. Walburga, absolument oublieuse de ce qui se passait dans la pièce, continuait sa dégustation d’un air ravi.
-C’est le centre de l’horreur ici, chuchota Sirius. Écoute le calme. Le reste de la maison n’est rien à coté de cette pièce.
Buck courait en rond autour de la pièce, le cliquetis délicat et écœurant des couverts résonnait à l’unisson des marmonnements de Kreattur, et on discernait aussi, peut-être, le battement d’un coeur, comme si les murs eux-mêmes palpitaient, mais, effectivement, le silence prédominait.
Un reflet capta soudain l’attention de Sirius, dans un coin de la pièce.
-Je ne me souviens pas de ce miroir, dit-il à voix basse.
Remus, trop heureux de quitter du regard le spectacle révoltant que proposait Walburga, porta son attention sur le double miroir en pied dont parlait son ami. Finement ouvragé, il semblait ancien, bien plus ancien que le reste du mobilier.
Le panneau de droite reflétait la chambre, mais elle était différente. Le lit avait disparu, ainsi que tout le mobilier; les rideaux étaient tirés et la pièce était baignée par la lumière du soleil. Quatre jeunes gens poussaient de nouveaux meubles à droite et à gauche, et avait l’air de beaucoup s’amuser.
-Harry, soufflèrent les deux amis, profondément émus. Seul Sirius se reflétait, gris comme un fantôme, dans cette partie du miroir; Remus était invisible; à l’inverse, de l’autre coté, il était le seul à être réfléchi correctement, Sirius conservant cet un peu irréel. Le reste de la surface ne montrait rien qu’un fond blanc et lumineux qui blessait un peu leurs yeux piégés dans la nuit depuis si longtemps.
Alors Remus comprit que l’énigme d’Andromeda, ou quoi qu’elle ait été :Sirius avait le choix. Le choix de vivre, ou le choix de continuer.
-C’est comment… là-bas ? demanda Sirius d’une voix grave, en effleurant le miroir du bout des doigts.
Une expression singulièrement douloureuse étirait les traits de son visage, alors qu’il regardait Harry, bien vivant, transformer le Square Grimmault en un véritable foyer.
-Je ne réussirais pas à expliquer, répondit Remus. Je ne crois pas que je puisse le faire. Je ne crois pas que je suis censé le faire.
-Depuis que j’ai passé le voile, je n’ai fait que souffrir. Tu ne peux pas me dire si je peux goûter ? sentir ? Je rêve de la caresse du vent, de l’odeur de la mer, du goût des framboises… Est-ce que j’aurais tout ça ?
-Je ne peux pas le dire Sirius. Je suis désolé.
-J'aurais bien aimé que le whiskey soit vraiment un philtre d'amour. Je t'en aurais donné, tu n'aurais pas pu résister à mon charme et tu m'aurais tout dit.
Un sourire étira les lèvre de Remus. Sirius avança d’un pas tranquille vers Buck et s’inclina profondément; l’hippogriffe interrompit aussitôt ses caracoles.
-Si je comprends bien, Buck m’a sauvé deux fois, et me sauvera une troisième ? souffla Sirius, en caressant l’encolure de l’animal.
-Sirius, quoi que tu choisisses, je comprendrais, et on finira par se retrouver.
-Tu ne m’accompagnes pas ?
-Je suis déjà mort, moi. Et je dois nettoyer les limbes avant de partir.
Sirius grimpa sur le dos de l’hippogriffe, prêt à choisir lequel des deux miroirs il devrait traverser pour fuir le square Grimmaurd.
-Si tu crois que tu pourras sortir d’ici, tu te trompes, grinça soudain la voix de Walburga depuis le lit. Tu est sorti de mon ventre et c’est là que tu dois retourner, pas dans la vie ni dans l’au de là. Dans mon ventre, Sirius, MON VENTRE !
Remus avança vers le lit ou Walburga s’était redressée.
-Va-t’en, Patmol.
-Lunard…
-Maintenant !
Buck prit son élan, fonçant droit sur les miroirs, mais Remus ne put pas voir lequel Sirius avait traversé, parce que Walburga choisit ce moment pour faire un saut formidable, déterminée à empêcher son fils de prendre la fuite et le loup garou s’interposa, les envoyant tout deux dans un roulé boulé sur le sol de la pièce.
A travers la fenêtre, les derniers rayons du soleil mourraient lentement.
Remus plaqua la mère de son meilleur ami contre le sol, se débattant avec difficulté dans les griffes de la sorcière, qui, folle furieuse, essayait de le mordre, en lui hurlant de lui rendre son fils.
-Walburga écoutez moi, grogna Remus, sa voix plus proche du grondement du lit que de celui de l’homme. C’est vous, n’est-ce pas ? C’est vraiment vous ?
Walburga s’immobilisa quelques secondes, soudain attentive.
-Lorsqu’il a traversé le voile, vous avez trouvé Sirius, n’est-ce pas ? Vous êtes sortie de votre au-delà comme moi du mien, pour vous assurer qu’il ne trouve jamais la paix ? Ce Square Grimmaurd de cauchemar, ce n’est pas seulement Sirius qui l’a créé, C’est vous aussi. C’est votre piège, votre punition.
-Ne prétends pas comprendre, siffla la vieille femme, furieuse.
-Vous savez, Walburga, cette lune qui brille, cette nuit qui commence… Pendant toute ma vie, elles ont été ma plus grande phobie. C’est pas faute de nombre de gens de m’avoir aidé, ou tenté de le faire. Que ce soit Dumbledore, Rogue, même Lily, qui m’avait montré un film moldu avec des loups-garous magnifiques. C’était tout à fait à coté de la plaque, comme toujours avec les moldus, mais j’aurais aimé être comme Jack Nicholson. Libre d’accepter la bestialité en moi.
Walburga eut un mouvement de recul, lorsque Remus mentionna la culture moldue; il doutait fortement qu’elle ait compris un traître mot de ce qu’il avait voulu dire cependant.
-Aujourd’hui, c’est ce que je vais faire, reprit-il. Au moins une fois, cette lune que j’ai haïe et crainte, je vais l’affronter avec délices. Toi qui t’es prétendue cannibale, avec pour seul but de terroriser ton propre fils, laisse-moi te montrer ce que c’est, un loup-garou. Un mangeur de chair humaine. Nous sommes morts depuis longtemps tous les deux, mais je te jure que je te passerai l’envie de torturer Sirius. Si je ne me trompe pas, te détruire c’est détruire le coeur de cette maison, pour être sûr que Sirius n’y revienne jamais, jamais, jamais !
A l’horizon des limbes, le soleil disparut tout à fait, et dans la maison désormais orpheline de l’homme perdu et fracassé pour lequel elle avait été créée, le hurlement du loup retentit, comme on sonne le glas, une deuxième fois.