Scorpius
Drago lisait paisiblement le dernier numéro du Bulletin de la Société des Maîtres de Potions. Il avait besoin de prendre des informations concernant la dernière découverte sur la préparation de la potion Tue-Loup qui, d’après son auteur, atteignait des résultats deux fois plus efficaces sur les lycanthropes avec moins d’effets secondaires sur le long terme, dont l’effet de dépendance. L’autre grande avancée concernait le fait que désormais, la potion pouvait être appliquée directement sur un sorcier déjà transformé, et ainsi amoindrir les effets de la crise, voire inverser le processus dans certains cas.
Ste-Mangouste avait lancé un appel de fonds pour financer une étude indépendante sur cette nouvelle formule, et Drago avait été choisi pour mener à bien la partie « préparation de potion » du projet. Depuis l’affaire du sceptre de Mulcahy, on avait observé une recrudescence du nombre de loups-garous en Grande-Bretagne, ce qui inquiétait profondément le Ministère de la Magie. D’autant plus que la rentrée de Poudlard approchait : hors de question qu’un apprenti sorcier lycanthrope ne débarque dans la prestigieuse école. Des moyens étaient mis en place pour lutter contre la propagation, avec un contrôle plus accru des cas déclarés ; mais cela était inefficace sans un suivi médical de ces fameux cas.
Depuis la chute du Seigneur des Ténèbres, et le procès de sa famille, Drago était un paria de la Communauté magique, mais il avait réussi à créer le chemin de sa propre vie. Sa rencontre avec Astoria était sans aucun doute ce qui lui était arrivé de mieux depuis de nombreuses années, et le couple qu’ils formaient était pour lui un trésor qu’il souhaitait protéger à tout prix. Avec le temps, les gens avaient fini par se lasser de lui chercher des Noises, et il avait pu développer son laboratoire de préparation de potions comme il le souhaitait. Désormais, il était l’un des principaux préparateurs de Ste-Mangouste, et il avait pu obtenir sa licence de Maître des Potions quelques mois plus tôt.
Astoria entra dans le bureau d’un pas léger, comme si elle se souciait de ne pas le déranger alors qu’il était perdu dans ses recherches. Cependant, c’était vain. À peine avait-elle franchi le seuil de la porte que Drago avait senti les effluves de son parfum, et son cerveau s’était déconnecté de la réalité. Il se laissa bercer par les bras qui l’enlacèrent par derrière, avant de se perdre dans le baiser qu’elle lui fit au creux du cou. Elle posa son menton fin sur son épaule, regardant à son tour les lignes griffonnées et autres schémas semblable à des graffitis avec un air soucieux.
« Encore cette histoire ?
— Ste-Mangouste m’a chargé de préparer les potions pour le test, lui répondit Drago. J’ai besoin de maîtriser parfaitement cette formule pour être capable de la reproduire à l’identique. Sans ça, le test ne servira pas à grand-chose.
— Tu penses que ça va marcher ? s’inquiéta-t-elle en s’écartant de lui pour contourner le bureau et venir se placer face à lui.
— Les résultats sont prometteurs, c’est certain. Peut-être même trop, si tu veux mon avis, confia-t-il. C’est pour cela que l’on doit mener une étude indépendante, pour être certains. On ne peut pas se permettre de proposer aux loups-garous une potion qui aggraverait leur situation. Depuis… depuis Tu-Sais-Qui, leur image ne s’est pas beaucoup améliorée. Greyback fait encore peur, même s’il est enfermé à Azkaban.
— Je veux dire… Tu crois que les loups-garous représentent un réel danger ?
— Si on en croise un transformé, bien sûr. Mais je pense que je peux les aider. C’est ce que tu m’as appris : respecter les autres, même ceux qui sont différents.
— Oui, c’est juste que… Je ne sais pas… Tous ces articles dans les journaux… Ça me fait un peu peur. »
En révélant ce secret, Astoria avait placé ses mains sur son ventre, le massant légèrement. La lueur au fond de ce regard avait un éclat que Drago n’avait encore jamais vu. Un doute commença à s’immiscer en lui.
« Ça ne va pas ? Tu me caches quelque chose ? Tu sais que tu peux tout me dire, Astoria.
— Il y a bien quelque chose que je voudrais te dire… C’est juste que… Je ne sais pas si c’est le bon moment.
— Si j’ai bien appris quelque chose de mes dernières années à Poudlard, c’est que ce n’est jamais le bon moment, rassura Drago en prenant les mains de sa femme. Qu’il arrive toujours un évènement qui force notre destin et nous oblige à faire des choix qu’on regrettera par la suite ou, pire, nous empêchera de dire ce qu’on ressent tellement on sera terrifié. Dis-moi. »
Les yeux cobalt d’Astoria fixèrent leurs mains unies quelques instants avant de se plonger dans ceux gris de Drago. Ce-dernier essaya de déchiffrer ce que leur éclat pouvait bien vouloir signifier, mais il n’y décrypta qu’un mélange de joie intense et d’inquiétude, teinté d’excitation. Une bien étrange composition.
« Drago, je suis enceinte, » révéla alors Astoria, un magnifique sourire se dessinant sur son visage en triangle.
Il fallut plusieurs secondes à l’information pour être reçue et traitée par le cerveau du préparateur de potions. Pourtant, même après que cette nouvelle soit devenue pleinement consciente dans son esprit, il resta dubitatif de longues secondes supplémentaires. Le délai rendit le sourire de son épouse forcé alors qu’elle se penchait pour lui saisir les mains, probablement dans l’espoir de le faire réagir.
« Enceinte ! répéta-t-elle. J’attends un bébé !
— Je… Que… Tu… Quand… Sûr…, bégaya Drago.
— Tu n’es pas content ? Bientôt, des cris de joie résonneront à nouveau dans ce manoir.
— Je… Oui… Non… En fait, je ne sais pas, finit-t-il par réussir à articuler.
— Tu ne sais pas quoi ? l’interrogea Astoria avec un ton de reproche.
— Je ne sais pas si je suis prêt, » avoua-t-il.
Les regards des deux conjoints se croisèrent dans une étincelle d’incertitude. Drago fut le premier à rompre le contact en se levant pour aller contempler le domaine depuis la fenêtre de son bureau. Le soleil irradiait dans le ciel parfaitement clair, la chaleur de ses rayons écrasant le paysage verdoyant quoique légèrement jauni.
« Quelque chose te tracasse ? » s’enquit la jeune femme en l’enlaçant par derrière.
Il ne sut pas quoi répondre. Il se sentait déstabilisé pour la première fois depuis très longtemps, depuis des périodes troublées qu’il préférait oublier. Cela faisait un peu plus de huit ans que la Bataille de Poudlard avait eu lieu, un conflit dans lequel il s’était retrouvé embarqué contre son grès. Les procès s’étaient tenus dans les semaines ayant suivi la victoire du Survivant – ou de l’Immortel, comme on l’appelait à présent –, et durant lesquels le nom des Malefoy avait été traîné dans les excréments de Veracrasse. Lucius avait fini en prison, complètement détruit physiquement et moralement. Cela avait été la première fois que Drago avait vu son père complètement désemparé. Même du temps du Seigneur des Ténèbres, l’ancien Mangemort s’était montré docile et impuissant, mais parce que terrorisé par la peur. Lors de la sentence, il avait simplement été abattu par son propre destin.
Narcissa et lui-même avait pu en réchapper, grâce à l’intervention de Potter qui s’était porté garant. Sa mère ne lui avait jamais expliqué pourquoi le héros victorieux avait pris leur défense – le seul et unique procès dans lequel il était personnellement intervenu –, mais depuis, Drago voyait sa mère dépérir lentement. Honnie par les épouses des autres Mangemorts pour avoir eu droit à une telle clémence, rejetée par la Communauté pour avoir été favorisée sans raison apparente. La sœur cadette des Black ne parlait presque plus, ne sortait pratiquement plus de sa chambre, située dans l’une des tours reculées du manoir, et se contentait d’attendre que sa vie s’éteigne.
Cela rongeait Drago au plus profond de lui de voir cette personne autrefois si aimante, prête à braver tous les dangers pour sa famille, dans un tel état. Lui-même n’avait pas connu une partie de plaisir dans les mois suivants la Bataille. Entraîné une nouvelle fois dans une tourmente dont il n’était pas maître, il avait pris de plein fouet toutes les injures et menaces lancées au visage de la famille Malefoy – sans oublier ce torchon écrit par cette journaliste de pacotille et qu’elle osait considérer comme un livre. Le gouffre s’était ouvert face à lui, et plus d’une fois il avait failli y sombrer. Il se réveillait presque chaque nuit à cause de cauchemars peuplés de morts, de victimes torturées et de Mages Noirs complètement fous.
Il avait pratiquement coupé tous les liens avec ses amis de Poudlard, restant enfermé chez lui, espérant que les murs du manoir fassent office de remparts. Cela avait été peine perdue. Ce ne fut que lorsqu’il avait finalement décidé à répondre à une invitation de Zabini qu’il avait rencontré Astoria. Et alors, sa vie s’était éclairée et depuis, Drago avait une force en lui qui écartait les ténèbres l’encerclant. Grâce à Astoria, il avait pu commencer à faire table rase du passé, et avancer la tête haute vers son avenir ; même si cela impliquait de devoir se prendre une tomate pourrie en pleine face de temps à autre.
Alors qu’un des paons albinos faisait la cour à une de ses congénères, Drago tentait d’endiguer le flux de vieux souvenirs qui remontait en lui. Il avait appris à combattre ses démons, à assumer son rôle de parjure dans la Communauté et à vivre avec. Il savait que la nouvelle que venait de lui partager Astoria ne ferait que rendre sa vie plus éclatante de bonheur, il se pouvait même que cela redonne la soif de vie à Narcissa. Cependant, Drago se demandait s’il était prêt à assumer ce nouveau fardeau. Devoir élever un enfant dont le nom est maudit avant même sa naissance pour des raisons qu’il ignore et qu’il ne connaîtra qu’à travers des ragots et des livres d’histoire. Il ne voulait pas ça pour son enfant.
« Ne t’inquiète pas, le rassura alors Astoria. Tout va très bien se passer.
— Cet enfant… il va grandir dans un monde qui exècre son patronyme. Il sera la cible des quolibets par ses camarades de classe. Tout cela pour des actions que d’autres que lui ont commises et continuent à éponger. Il n’a pas à devoir payer la taxe, il n’y est pour rien, protesta Drago en se détournant du magnifique spectacle qu’offraient les paons.
— Et il n’aura pas à le faire, affirma son épouse d’une voix douce. J’avais conscience des conséquences que notre mariage impliquait, mais j’ai décidé d’y faire face. Nous avons affronté les difficultés ensemble, et maintenant regarde où nous en sommes : tu es le préparateur de potion principal d’une des plus grandes institutions sorcières ! Cet enfant évoluera dans un monde dans lequel les ténèbres ne seront qu’un lointain souvenir. Bien sûr, il y aura toujours des personnes pour le mépriser ; mais ses camarades partiront tous avec le même préjugé, c’est-à-dire aucun. »
Drago plongea son regard dans le bleu profond d’Astoria, et tout ce qu’il y lut fut une confiance inouïe en l’avenir. Lentement, elle lui prit ses mains pour les poser sur son ventre. Les yeux du futur père migrèrent au même rythme vers ce lieu incroyable qui abritait une vie riche en surprise. Les mots d’Astoria le traversèrent peu à peu, trouvèrent une certaine résonnance en ses propres craintes, les occultant. Il sentit une bouffée de chaleur monter en lui lorsqu’il réalisa ce que le trésor enfermé dans l’être qu’il chérissait le plus signifiait.
« C’est un garçon ou une fille ? demanda-t-il benoîtement.
— Drago, à ce stade, c’est tout juste une larve avec une tête vaguement distincte ! s’esclaffa Astoria. Il est encore impossible de déterminer le sexe.
— C’est un garçon.
— Comment peux-tu être aussi affirmatif ? Je viens de te dire que…
— Un pressentiment. Je sais que c’est un garçon.
— Si tu le dis…
— Écoute-moi bonhomme, prévint alors Drago en se baissant pour parler directement au ventre de la mère. Je sais que je ne t’ai pas facilité la vie par mes précédentes actions. Je m’en excuse, et je te fais la promesse que dorénavant, je ferai tout pour te rendre la vie la plus heureuse possible. »
Drago s’interrompit quelques instants, lorsqu’il perçut les sanglots discrets de son épouse. Il resserra son emprise sur ses mains, à la fois pour la rassurer et se donner du courage. Au fond de lui, une irradiance provenait de la chaleur qu’il ressentait, et cela illuminait son avenir d’un bonheur éclatant.
« Je ne te demanderai qu’une seule chose en échange : n’épouse pas une Weasley ! » ajouta-t-il, provoquant l’hilarité d’Astoria qu’il s’empressa de rejoindre.