Lily lève le regard vers Rose et lui montre son frère.
« Il s'est encore endormi. »
La jeune fille pousse un soupir et envoie son coude s'écraser contre la côte de Hugo.
« EH ! »
Son frère sursaute sur son siège et ouvre brusquement les yeux. Ses paupières papillonnent un instant.
Rose... , réprimande Lily, mais sa cousine se contente de hausser les épaules.
- Je suis réveillé ! S'exclame-t-il en tentant de dissimuler un bâillement.
- Mais bien sûr », répond Rose d'un ton mielleux.
Elle adresse un grand sourire à Lily, l'air de dire « C'est mieux ? ».
Sa cousine se contente de secouer la tête de droite à gauche et lève les yeux au ciel.
« On arrive », annonce-t-elle en pointant quelque chose du doigt.
Rose fait un bond sur son siège et pousse Lily pour coller son nez à la petite fenêtre.
« Wahou... , murmure-t-elle.
- Wahou », confirme Lily en hochant la tête.
Le bus cabossé fait un bond sur la route et Lily laisse échapper un petit cri en s'écrasant sur les genoux de Hugo. Rose repousse la jambe de sa cousine sans quitter la vitre tâchée de terre des yeux.
Leur véhicule se fraye un chemin à travers le désert brun, sur la route sableuse. A l'horizon, le soleil couchant repend sur le paysage ses couleurs rouges et la ligne entre terre et ciel apparaît dansante et indistincte. Rose plaque ses deux mains contre la vitre du bus, sans faire attention aux voix excitées de Lily et Hugo dans son dos. Elle peut déjà presque sentir le vent chaud et l'odeur du sable, qui semblent s'infiltrer dans leur car.
En cahotant, le véhicule ralentit et le crissement des freins retentit. Rose détache son regard du dehors. En moins de temps qu'il ne faut pour dire « Pousse toi Hugo t'es dans mon chemin ! », elle attrape son sac qu'elle jette sur son dos, s'empare de sa petite valise, et pousse Lily pour s'extirper de son siège.
La poussière du sol vole autour de ses chaussures lorsqu'elle pose un pied dehors. Le moteur gronde, et Lily et Hugo sautent des marches alors que le véhicule démarre déjà. Il s'éloigne dans un bruit de pneus, faisant tourbillonner le sable qui se pose sur leurs valises et leurs cheveux.
« Super, grommelle Rose.
- Arrête de râler, dit Hugo dans un nouveau bâillement.
- Arrête de dormir », rétorque-t-elle.
Hugo fait la moue.
« Je suis narco-
Oui oui, c'est ça. »
Sans laisser finir son frère, elle tire la poignet de sa valise et la fait traîner derrière elle sur le sol brun.
Un coup de vent s'infiltre dans ses cheveux, et Rose inspire un grand coup.
Enfin. Ils sont au Mexique.
« Non !
- Rose...
- Non ! Je n'irai pas demander au monsieur où il a acheté son chapeau...
- Sombrero.
- … d'abord parce qu'il me prendra pour une folle, et ensuite parce que je ne parle pas un mot de mexicain, finit-elle entre ses dents.
- Alleeez !
- Non ! Demande à Hugo, qu'il serve à quelque chose.
- Merci beaucoup, répond Hugo d'un ton habitué.
- T'es pas drôle, proteste Lily en croisant ses bras sur sa poitrine.
- Si, je suis même très drôle. Et tu sais ce que je trouverais encore plus drôle ? C'est qu'on suive le petit panneau en bois qui indique le nom de notre village, et qu'on aille se mettre au lit. »
Lily et Hugo échangent un regard impuissant.
« D'accord, d'accord, finit par capituler Lily en se remettant en marche. Mais demain...
- Non !
- Alleeez ! »
Rose pousse un grognement exaspéré, et le visage de Lily se fend d'un grand sourire.
« Merci, je t'adore, dit-elle en lui déposant un baiser sur la joue.
- C'est ça... »
Lily laisse échapper un petit rire.
« Quoi ? Tu doutes de l'amour profond, inconditionnel et intemporel de ta cousine ado- »
Elle s'interrompt, et ses yeux s'ouvrent comme deux énormes cognards.
« On y est », souffle-t-elle en s'arrêtant brusquement.
Rose glisse sur ses talons, et Hugo cogne durement contre l'épaule de sa cousine. Pour une fois, Rose ne profite pas de l'occasion pour le railler.
A quelques mètres d'eux, un petit village, aussi brun que le sol, s'élève en forme d'escalier. Les maisons aux fenêtres étroites semblent s'encastrer les unes dans les autres. Il semble que tout ait été modelé à partir d'un bloc d'argile. Seuls les pourtours de fenêtres et des portes, peints de bleu, ressortent sous les rayons mourant du soleil.
« Home, sweat home », souffle Hugo, et son murmure semble se perdre dans le vent.
« Pfiou, regarde la masse de livres qu'elle a amené ! » S'exclame Hugo en extirpant un volume de la valise de Lily.
Rose se relève légèrement de son lit et jette un regard.
« Ça fait deux livres Hugo, répond-elle en levant les yeux au ciel. Et ça se fait pas de fouiller dans les affaires des gens.
- C'est pas des gens, c'est notre cousine. »
Rose réitère son mouvement des yeux et se laisse tomber sur le ventre, les jambes repliées vers le haut.
« On a promit à papa et maman de leur écrire, tu te souviens ? »
Elle sort un haut de son sac et le jette sur le lit de sa cousine.
« Hugo? »
Son frère ne répond pas, et Rose pousse un soupir en se traînant au bout du matelas.
« Hugo ? Ne me dit pas que tu t'es encore endorm-
- Regarde ça », l'interrompt-t-il lorsque la tête de sa sœur apparaît au-dessus de lui.
Il lève un énorme grimoire dans sa direction, et Rose fronce les sourcils.
« Qu'est-ce que c'est ?
- Un livre de sorts, répond son frère, les yeux brillants. Tu veux en essayer un ?
- C'est quoi comme sorts ?
- Des trucs vaudou, dit-il en agitant les doigts. Peut-être qu'on va pouvoir communiquer avec les morts.
- T'es con, pouffe Rose en lui prenant le livre des mains.
- Oui, je vais finir par croire que c'est mon deuxième prénom. »
Rose ne relève pas et s'assoit en tailleur sur le lit. Elle passe ses doigts sur la couverture. Elle ne connaît pas ce livre. C'est sûrement une nouvelle acquisition de Lily. Précautionneusement, elle l'ouvre à une page au hasard.
« Ouhla... lâche-t-elle. C'est pas des trucs pour débutants ça. »
Elle lève la tête vers son frère et fronce à nouveau les sourcils.
« Quoi ? C'est quoi ce sourire ?
- Rien. C'est juste que Lily à l'air de mettre pas mal de temps à faire connaissance avec les habitants..
- Tu la connais, soupire Rose.
- … on pourrait peut-être en essayer un. En attendant. »
Rose ouvre de grands yeux et lance un regard inquiet au bouquin.
« Quoi ?! Non, non certainement pas !
- Alleeez, proteste Hugo.
- Mais non ! Qu'est ce que vous avez tous !
- S'il te plaît.
- Non.
- S'il te plaît ?
- Non !
- Rooose ! »
Rose souffle bruyamment et lui fait les gros yeux.
« J'ai dit non ! Il n'est pas question qu'on se risque à faire un sort qu'on ne connaît pas ! »
« Alors, il faut que tu pose ta main là...
- J'arrive pas à croire que je suis en train de faire ça, gémit Rose.
- Et moi ici. Parfait ! S'exclame Hugo. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à lire les incantations -regarde, j'ai souligné notre part à chacun- en jetant autour de nous de la poudre de gobelins torturé.
- AH ! On en a pas, on peut abando- Attend, quoi ?
- Pas de problème, se réjouit Hugo. Je crois avoir vu quelque chose là-dedans qui y ressemble. »
Sans enlever sa main du grimoire, Hugo se penche pour essayer d'attraper un flacon dans la valise de Lily.
« Quoi ? » Répète Rose.
Elle regarde avec horreur Hugo attraper la fiole et la poser entre eux.
« Mais où est-ce qu'elle a eu ça ? Souffle Rose.
- Aucune idée. Allez, on y va ! »
Très sérieux, Hugo fait disparaître son sourire joyeux de son visage et ferme les yeux. Un petit silence s'installe. Le soleil a finit de disparaître à l'horizon, et le sortilège recommande d'éteindre les lumières. Seule la lueure de la lune vient éclairer l'ouvrage.
Rose pose un regard septique sur Hugo, mais elle finit par l'imiter et ferme les yeux.
« Rose ? Souffle Hugo.
- Oui ?
- C'est toi qui commence. »
Rose rouvre les yeux précipitamment et se penche sur le livre.
« Oh... Euh... Lezi izingi- Non, izingqinamba ku- kukhona ecasulayo...»
Du coin de l’œil, elle regarde Hugo attraper le flacon avec le plus grand des sérieux et commencer à jeter de la poudre un peu partout.
«... ngempela ngiyabonga mantombazane oluninzi kunene.»
Rose s'interrompt et lance un regard inquiet autour de la pièce. Est-ce juste elle, où est-ce que l'atmosphère s'est refroidit ?
“Ma m hụrụ gị n'anya, commence Hugo d'une voix forte, a agbanyeghị !”
Hugo ouvre grand les bras, et Rose lève les yeux au ciel.
“Qu'est-ce que vous faite ?”
La lumière électrique de la petite ampoule retenue par un fil qui se balance dangereusement au plafond fait plisser les yeux à Rose.
La silhouette de Lily se découpe contre la porte, et Rose sait immédiatement qu'ils ont fait une boulette. Les yeux de sa cousine s'ouvrent en deux ronds qui semblent ne pas avoir de fin, et sa mâchoire se décroche. Doucement, elle baisse le regard vers la page, et un hoquet d'horreur lui échappe. En deux pas, elle se trouve au-dessus d'eux et leur arrache le livre des mains.
Les seuls choses que Rose retient des cris paniqués de sa cousine sont qu'ils n'ont “pas de cerveau sous leurs boucles !” et que “c'est un rituel de magie noir espèces de strangulots à écailles périmées” et également que “bien sûr que non ce n'est pas de la poudre de gobelin torturé ! C'est du scarabée !”
“Hugo... accuse Rose.
- Quoi, j'ai supposé.
- Oh, par Merlin...”
Rose perd le fil de la conversation au moment ou Lily commence à parler des gobelins réprimés. Sûrement s'est elle endormie, car elle n'arriva jamais à savoir comment avait fini le débat.
“J'ai pas envie.
- Allez, tu m'a promit !
- A vrai dire, non, j'ai rien promit du tout.”
Lily offre un grand sourire ravit à Rose et, sans un mot, la pousse en avant.
“Non... !”
Trop tard. Quelques secondes plus tard, ses pieds s'enfoncent dans la poussière juste à côté du musicien de la veille. L'homme tourne la tête vers elle, et Rose affiche un grand sourire crispé sur son visage.
“Héhé, laisse-t-elle échapper. Euh... Bonjour ?”
Le visage de l'homme s'éclaire.
“Mais que vois-je, ô, gracieuse nymphe des dunes embrumées,
Venue à moi par la volonté des anciens tout puissants, maîtres parfumés.
Rose fait un pas en arrière, et son bras cogne durement contre un mur.
“Ah ? Dit-elle d'une voix hésitante. En fait ma cousine là-bas, celle qui nous fait coucou -OUI COUCOU- aimerait bien savoir où vous avez acheté votre chapea- sombrero.
- Plaise aux lumières éternelles que votre douce chevelure,
Dans un éclaire de bonheur, s'associe avec mon ailure.
- Votre ? Votre ailu- D'accord. Euh, j'ai plein de choses à faire, je dois nettoyer de la poudre de scarabée, trouver un sombrero, alors je vais...”
Elle pointe Lily et Hugo du doigt, tourne sur ses talons, et s'éloigne de l'homme aussi vite que ses jambes le lui permettent.
“Il t'as dit quoi ? S'enthousiasme Lily.
- Il se rappelle plus, répond Rose, et Lily fait la moue. Par contre, il parait qu'il a une très bonne ailure.
- Une quoi ? Demande son frère.
- Aucune idée. Est-ce qu'on peut partir d'ici, genre, vite ?”
Rose attrape le bras de Lily et la traine dans le sable chaud.
“Tu es sûre qu'il se rappelait pas ? Demande-t-elle au moment ou les mots “esprits éclairés des princesses du désert” retentissent derrière eux.
- Plutôt, oui.”
Rose pousse un soupir, et échange un regard avec Hugo. Par Merlin, jamais plu elle n'approchera un homme à sombrero, même si Lily la supplie à genoux.