Thirty seconds of Madness
Bouleverser
Rose Marie Granger-Weasley regarda son petit frère Hugo. Elle détailla ses boucles brunes, son petit nez retroussé et constellé de tâches de rousseurs, ses yeux noisette et sa peau claire. Il avait les sourcils froncés tant il était concentré sur son devoir de Métamorphose, matière dans laquelle il excellait. Hugo était brillant, vraiment brillant, plus encore que leur mère. Il avait obtenu tous ses BUSE et allait sûrement avoir tous ses ASPIC. Mais au-delà de ces examens ridicules, il pétillait d’intelligence et faisait preuve d’une belle lucidité sur le monde.
Rose avait toujours été un peu jalouse de frère, juste un peu, mais elle l’aimait tellement qu’elle n’y avait jamais prêté attention.
Elle se racla doucement la gorge, pour signaler sa présence. Hugo releva alors le nez de son devoir et ses yeux s’écarquillèrent de surprise et de joie. Il posa brutalement sa plume et se jeta dans les bras de sa sœur. Il ne l’avait pas vue depuis tellement longtemps qu’il détailla longuement son visage à elle aussi, comme pour s’assurer qu’il s’agissait bien d’elle et de personne d’autre. Il s’arrêta sur ses longues boucles aux reflets roux et son nez légèrement retroussé et droit à la fois, l’exact milieu entre leur deux parents ; puis sur ses yeux verts tirant sur le bleu, et soulignés de cernes atroces qu’il voulut immédiatement effacer.
Hugo raffermit son emprise autour des côtes de sa sœur qui appuya sa tête contre l’épaule de son frère et il huma son parfum rappelant la noix de coco. Depuis que sa sœur avait intégré une école, elle n’avait plus autant de temps pour lui qu’avant. Déjà parce qu’elle n’est plus à Poudlard, et qu’à Poudlard, ils passaient beaucoup de temps ensemble, et notamment à travailler, mais ensuite parce que l’an dernier, elle préparait son admission et pouvait donc venir le voir lors des sorties à Pré-au-Lard, et en plus, elle vivait toujours chez leurs parents et venaient le chercher à la gare, ils passaient leur vacances ensemble.
A ce jour, elle ne venait que trois jours pour deux semaines, et jamais à Pré-au-Lard, tant elle était surchargée par le travail. Elle avait les yeux cerclés de cernes. Elle avait le teint livide. Elle avait les côtes apparentes. Elle avait les cheveux emmêlés. Elle avait les iris ternes. De gracile, elle était devenue grêle. Son visage s’était aminci. Tout le monde avait remarqué les changements physiques de Rose, et Hugo le premier. Elle était sa grande sœur adorée après tout, et il la connaissait mieux que n’importe qui sur Terre.
Hugo se souvint, il se souvint de sa sœur à la fin de sa scolarité à Poudlard. Elle avait ce petit quelque chose de différent, ce « quelque chose » qui la démarquait des autres, et que l’on remarquait tout de suite. Ce petit quelque chose que l’on ne savait jamais nommer. Scorpius avait été le premier à le remarquer, dans le train, mais il avait préféré Lily. Parce que le petit quelque chose de Rose était dérangeant. Parce que sa présence provoquait le malaise, au moins autant que l’admiration ou la jalousie.
Ce petit quelque chose transparaissait dans chacun de ses gestes, à la fois élégants, délicats, légers, et si sereins à la fois. Il était flagrant dès lors que sa silhouette se dessinait au bout d’un couloir, son port altier, sa tête haute, mais sans arrogance aucune. Elle avait cette élégance innée dont personne ne connaissait l’origine. Tous les Weasley avaient épluché l’arbre généalogique, en secret, pour deviner qui pouvait être la femme qui lui avait légué, à travers toutes ces générations, cette tenue et cette aura rayonnante.
Cela pouvait être Cedrella Black, la mère d’Arthur, ou alors Aube Greengrass, la mère de Molly. Cela pouvait être encore les parents moldus d’Hermione, mais celle-ci assurait qu’elle n’avait jamais connu quelqu’un comme tel. Et même Hermione Granger-Weasley parfois se sentait mal à l’aise avec sa fille. Elle n’avait jamais vraiment compris son caractère, la volonté farouche qu’elle avait à ne pas s’intégrer dans le système bien huilé du Ministère de la Magie.
Et pourtant, c’est ce que Rose avait fait. Après une année entière à préparer un examen complexe, elle était entrée au Département de la Justice magique, et apprenait encore tout ce qu’il y avait à apprendre. C’était une élève sérieuse, mais qui mettait trop souvent mal à l’aise les avocats, les enseignants, ou même le Magenmagot. D’après sa mère, Rose allait devenir greffière, puis gravirait les échelons jusqu’à devenir indispensable au Département. Rose souriait alors d’une fierté feinte : sa mère était heureuse et fière d’elle, tout comme son père et toute sa famille. Tous étaient pour l’instant heureux, alors cela suffisait à son bonheur.
Hugo posa sa main sur la joue de sa sœur et son pouce dessina le tracé des cernes qui rongeaient le visage de la jeune femme. Rose sourit faiblement, et comme pour se justifier, elle souffla à son frère qu’elle avait un peu fait la fête ce week-end ; mais Hugo n’en crut pas un mot. Il ne croyait jamais à ses mensonges de façade.
---
Je me saisis de la lettre cachetée du Département de la Justice Magique et l’ouvre d’un coup sec. Rien que ce geste nerveux me donne le tournis, je suis au bord de l’épuisement. Je n’en peux plus. Mes services sont réquisitionnés pour le plus grand procès du siècle : celui d’Adela Nott, accusée d’être la Perle Pourpre. Je frissonne : cette jeune fille, ancienne de ma promotion à Poudlard et que ne connait que très peu, sort avec Albus depuis des mois. La famille Weasley avait tremblé à cette annonce, surtout Harry : Adela était la cousine de Scorpius, ils passaient beaucoup de temps ensemble avec Lily. Albus aurait-il fait entrer le loup dans la bergerie ? Rien qu’à cette idée, des sueurs froides me coulent dans le dos. Oncle Harry l’a démasquée suite au meurtre de Tobias Nott, son frère.
---
Un mois s’était écoulé depuis le procès qui avait détruit Albus et fortement ébranlé Scorpius, sans compter la famille Nott qui avait perdu ses deux héritiers et dont le patriarche n’était plus que l’ombre de lui-même. Les membres Weasley ayant connu la guerre avait vite surmonté le choc. Roxanne avait sombré dans une étrange dépression contre laquelle Victoire, médicomage spécialisée et Lucy, langue-de-plomb à qui on avait confié la lettre d’adieu d’Adela, se battaient pour en extirper leur cousine. Cette jeune Nott qui pourtant n’était pas proche de la famille de rouquins avait réussi à en troubler la plupart.
Hugo, de son côté, n’avait pas été très atteint par cette histoire. A l’étranger pour ses études de linguiste magique au moment du procès, il était revenu à la demande de Molly qui désespérait de voir ses petits-enfants dans ce trouble ankylosant. S’il avait raisonnablement soutenu sa famille, comme l’aurait fait n’importe qui, l’état de sa sœur, sa chère Rose, l’avait choqué.
Un mois passa encore. Hugo avait temporairement emménagé chez son aînée le temps de se trouver un appartement. Il avait mis ses études en suspens pour s’occuper d’elle et travaillait de temps à autre comme traducteur au Ministère.
Deux mois et une semaine exactement après le procès, Rose faisait toujours des insomnies. Sans le vouloir, elle réveilla Hugo vers quatre heures du matin. Il désespéra : le mal-être de Rose s’accentuait de jours en jours. Elle méditait tout le temps sur ce procès dont elle avait noté et retenu toutes les répliques. Elle se souvenait des paroles de l’accusée qui ne transpiraient d’aucune détresse, seulement d’un soulagement intense ; la rouquine avait toujours été très douée pour comprendre les gens et leurs émotions. Ce qu’elle avait vu en Adela l’avait bouleversée.
Ce matin où elle réveilla bien malgré elle son petit-frère, ses transformations physiques étaient plus visibles que jamais. Squelettique, les cheveux ternes, décoiffés, sales, elle tremblait d’épuisement à chacun de ses gestes. Elle ne dormait plus la nuit, mangeait peu et refusait toute visite, exceptée celle de son frère. Elle écrivait et dessinait en permanence dans des cahiers mais repoussait Hugo à chaque tentative de le lire. Elle était nerveuse et passait ses mains dans ses cheveux à chaque fois qu’une tension se faisait sentir.
Hugo avait tenté la manière douce pour la sortir de cet état qui lui ravageait le cœur. Il était temps d’essayer la manière forte.