Bonne Lecture !
Texte écrit lors de la nuit HPF du 30 septembre 2023
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[un phare au milieu d'une mer déchaînée, en noir et blanc]
- Eh, tu vas où Tom ?
- Reviens Tommy !
- Si tu nous dis pas où tu vas, on va le dire à Miss Mayland, que tu sors de la zone.
- Ouais, on va le dire. Si tu nous le dis pas, je vais même le dire tout de suite.
Tom se retourna. Il les toisa un instant de ce regard opaque puis, haussant les épaules dans un soupir, il leva le bras vers l’horizon.
- Là-bas, je vais là-bas.
- Pourquoi ? rétorqua la horde en chœur.
Tom ne pouvait pas dire qu’il voulait juste explorer un passage. D’une part, il n’y avait peut-être pas de passage, rien qu’une tache d’algue sombre, et il ne voulait pas qu’on se moque de lui. D’autre part, même s’il y avait un passage, il ne pouvait pas prendre le risque qu’un d’entre eux décide de révéler ses intentions à Miss Mayland et tue ainsi l’expédition dans l’œuf. Il comprenait déjà qu’il n’arriverait pas à se défaire d’eux. Il faudrait donc trouver une raison de les entraîner avec lui.
- Il y a un phare abandonné, là-bas.
- Où ça ?
- Où ? On voit rien là-bas !
- Un phare ? N’importe quoi, il y a pas de phare.
- C’est Tom le Timbré, bien sûr qu’il dit n’importe quoi
Entre ses mâchoires serrées, Tom répliqua :
- Évidemment que vous ne le voyez pas. Il est derrière la falaise.
- Ah oui ?
- Je te crois pas !
Avec un nouveau haussement d’épaule, Tom se détourna.
- Tu n’as pas besoin de me croire.
Et bien sûr, la meute se lança à sa poursuite, babillant derrière lui. C’était fâcheux, bien entendu, d’être privé ainsi de calme. Sans parler du fait que cela compromettait ses chances de passer inaperçu. Mais bon, il fallait faire avec, comme d’habitude. Et puis, cela ouvrait peut-être d’autres perspectives.
Le vent de la mer lui sifflait aux oreilles, atténuant les piaillements des autres, leurs questions, leurs rires idiots, leurs railleries. La mer, elle, lui parlait de sa voix grave et tonitruante, de sa promesse de vents d’orage qui viendraient bientôt purifier le ciel couvert. Ils voulaient le suivre ? Ils voulaient voir ? Eh bien, il allait leur montrer. C’était cela que la mer semblait répéter, vague après vague s’écrasant sur la grève, le sac et ressac, le fracas, deux syllabes traînantes, comme une respiration. Bientôt. Bieeeentôt. Bieeeentôôôt.
Et, au bout de la grève, il la vit, en effet, la bouche qu’ouvrait la falaise à la mer. Il s’arrêta devant cette gorge noire, prête à livrer ses secrets à qui oserait s’y aventurer.
- Alors, il est où ce phare ?
- Hein ? Tommy ? Il est où ton phare ?
Sans leur répondre, il s’approcha, comme happé par la noirceur qui l’attendait là-bas. Mais, alors qu’il les oubliait déjà, les laissant à leurs incessants bavardages criards, ses genoux vinrent brutalement heurter le sol, l’arrêtant net. Un grand avait saisi l’arrière de son manteau et avait tiré d’un coup sec pour le ramener en arrière, l’envoyant au sol.
- T’entend quand on te parle ? Il est où ton phare ? Parce que moi je le vois pas.
- Ouais. T’es sourd ou t’es aveugle, Tommy le Miro ?
- Ou juste un peu…, renchérit une des filles en se tapotant la tempe.
Tom se remit debout, son visage impassible, ses mains et ses genoux écorchés, sa bouche pleine d’un goût familier de sang et de honte. Il releva les yeux vers Matthew, qui l’avait jeté contre les pierres de la grève, et d’une voix calme, expliqua :
- Il est plus loin, mais on n’aura sans doute pas le temps d’y aller et de revenir avant que Miss Mayland nous rappelle. On n’a qu’à plutôt aller voir par là.
Sa suggestion était pleine d’une fausse désinvolture. Mais, en voyant le regard de la meute se faire hésitant en se tournant vers la falaise, il devina qu’il devrait en faire davantage pour les convaincre. À nouveau, il s’avança dans cette direction, prenant soin cette fois de s’éloigner rapidement de la portée des plus grands.
- Eh, reviens ! On peut pas y aller par la terre !
- Si on se mouille, Miss Mayland va nous punir !
Sans se retourner, et haussant la voix pour couvrir le vent qui hurlait, Tom répondit :
- Si vous avez peur, vous pouvez rester là.
Il y avait la perspective des remontrances, de la portion du soir réduite de moitié, de la nuit passée avec des chaussettes mouillées, mais, il y avait aussi la nécessité, bien plus pressante, de ne pas paraître faible, de ne pas être plus froussard que Tommy le Miteux, de ne pas risquer d’être exclu de la meute. Alors, un à un, ils s’étaient décidés à le suivre. Ils avaient avancé sur les pierres glissantes, sans un mot soudain, sans rire ni quolibet, suivant la petite silhouette de Tom et son pas assuré. Les bourrasques leur criaient aux oreilles, s’accrochaient à leurs cheveux et leurs manteaux râpés. Mais ils ne s’arrêtaient pas, arc-boutés contre le vent, chacun entraînant le suivant aussi sûrement que s’ils avaient été encordés. Tous baissaient la tête pour ne pas tomber et, de temps à autre, la levaient vers l’inquiétante gueule dentelée de rochers. Mais Tom, lui, regardait droit devant, comme s’il avait toujours connu le chemin. Et, lentement, la file indienne disparut, avalée par la falaise. Ils n’oublieraient pas de si tôt la leçon que Tommy le Timbré s’apprêtait à leur apprendre.