Texte écrit durant la nuit du 23 mars 2024 en réponse au prompt 'une ou des pâquerettes'.
Si elle avait, elle aussi, arraché une fleur au gazon, elle n’était pas certaine non plus que la petite comptine suppliante aurait trouvé grâce à ses yeux. Il m’aime. Il ne m’aime pas. Il m’aime. Il ne m’aime pas.
Elle aurait eu besoin de méthodes de divination plus complexes pour s’alléger le cœur. Mais, n’en déplaise à son professeur, les feuilles de thé ne formaient pour elle que des amas visqueux et les seules choses qu’elle discernait dans sa boule de cristal, c’était les empreintes des doigts des étudiants du cours précédent. L’avenir aussi brumeux que le présent.
Sans doute que c’était vrai, qu’il l’aimait. Marlene lui disait que c’était évident. Évident comme le nez au milieu de la figure. Comme le nez de son ami zarbi. Donc vraiment évident.
Lily baissa les yeux vers ses propres doigts qui trituraient une pauvre pâquerette, nouant la fragile tige jusqu’à ce qu’elle casse.
Il l’aimait. Bon, c’était une chose. Mais elle, est-ce qu’elle l’aimait ? Est-ce qu’elle l’aimait vraiment ? Est-ce qu’on pouvait aimer quelqu’un et quand même le détester un peu ? Est-ce qu’on pouvait aimer quelqu’un alors qu’on se détestait de l’aimer ?
Les pâquerettes, ça, elles n’en disaient rien. Leurs pétales blancs comme des grains de riz jonchaient la pelouse et elle n’en était pas plus avancée.
En relevant la tête, elle croisa le regard de l’autre fille, assise un peu plus loin, sa propre hécatombe florale étalée devant elle. Les traînées pâles de quelques larmes séchées lui balafraient les joues, mais elle adressait tout de même à Lily un petit sourire complice. Elles ne se connaissaient pas. Tout ce qu’elles savaient l’une de l’autre, c’est ce que leur pauvre petit rituel enfantin venait de leur apprendre : qu’elles étaient prises dans les filets inextricables d’une histoire d’amour qui prenait des allures de casse-tête.
Lily s’imagina soudain, amusée, toutes les filles de l’école, assises comme elles deux, sous un arbre du parc, à dépiauter pâquerette après pâquerette, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une en vue. On les verrait alors, écumer les pelouses, têtes baissées, à la recherche d’un dernier oracle de pacotille à qui confier leurs peines et leurs espoirs.
Est-ce que c’était ça, être une fille ? Se rendre folle pour des bêtises ? Se faire des nœuds au cerveau pour des garçons idiots qui ne se posaient pas la moitié des questions qui la taraudaient ?
Tous les garçons n’étaient pas comme ça, c’est vrai. Severus, des questions, il s’en posait plus que quiconque, ses méninges pleines d’entrelacs si tortueux qu’elle s’y perdait rien qu’à l’écouter. Il était brillant, Severus. Il était sensible, attentif et subtile. Lui, il n’aurait pas oublié son anniversaire et ne se serait pas excusé en expliquant qu’avec tous les devoirs qu’il avait en ce moment, c’était pas étonnant que certains ‘détails’ lui échappent. Lui, il n’aurait jamais dit devant elle que Marlene était la plus jolie fille de l’année avant de s’étonner qu’elle prenne la mouche. Lui, il n’avait pas besoin de lui demander une exégèse de sa moindre réaction. Il comprenait. À demi-mot et même à moins. En un regard.
Severus, elle n’avait pas besoin de la moindre pâquerette pour savoir ce qu’il pensait d’elle.
Seulement voilà, les sentiments, ce n’était pas une simple équation, un jeu de pour et de contre. Elle avait beau savoir ce qu’elle aurait dû ressentir, ça n’y changeait rien. Quand James s’asseyait près d’elle au petit déjeuner et passait un bras autour de son épaule, c’était seulement à ce moment-là que le jour semblait se lever pour elle. Quand il faisait des blagues stupides, c'était plus fort qu'elle : elle s'entendait glousser et, avant d'avoir pu arrêter son geste, se voyait donner un petit coup moqueur contre son épaule, juste pour le plaisir de le toucher. Et même quand ses railleries se faisaient méchantes, même quand c’était après Severus qu’il en avait, elle n’arrivait pas à s’empêcher de rire.
Peu à peu, elle se mettait à voir les choses à sa façon. C’était vrai, quoi que ça lui en coûte de l’admettre, qu’il y avait quelque chose de pathétique chez Severus, quelque chose de ridicule. Servilus, susurrait son for intérieur, empruntant à James sa voix chaude et rieuse et sa cruauté. Elle faisait encore l’effort de le retrouver, tous les jeudis, lorsqu’ils avaient tous les deux leur après-midi de libre. Mais, ces derniers temps, c’était toujours à contre-cœur qu’elle quittait James, Marlene, Sirius et les autres pour rejoindre Severus dans les cachots. Et quand elle le voyait, qui l’attendait, là, à l’ombre de l’escalier, elle avait, l’espace d’un instant, envie de faire marche arrière, de courir retrouver ses amis dans le parc ensoleillé. Elle ne parvenait pas à empêcher son cœur, comme un grand tournesol, de se pencher toujours un peu plus vers James, toujours un peu plus loin de Severus.
Elle soupira. Un tournesol. Décidément, même dans ses pensées, elle ne leur échappait plus à ces fichues fleurs. Elle se leva, exaspérée, épousseta sa jupe pour se débarrasser des fragments de tiges et de pétales de ses petites victimes, et s’en retourna au château.