Où es-tu ?
Je suis assise et je ne bougerais pas. Sitting. Il parait que c’est comme ça que ça s’appelle. Pas que je m’en soucie beaucoup mais il faut bien s’occuper l’esprit.
D’ordinaire ce n’est pas un problème. En fait, je pense toujours à tant de choses à la seconde que beaucoup de mes amies m’appelle Luna. Pour lunatique.
Lui, il m’appelait sa Rayonnante. Parce que je souriais toujours et qu’il ne comprenait pas pourquoi. Je ne lui ai jamais dit que je souriais pour lui. Mais il n’est plus là aujourd’hui. Et je ne souris pas.
Je ne suis ni rayonnante, ni lunatique aujourd’hui. Seulement déterminée. J’ai besoin de savoir où il est. J’en ai désespérément besoin, vous comprenez ?
Le temps passe et je m’ennuie. J’observe les murs, je compte les grains de beauté sur mon bras, j’étudie l’apparence des vigiles.
J’ai sorti mon miroir et mon peigne sept fois. Ou plus. Mes cheveux sont tellement démêlés que je pourrais faire une pub, là, toute de suite. Mais il faudrait sans doute que je les colore avant. Ils sont si pâles qu’on les dirait blancs et personne ne veut de cheveux blancs dans une publicité. Les cheveux blancs qui font beau sur les personnes jeunes, on ne trouve ça que dans les histoires fantastiques.
Mais lui aussi avait les cheveux pâles, y compris du temps de sa jeunesse, alors je ressors mon miroir et je me dis que j’aime bien mes cheveux.
De dos, on pourrait croire que je suis lui. Enfin, un lui très féminin…
Un bruit de pas me parvient du couloir et je tourne la tête. Ca fait cinq heures que j’attends. Cinq heures que les gardes du monstre essaient de me faire bouger. Cinq heures qu’ils n’osent pas m’attaquer, de peur que ça finisse dans les journaux du matin. C’est que les élections approchent et qu’il faudrait être fou pour s’attaquer à une citoyenne en cette période.
Surtout si la citoyenne est désarmée, a des amis journalistes et a déjà publié des clichés de gardes du corps molestant des gens apparemment innocents.
Je souris en me souvenant de l’article qui a fait chuter le maire. Il parait que je tiens ma capacité à être le réseau de mon grand-père. Du moins, c’est ce qu’il disait toujours. Il en était très fier, d’ailleurs. Il disait toujours que si j’avais été de ce monde, je serais devenu la meilleure politicienne que les sorciers aient connue depuis des milliers d’années.
Il exagérait toujours un peu, mon Papy Lulu. Mais je l’aimais bien pour ça aussi.
Les pas se rapprochent et de petits déclics me signalent que ma proie n’est pas seule. C’est fou ce qu’une candidature peut attirer la foule. Le public ne me dérange pas mais j’espère pouvoir l’atteindre malgré les autres
Je me relève alors que la petite troupe tourne à l’angle du couloir. Les molosses se placent devant moi pour m’empêcher de passer. Ils me tournent le dos et forment une masse compacte et imprévue qui m’empêche pratiquement de voir les nouveaux venus. Et qui les empêchent à coup sûr de me voir, eux qui sont concentrés sur autre chose.
Je dois reconnaitre que mes ennemis sont doués. Très doués, même. Ils parviennent à me barrer le passage sans me toucher : si j’essaie de passer, j’aurais l’air de les agresser.
Je soupire, furieuse. Qu’est-ce que je croyais ? Ca fait une semaine qu’elle refuse de répondre à mes lettres, il paraissait évidement qu’elle n’allait pas se laisser approcher juste parce qu’une gamine a décidé de camper devant sa porte.
Elle ne jouera pas fair-play. Alors moi non plus.
Sans plus de remords, je glisse la main dans ma poche : si la vie m’a appris quelque chose, c’est que quand quelqu’un vous écrase le pied sans faire exprès, il faut dire pardon mais que s’il le fait en connaissance de cause, il faut lui briser la jambe. Je n’ai plus aucun scrupule.
Madame la future ministre ne m’ignorera pas plus longtemps.
Je sors l’enveloppe rouge de ma poche et remercie mentalement les Weasley pour leur amélioration de la beuglante.
Sans eux, je n’aurais sans doute pas pu mettre mon plan à exécution. L’ironie de la situation ne m’a pas échappé et je me surprends à sourire en songeant que, finalement, il y a peut-être un semblant de justice dans ce monde.
Les gardes me tournent le dos et, si cela m’empêche toujours de passer, cela les empêche également de me voir agir.
La lettre s’envole et vient voleter devant la femme, tel un oiseau menaçant.
Le silence se fait.
Le groupe est attentif : Eux parce qu’ils attendent le scoop. Elle, parce qu’elle le craint.
Cette fois-ci, elle ne peut plus l’ignorer.
La lettre s’ouvre et ça commence :
« Madame Hermione Granger,
Je ne suis certainement pas assez importante pour que vous rappeliez de moi. Je ne suis même pas une de vos administrées, seulement une personne que vous refusez de voir depuis une semaine. Seulement une personne que vous avez blessée sans raison, simplement parce que vous le pouviez. »
Je ne peux pas la voir à travers la foule des journalistes mais je peux presque sentir sa peur d’ici. Ça ne me fait pas aussi plaisir que je l’aurais espéré. En fait, ça ne me fait rien.
« Mon nom est Lorena Malefoy. Je pourrais vous donnez le nom de mes géniteurs, à qui vous avez donné tout pouvoir sur moi, mais je ne les reconnais pas comme étant mes parents.
Mon nom est Lorena Malefoy et je suis la petite-fille de Lucius Malefoy. »
Je souris en entendant ma propre voix. Cette phrase est la plus belle des phrases pour moi : Mon nom est Lorena Malefoy et je suis la petite-fille de Lucius Malefoy.
« Je n’ai pas été prévenu de sa mort, je l’ai appris quand j’ai trouvé porte close au manoir et que l’elfe m’a répondu que Monsieur n’était plu. Je n’ai pas assisté à l’enterrement : son emplacement n’est pas accessible aux personnes dénuées de pouvoirs magiques.
Je ne sais pas où est sa tombe.
Malgré mes demandes répétées, aucun membre de ma lignée ni aucun fonctionnaire du ministère n’a daigné me fournir ce simple renseignement. Puisqu’apparemment, je ne suis pas de la famille. Parce que le jugement que vous avez rendu m’interdit de porter le deuil.»
La voix fait une pause et je ferme les yeux. J’ai préparé cette lettre avec soin, mais elle me semble mauvaise à présent, voyeuriste même. Qui suis-je pour exposer mon grand-père ainsi ?
« Madame Granger, vous l’avez sûrement oublié mais vous avez détruit ma vie.
Quand mes parents ont appris que je serais cracmolle, ils ont décidé que je ne devais plus faire partie de la famille. Ce n’était pas méchant, il n’y avait pas de haine. Ils étaient plutôt malheureux même. Mais pour eux, leur famille était sorcière. N’étant pas sorcière, je n’en faisais pas partie, c’était aussi simple que cela. D’ailleurs, leurs aïeux les ont approuvés de façon presque unanime.
Sauf mon Papy Lulu. Il n’a jamais accepté l’idée qu’on puisse le séparer de son sang et que je sois élevée loin de lui. Je suis une Malefoy, je suis de son sang : c’est ce qu’il a passé sa vie à me répéter. Il a demandé à me garder. Quand mon père m’a placé en internat moldu, avec des vacances systématiquement en colonies, loin de la maison, Papy Lulu a continué à m’inviter le premier dimanche de chaque mois aux réunions de familles. Il s’est levé pour dire que sa maison, c’était ma maison.
Quand ma grand-mère a piégée les canapés et les lits de la maison pour que je ne puisse pas séjourner chez eux, il a brisé sa baguette et menacé de divorcer. Grâce à vous, il a passé un an à Azkaban pour cet…hum…accès de violence conjugale.
Pendant qu’il croupissait en prison pour avoir tenté de me protéger, mon géniteur a demandé à ce que soient placés des protections magiques autour de mon internat et de la maison d’une de mes camarades. Officiellement, cette camarade était ma meilleure amie et risquait d’être attaquée. Officieusement, mes parents payaient cette famille pour que j’y passe les vacances et je n’étais pas particulièrement liée à leur fille."
Nouvelle pause et je tremble un peu. Cette fois-ci, c'est moi que j'expose.
"Savez-vous à quel point c’est difficile d’être rejetée par ses parents ? De savoir que la seule personne qui vous aime est en prison pour ça ? Savez-vous ce que ça fait de vivre dans un internat où tout le monde sait que vos parents payent pour ne plus vous voir ?
Non. Et je ne crois pas que vous le saurez un jour.
Quand Papy Lulu est finalement sorti, il a vite compris qu’il ne pourrait agir que dans l’ombre. Ça lui a pris du temps mais ma grand-mère a fini par croire que je le dégoutais. Il a toujours été doué pour faire croire qu’il avait des convictions, Papy Lulu.
Il a passé six mois à racheter en masse des objets de fabrication gobeline, qu’il a rendu aux gobelins en échange d’un seul service : qu’ils me transmettent un portoloin pour que je puisse venir au manoir. »
La voix s’arrête encore et cette fois je souris. Papy Lulu n’était pas quelqu’un de bien. Mais lui ne m'avait jamais abandoné.
« Et nos nuits ont commencé.
Six ans. Pendant six ans, j’ai passé toutes mes nuits à jouer aux échecs chez mon Papy Lulu, à l’écouter me raconter l’histoire sorcière, à peindre les pièces et le parc du manoir, à lui raconter mes journées à l’école.
Jusqu’à ce que sa femme découvre que je venais en cachette. Jusqu’à ce qu’elle me menace et interdise à mon grand-père de jamais me revoir. Jusqu’à ce qu’il ordonne à son elfe de m’emmener loin et de ne pas revenir avant quelques jours.
La suite est celle que vous avez racontée aux journaux et qui vous sert d’argument politique depuis presque une semaine. : Papy Lulu et Narcissa se sont entretués au cours d’une querelle domestique. L’odieux mangemort, connu pour sa violence et son incapacité à tolérer les nés-moldus a assassiné la tendre héroïne de guerre Narcissa qui a protégé le grand Harry Potter pendant la bataille finale.
Et ça ne peut être que la vérité, puisque vous l’avez prononcée. Sans jugement. Sans enquête. Voilà la vérité, puisqu’elle sort de votre bouche. »
La voix s’arrête, la beuglante se disloque, ayant délivré son message, et le public est figé.
« Madame Granger, je dis d’une voix si forte que je crois entendre celle de Papy Lulu vibrer à mes oreilles. Toute ma vie vous avez empêché la seule personne qui m’aimait de prendre soin de moi. »
La foule se tourne vers moi et les gardes du corps sont forcés de s’écarter alors que les journalistes poussent pour m’atteindre. Un simple trou dans la masse, qu’ils ont sûrement laissé là en connaissance de cause, me permet de voir celle que j’accuse.
« Vous avez jugé sans savoir, sur la base de rumeurs et de stéréotypes. Vous avez favorisé ceux qui vous avaient aidé, humiliés ceux qui avaient besoin de vous, abandonnés ceux que vous prétendiez défendre. »
Elle me regarde et je vois la peur sur son visage.
« Vous m’avez condamnée à la misère sous prétexte que je n’avais pas de pouvoir magique, mis en prison celui qui voulait m’aider. Aujourd’hui vous souillez sa mémoire. »
J’ai du mal à voir son visage, je crois que je pleure.
« Je suis désolée… » murmure-t-elle.
Elle s’approche et cette fois-ci je sens les larmes rouler sur mes joues. Ça brûle, ça a un goût de sel, et je bégaye la raison de venue, de mes lettres, de mon acharnement.
J’ai renoncé au reste, il y a bien longtemps. Je ne peux pas renoncer à ça :
« Je ne sais pas où est sa tombe. »