Prologue:
Le tintement des flacons qui s’entrechoquaient sur le plan de travail en bois, donnait le sourire au sorcier. Et il y avait de quoi être satisfait, car chaque fiole de verre contenait tant de souvenirs délectables. Chaque fois qu’il en avait l’occasion, il venait se réfugier dans cette pièce secrète où il entreposait ses précieuses mémoires. Il les avait toutes classées de manière méthodique sur une étagère, à côté de ses livres de magie noire. A l’abri des regards, il manipulait les merveilleuses mémoires qu’il avait arrachées à ses victimes au moment de leur dernier souffle. Les mains tremblantes, il maniait avec respect ce qui n’était plus qu’un songe immatériel. Pour cet être sans âme, il n’y avait rien de plus réjouissant que de revivre à l’infini la fin d’une vie. Il se nourrissait de leur vaine envie de vivre quand tout était perdu. Concentré, il prit une des fioles et déposa son contenu dans une vieille Pensine. Sur ses lèvres un sourire malsain se dessina malgré lui. L’anticipation du plaisir coupable lui donnait des frissons d’alegresse, mais il savait qu’il ne pourrait pas longtemps se contenter de souvenirs impalpables. Très bientôt, il devrait retourner chasser de nouvelles traces, de nouveaux souvenirs d’espoir vaincu…
Chapitre 1 : Good night London
L’éclairage artificiel des sous terrains londoniens donnait un aspect fantomatique à tous les voyageurs pressés. Leurs teints gris n’avaient rien à envier à Nick Quasi-sans-tête ou au Baron Sanglant. Ils marchaient la tête enfouie dans leurs épaules, les pupilles rivés sur leur téléphone dont la lumière aussi vive qu’un Lumos ravageait leurs expressions d’aliénés consentants.
Lily n’avait rien trouvé de mieux que de les observer de son siège crasseux. Elle était censée se préparer pour son anniversaire. Elle avait 17 ans aujourd’hui, et on lui avait préparé une fête surprise avec la discrétion d’un Troll dans un magasin de chaudrons. Lily leva les yeux au ciel à l’idée de devoir supporter la fratrie Weasley Potter au complet, armée de leur sourire factice et de leur célébration hypocrite. Elle ne s’y rendrait pas. Lily n’avait plus la force de faire semblant comme eux. Ils allaient tous paniquer de ne pas la voir rentrer ce soir. Tous, sauf son père, qui avait l’habitude de ses caprices de rebelles de pacotille. Il lui excuserait son affront, comme toujours. Il oublierait la provocation et la déception pour serrer dans ses bras une coquille vide. Un laxisme pitoyable pour se faire pardonner des années d’absence à se plonger corps et âme à la poursuite des criminels.
Lily lâcha un soupir et tourna avec fainéantise sa tête afin de retrouver sa proie du moment. Elle fit glisser son regard le long du pantalon noir plein de craie du jeune homme. Elle suivit la courbe inégale des creux que modelait le tissu, remonta lentement jusqu’à son entrejambe où elle s’attarda un instant. Il changea maladroitement de position et un petit sourire moqueur étira les lèvres roses de la sorcière avant que ses yeux noisette ne poursuivent leur ascension. Il portait une chemise à carreaux et ses doigts fins reposaient sur une serviette en cuir noir. Il porta sa main droite à sa nuque et arrangea ses mèches brunes mal coiffées, avant de relever ses lunettes trop grandes sur l’arrête de son nez. Leurs regards se croisèrent en même temps que la bulle de chewing-gum qu’avait formée Lily explosait. Elle continua de mâchonner avec provocation, comme si sa mini-jupe écossaise et son t-shirt transparent n’étaient pas suffisants pour le mettre mal à l’aise. Il détourna son attention vers la masse des voyageurs. Cela n’arrêta pas Lily , qui continua de le fixer, aguicheuse, sans éprouver la moindre gêne. De l’autre côté de la rame de métro, il s’obstinait à l’ignorer. Cela faisait deux jours qu’elle jouait à ce petit jeu, à l’épier malgré lui, le suivre le long de ses trajets en transport, de son appartement à son travail. Se montrant discrète pour comprendre qui il était. Elle avait calculé autant que possible les risques qu’elle encourait à provoquer cet homme, comme à chaque fois qu’elle s’imposait ce jeu dangereux. S’infiltrer dans la vie d’une personne n’était pas une activité des plus saines, mais Lily avait besoin de cette adrénaline, de ce frisson d’excitation que lui déclenchait ce saut dans l’inconnu. Et au final, elle devinait bien que son intrusion était souvent la bienvenue.
Malgré les mises en scène successives du jeune homme qui tantôt était assis à se tortiller les phalanges, tantôt debout à faire les cent pas les yeux rivés sur son téléphone, il avait conscience qu’elle l’observait. Il faisait ce que tout le monde fait quand on se sent agresser à distance : il jouait à l’autruche. Mais Lily forçait les gens à la voir dans toute sa grossièreté. Elle finit par se lever de son siège inconfortable en lui adressant un clin d’œil plein de propositions indécentes. Alors qu’il redressait un pli imaginaire sur sa cravate, elle sut que le moment était venu d’entrer en action.
Lily se dirigea vers la passerelle souterraine et traversa le tunnel. En chemin, elle ne manqua pas de disséminer l’engrais aux envies graveleuses, aux fantasmes inavoués et aux besoins grossiers de cette humanité qui ne pensait qu’avec ses hormones. Comme une machine programmée, les instincts primaires dominaient le reste. C’était cette faille dans la nature humaine que Lily avait exploitée tout au long de sa jeune existence. Déjà à Poudlard, elle avait su séduire les professeurs quelque soit leur âge ou leur sexe. De ses intonations et de ses regards, la jolie rouquine savait comment toucher de ses pensées, sans jamais avoir recours au moindre contact physique. Faculté qui lui avait attiré nombre de jalousie auprès de ses camarades. Son statut d’héritière des exploits de l’Elu n’étant pas un fardeau assez lourd apparemment.
A ceux qui la prédestinaient à une vie de petite fille modèle, elle avait fini par leur cracher à la figure ses actions inconsidérées. Offrant du crédit aux pires rumeurs, pour le simple plaisir de choquer. Elle remerciait sans cesse ce père indigne qui avait préféré se plonger dans des dossiers remplis de meurtres plutôt que de lui lire une histoire au coucher. Elle était reconnaissante que sa mère ait choisi de survivre dans l’ombre de son mari, la rendant si insignifiante qu’elle avait presque perdu toute substance. Elle les remerciait tous d’être déglingués, juste parce que cela lui donnait de mauvaises raisons pour se venger.
A présent les rumeurs étaient vraies, elle les portait au centre des carreaux rouges de sa jupe, dans le décolleté de son t-shirt, sur ses lèvres trop roses, sur ses cils ensorcelés pour paraitre plus long.
Elle avait fini par gagner le quai, et chercha son nouvel ami. Le métro arrivait, et elle le retrouva juste à temps pour le voir monter dans la rame. Alors que le bip sonore annonçait la fermeture des portes, elle se glissa dans un coin sombre à l’abri des regards et transplana vers le square où il vivait.
Assise sur un banc en face de l’immeuble moderne, bordé par un petit parc aménagé, Lily observait la vie du quartier en attendant sa proie. Il y avait des enfants qui faisaient une partie de football - le jeu préféré de James. Une bande d’adolescents se faisait tourner une cigarette tout en lui jetant des coups d’oeil intéressés. Détail qui ne manqua pas d’échapper à leurs copines respectives qui commençaient à jalouser l’ancienne Gryffondor. Au moment où elle allait ouvrir les jambes, une mère vint chercher un des gamins au visage cramoisi. En passant près de la jeune femme, elle ne put s’empêcher de la fixer, s’attardant plus particulièrement sur son bas résille lacéré à la cuisse intérieure.
- Je me le suis déchirée en taillant une pipe à un clodo, mentit-elle.
- Bonté divine, souffla la bourgeoise.
- Elle lui a offert une pipe ? Comme celle de papi ? Moi aussi je peux en avoir une ? demande le gamin qu’elle traîne fermement par le bras.
L’écho d’une gifle, bientôt suivi par des pleurs d’enfants, résonna dans le parc. Voilà tout ce que lui aura couté sa dignité étouffante : une crise de larmes et une soirée agitée.
Après quelques minutes d’attente supplémentaire, le brun à lunette passa le portail à la peinture verte impeccable. Lily traversa à la hâte la route pour le rejoindre, ce qui n’échappa pas au jeune homme dont les traits se déformèrent d’incompréhension.
- On monte ? Demande Lily de but en blanc.
- Je… je crois pas…, bafouilla-t-il.
- C'est pas un grand garçon comme toi qui va avoir peur d'une sotte comme moi ?
- J'en sais rien... tu m’as suivi ?
- Oui et c’est la chance de ta vie que ce soit tombé sur toi. Ne la laisse pas s'échapper parce que tu auras été un peureux.
- J'ai pas peur, c'est juste qu'on se connait pas.
- Oh on se connait Benjamin Smith. Je sais que tu travailles dans cette grosse société pharmaceutique. Que tu adores les beignets à la framboise, que tu prends ta pause déjeuner à 12h05 et que ton sandwich préféré est celui au Rostbeef...
- Je veux que tu partes maintenant sinon j’appelle la police ! dit-il paniqué.
Son agitation commençait à attirer l'attention.
- Je ne suis pas une tarée qui va te trancher la gorge idiot. Je te propose juste une soirée sympa. Je ressemble vraiment à une d'une tueuse en série?
- Je suis pas intéressé alors, quelque soit le service que tu offres...
- Hey, j'suis pas une pute !
Lily savait bien qu'elle avait tout l'air d'en être une, mais cela ne l'empêchait pas d'être vexée par les propos du jeune homme.
- Ok. J'ai nul part où crécher ce soir, laisse-moi au moins dormir chez toi...
Lily s'efforça de montrer son expression la plus pitoyable, il fallait qu’il l’héberge, parce qu’elle était décidée à ne pas affronter le regard inquiet de ses parents. Cet abandon des cours en sixième année et ce manque d'ambition qu'elle trainait avec elle depuis ses cinq ans n'arrangeaient rien à sa vie. Et sa fête d'anniversaire s'annonçait d’autant plus morose, car elle s’imaginait déjà les yeux compatissants des amis et membres de sa famille qui déploreraient un tel gâchis.
- Je te promets de rester tranquille.
- Nan, mais tu m’as suivi, t’es dingue…
- Merde, m’oblige pas à te supplier, se plaignit-elle avec tout le désespoir possible. Me laisse pas dormir dehors ce soir…
Lily était une privilégiée, tout le monde pouvait en témoigner. Seulement, Lily avait aussi le privilège d’être paumée. Alors quand il soupira et continua son chemin sans dire un mot, elle prit son mutisme pour une invitation tacite. Elle monta les escaliers aux peintures immaculées, tellement impressionnée par le standing de l’immeuble, qu’elle finit par bousculer un grand type portant un t-shirt à l’effigie du groupe sorcier A Bludger to the Head. Etonnée de croiser un congénère dans ce coin de Londres, elle n’eut pas le temps de se retourner pour voir son visage car il avait disparu.
- Voilà, c’est chez moi, annonça Benjamin sans conviction, une fois qu’ils atteignirent une porte blindée rouge bordeaux.
Quand la jeune femme découvrit l’appartement où flottait une odeur de renfermé, elle hésita presque à entrer. La décoration de la pièce principale se résumait à des étagères ensevelies sous les figurines de héros de jeux vidéo, une bibliothèque qui s’étalait le long d’un mur et qui était remplie de boite de console et de boitiers de jeux. Tout ce bazar donnait l’impression que la pièce était trop étroite. Malgré la réserve que lui inspirait cette ambiance inhospitalière, elle préféra mettre de côté son instinct et plonger tout entière dans l’inconnu.