Chapitre 1 : Pride and Prejudice
The rain fell slow, down on all the roofs of uncertainty
I thought of you and the years and all the sadness fell away from me
And did you know...
I never thought that you'd lose the light in your eyes
Poles Apart, Pink Floyd
« Tu es le meilleur, lui répétait souvent son père, avec une pointe de fierté dans la voix. C'était d'ailleurs sans doute la seule émotion qu'il était jamais parvenu à susciter chez son géniteur.
Le meilleur, Théodore l'avait toujours été. A l'école, il excellait dans tout, tout le temps. C'était presque trop facile. Parfois (souvent), il s'ennuyait. Tout allait trop lentement, tout était beaucoup trop simple. Les professeurs disaient qu'il était un génie, qu'il était différent.
Il aimait se réfugier dans la grande bibliothèque de son père. Il pouvait y passer des heures, à lire et relire des ouvrages, à sentir l'odeur des pages et à apprécier la beauté des mots. Il n'y avait que là, au milieu de livres, qu'il oubliait son ennui.
On lui avait ri au nez quand il avait dit qu'il voulait faire Bac L. On ne fait pas Bac L quand on a 19 de moyenne en maths, lui avait rétorqué Théodus Nott. On ne va gâcher autant de potentiel. Alors Théodore était allé en S, mais il passait toujours plus de temps à lire des romans qu'à faire ses devoirs de maths. On ne se refait pas. Son bac en poche (20.6 de moyenne, mention Très Bien, félicitations du jury, au revoir monsieur), il n'avait pas beaucoup réfléchi et il était parti en prépa. C'était ça ou médecine, de toute façon, avait décrété son père.
La prépa, Théodore n'avait pas vraiment aimé ça. Ce n'était que du travail et du travail, tout le temps. Encore une fois, rien de bien passionnant. Il trouvait toujours tout trop simple, mais on le forçait tout de même à être assis devant son bureau pour travailler. C'était une véritable torture.
Il avait continué de lire des livres en cachette, le soir, après le couvre-feu de l'internat. Il était d'ailleurs parvenu à lire tous les romans de Zola deux fois, ce qui constituait en soi un exploit.
Au bout de deux ans, cet enfer se termina. Théodore respira de nouveau. Plus personne ne le forcerait à rester assis à un bureau six heures de suite. Son père pouvait mourir heureux : il avait intégré la meilleure école et était arrivé premier du concours.
On l'avait félicité et congratulé. Lui, il s'en fichait. Ça n'avait pas été bien compliqué.
Il se demandait juste s'il trouverait un challenge intéressant au moins une fois dans sa vie.
Les enceintes diffusaient You don't know me de Jax Jones à fond dans la grande salle. Blaise slaloma entre les danseurs et atteint les barrières derrière lesquels des élèves du BDE distribuaient des bières. Il adressa son sourire le plus charmeur à l'une des filles qui servaient et cria par-dessus la musique « Une blonde, s'il-te-plaît ! ». Sa tête commençait légèrement à tourner, mais il savait qu'il était plus sobre que la plupart des élèves présents. Certains ne tenaient déjà plus debout ou vomissaient dans un coin de la salle.
Il avait un peu bu avec des potes avant de venir, mais il avait préféré ne pas trop forcer pour pouvoir se lever tôt le lendemain matin. Il devait se préparer pour une interview dans une boite de conseil réputée, sur Paris. Sa mère lui avait acheté un nouveau costard spécialement pour l'occasion. Taillé sur mesure, d'une grande marque italienne. Il était à tomber, dedans. Il espérait vraiment qu'il allait décrocher le job. Il comptait pipeauter un peu en leur expliquant à quel point c'était le boulot de ses rêves.
Il attrapa la bière que lui tendait la fille et rejoignit Drago qui dansait avec un groupe de premières années. Il reconnut parmi elles Astoria Greengrass, récemment élu plus jolie fille du campus. Pour fêter l'événement, ses copines l'avaient affublées d'une ridicule couronne en carton et d'un tutu rose. Blaise bu une gorgée de sa bière et entra dans le groupe. Il se déhancha au rythme de la musique tout en se demandant pourquoi il n'était pas resté avec Marcus et Adrian pour mater PSG-Monaco. Finalement, il s'ennuyait un peu à cette soirée.
Il décida qu'aller se griller une clope était une bonne idée. En sortant, il remarqua que Pansy avait vomi dans un coin de la cafétéria. Tracey et Millicent l'entouraient et tentaient de la relever. Avec un haussement d'épaules, il décida qu'il s'en fichait. Pansy se mettait mal à toutes les soirées de toute façon. Il serait peut-être temps qu'elle intègre que Drago la considère comme un plan cul et pas une petite amie.
Dehors, il y avait déjà pas mal d'élèves en train de papoter, fumer ou faire la queue pour pisser. Il repéra de loin Terrence et Daphné qui discutaient avec un type du club de surf de l'école. Il décida d'aller les rejoindre. Il devait taxer une clope à quelqu'un et il savait que Terrence fumait des mentholées, ses préférées. A l'intérieur de la cafétéria, les basses crachaient le refrain de Be Mine d'Ofenbach. Alors qu'il évitait stratégiquement deux mecs en train de se bagarrer, son regard fut happé par…
Par lui.
Il se tenait contre une des barrières en métal, seul, le regard dans le vague. Il avait une clope à la main qu'il tenait négligemment entre son pouce et son index. Il dégageait quelque chose de magnétique que Blaise n'aurait su définir. Ce qui le frappa le plus, ce furent ses yeux. Ils étaient d'un bleu intense et pénétrant. Comme hypnotisé, l'étudiant rebroussa chemin et se dirigea droit vers l'apparition.
« Salut, fut la première chose que Blaise parvint à articuler.
Blaise se sentait bêtement nerveux. Le type lui répondit par un hochement de tête, puis tira une taffe. Blaise remarqua qu'il avait un tatouage en forme de serpent sur l'avant-bras gauche.
- T'as une clope ? demanda-t-il, soudain mal à l'aise.
Il aurait dû boire plus. Il se sentait gêné, d'être venu aborder ce type sans raison. Il devait probablement le prendre pour un taré.
Pour simple réponse, Yeux-Bleus fouilla dans sa poche et en sorti un paquet de Marlboro menthol. Il le tendit à Blaise.
- Au fait, moi c'est Blaise.
- Théodore.
Blaise sorti son briquet pour allumer la cigarette. Il tira une taffe, savourant le goût mentholé dans sa bouche, puis souffla doucement la fumée.
- Je t'ai jamais vu ici. T'es pas de l'école ? demanda-t-il.
- Je suis en première année. Mais d'habitude je ne viens pas aux soirées, répondit calmement Théodore.
Sur le coup, Blaise se sentit un peu con. Puis il se demanda comment il avait pu ne pas remarquer ce type plus tôt.
Quand Théodore rencontra Blaise, il le trouva profondément inintéressant. Il était le cliché même des élèves en école de commerce. C'en était affligeant. Il respirait l'arrogance et la suffisance. Cela se voyait à sa manière d'arriver en conquérant partout où il allait. Heureusement que tout le monde n'était pas comme ça, ici. Théodore avait quelques amis qu'il considérait à peu près fréquentables. Il ne fallait pas non plus faire des généralités.
Cependant, les personnes comme Blaise étaient monnaie courante ici. On pouvait les repérer à cent mètres, avec leurs pulls du BDE ou leurs costards puant l'amidon. Le genre de types qui n'avaient qu'une ambition dans la vie : être connus sur le campus puis être embauchés dans une grosse boite à la sortie de l'école.
Pourtant, lorsque Blaise vint lui parler, il décida qu'il ferait l'effort de tenir la conversation. Il avait envoyé chier trop de monde depuis le début de l'année. S'il continuait comme ça, il finirait par être élu mec le plus détesté du campus. Et puis, Blaise avait au moins une chose pour lui : il était canon. Théodore se dit qu'il pouvait bien faire l'effort de l'écouter. Avec un peu de chance, il parviendrait à coucher avec lui.
A part son cul, Blaise n'avait vraiment aucun intérêt. Théodore l'écouta déblatérer en tentant de ne pas bailler. Le deuxième année était en train de lui expliquer qu'il rêvait d'un poste prestigieux dans une grande multinationale. Théodore avait envie de s'endormir tant c'était ennuyeux. Mais il avait l'habitude. Beaucoup de choses l'ennuyaient de toute façon.
Quand Blaise l'invita à monter dans sa chambre, Théodore accepta en soupirant de soulagement. Il espérait vraiment que Blaise n'allait pas parler pendant l'acte.
Depuis la rentrée, Théodore avait eu le temps de relire la Comédie Humaine en entier. En cours, il s'ennuyait tellement qu'il était à court de mots pour décrire l'ampleur de sa lassitude. Les autres semblaient s'occuper avec le sport, la vie associative, les soirées… Lui, il passait son temps dans sa petite chambre d'étudiant à lire et à se demander pourquoi il était là, à se morfondre. Tout le monde disait qu'il était promis à un brillant avenir. Cette perspective ne le réjouissait pas particulièrement.
L'entrée de Blaise Zabini dans sa vie était venue bousculer ses petites habitudes. Bien sûr, ce n'était qu'un plan cul. Zabini était con comme un balai, on ne pouvait rien faire pour ça. Mais il l'occupait. Il l'amusait même. Un peu comme un scientifique s'amuse avec une souris qu'il dissèque. Théodore adorait l'étudier, en fait.
Il n'était pas sûr d'avoir déjà rencontré quelqu'un d'aussi vide et matérialiste. Il ne parlait que de son physique, de son futur stage dans une boite de conseil et de son poste de président dans une des plus grosses associations de l'école. La beauté, la richesse, le pouvoir. Voilà ce qui faisait rêver Blaise Zabini. Théodore l'écoutait avec une passivité moqueuse, se demandant si un jour Blaise se rendrait compte que ses sourires ne traduisaient pas de l'admiration, mais au contraire le plus profond mépris.
Blaise avait un autre avantage : il baisait très bien. Bizarrement, il faisait preuve d'une imagination débordante au lit, à défaut d'en avoir dans les autres domaines de sa vie. La nature n'était donc pas si cruelle, finalement, remarqua Théodore.
Bref, Blaise et lui se voyaient pour baiser régulièrement, et ça lui convenait parfaitement. Il avait enfin trouvé un moyen de se sortir un peu de son ennui permanent.
« Tu vas à la soirée demain ? demanda Blaise. Il y aura la sono de l'école d'ingé d'à côté, ça va être trop cool.
- Sans façon. De toute façon, je n'aime pas la techno.
Théodore se retourna pour faire face au mur. Il avait envie de dormir. Pourquoi Blaise l'embêtait-il toujours à vouloir parler après le sexe ?
- Bizarre, c'est un truc de bobo, normalement, la techno.
- Et alors ? Tu insinues que je suis un bobo ? fit Théodore.
- Un peu. En mode intello littéraire, tu vois le genre, répondit Blaise en désignant les étagères couvertes de livres.
- Je t'emmerde. Tu crois qu'être un gros requin c'est beaucoup mieux ?
- Au moins, moi, je gagnerai plein de thunes plus tard.
Théodore soupira. Parfois, il se demandait vraiment ce qu'il fichait là.
Depuis qu'il avait abordé Théodore à cette soirée, Blaise ne pouvait s'empêcher de penser à lui. C'était bizarre, parce que Blaise n'avait pas pour habitude de se soucier beaucoup des autres. Souvent même, ses partenaires lui reprochaient son égoïsme. Sa mère lui avait bien dit : les sentiments, c'est pour les faibles.
Avec Théodore, c'était différent. Il était plus intelligent que les autres, plus intéressant. Et puis, il ne se jetait pas à ses pieds, comme les autres. Il avait cette part de mystère indescriptible qui donnait envie à Blaise de passer du temps avec lui, encore et encore.
Blaise se demandait s'il n'était pas en train de tomber amoureux. C'était fâcheux, parce que Théodore était un garçon, et Blaise ne pouvait décemment pas s'afficher avec un mec. C'était sa réputation qui était en jeu. Il ne comptait pas s'arrêter de faire semblant d'être hétéro.
Comme à chaque fois qu'il avait ce genre de dilemmes, Blaise préféra repousser le problème dans un coin de son esprit. Il s'occuperait de ça plus tard.
« Toi et moi, on est quoi, en fait ? demanda soudain Blaise.
- Un plan cul, pourquoi ?
- Pour rien. Juste pour être sûr qu'on est sur la même longueur d'onde.
- Ok. Laisse-moi dormir maintenant, grommela Théodore en rabattant la couette sur tête pour signifier la fin de la conversation.
C'était quoi ce pincement qu'il avait au cœur, au juste ?