Que le Sang coule encore une fois
Une goutte d’eau tomba sur le front de la jeune femme qui regardait le ciel. Elle s’écrasa sans douceur sur sa peau de lait et roula lentement vers son arcade, puis perla le long de son nez aquilin et vint s’immiscer dans sa bouche dédaigneuse par la commissure de ses lèvres fines s’étirant dans un effroyable sourire à glacer le sang du plus téméraire des courageux.
Une autre goutte d’eau, lourde et fraîche comme la précédente, se déposa sur sa lourde paupière close et une autre sur sa mâchoire forte. Enfin, des centaines vinrent se déposer dans ses cheveux et sur sa robe, élargissant son sourire macabre. Il pleuvait.
Oh comme elle aimait la pluie ! Elle aimait la pluie plus que n’importe qui et depuis toujours. Petite, quand la liberté, cet horrible concept, était encore de mise, elle adorait aller sous la pluie et tourbillonner en chantonnant des mélodies que seule une enfant peu connaître. Puis Mère avait fait d’elle une parfaite petite Sang-Pur bien élevée et la haine coulait dans ses veines comme de l’eau de pluie. Et Merlin comme elle aimait ça ! Narcissa n’avait jamais compris son engouement pour la pluie et Andromeda se méfiait d’elle pour cette raison. Cette immonde petite traîtresse n’avait jamais eu autant raison de se fier à son instinct de sa misérable vie.
Si Bellatrix aimait autant la pluie, c’est parce qu’on la sentait venir de loin, on pressentait et redoutait son arrivée, mais jamais Ô grand jamais on ne pouvait l’arrêter. L’on ne pouvait pas arrêter la déferlante de gouttes d’eau brûlante de froid et de désespoir et quand elles arrivaient, il fallait seulement espérer être à l’abri car elles s’insinuaient partout et elles s’écrasaient sur le sol avec une telle lourdeur qu’elles détruisaient le monde entier sur son passage.
Bellatrix adorait cela. Elle aimait être comme la pluie.
Un sourire de satisfaction déchira en deux son visage terrifiant de haine et de fanatisme. De douleur aussi, car elle avait aujourd’hui perdu sa raison de vivre. Mais elle n’en restait pas moins sadique et ce fut avec cette lueur dans les yeux qu’elle se tourna vers ses trois comparses. Son mari Rodolphus lui rendit son regard fiévreux et le frère de ce dernier tremblait de vengeance et de haine. Le petit dernier, Croupton, se demandait encore ce qu’il faisait là, mais il allait commettre cette abomination comme les autres.
Lentement, Bellatrix tendit son bras vers le jardin. Sa baguette désignait précisément la haie qui bloquait le passage. Elle pencha la tête, murmura une incantation et un rayon violet se répandit autour du buisson de laurier qui fana à vue d’œil. D’un signe, elle ordonna à Rabastan de s’introduire dans la propriété par la percée qu’elle venait de faire. Elle ne prononça pas un mot car rien ne pourrait décrire correctement le cyclone qui a tout dévasté dans son âme. La petite fille qui aimait la pluie n’est plus. La jeune fille qui impressionnait par son aura n’est plus. Il ne restait que la femme accomplie qu’elle était devenue. Disparue celle qui tremblait de peur et d’admiration la première fois qu’elle rencontra le Seigneur des Ténèbres. Disparue celle qui pleura le soir où on lui annonça ses fiançailles avec Rodolphus. Envolée celle qui craignait de décevoir son père. Envolée celle qui avait craché au visage de sa mère quand elle avait découvert sa faute. Détruite celle qui avait tendrement aimé ses sœurs, et particulièrement la cadette qui semblait si prometteuse avant de trahir lâchement son sang.
Effacée, réduite au néant, celle qui avait espéré donner un héritier et qui avait appris sa stérilité, punition infligée à Druella qui aurait dû donner un fils vigoureux de santé. Assassinée la jeune utopique qui durant ses premières années d’adolescence avait espéré être heureuse de sa puissance et de son mari.
Depuis des années elle ne vivait plus que pour son maître. Aujourd’hui, il était mort, détruit par un petit garçon, fils d’une Sang-de-Bourbe qu’elle aurait aimé assassiner de sa main si son maître ne l’avait pas déjà fait. Ses paupières tremblaient de fureur et de désespoir. Sa mâchoire forte, héritage de son père, était serrée, contractée par l’effort qu’elle allait produire et par la haine qu’elle ressentait. Ses épais cheveux couleur Encre de Chine tressautaient au rythme de sa respiration saccadée. Ses mains, oh ses mains tremblaient bien plus que tout le reste de son corps, mais elles restaient assurées et habiles, bien plus capables de produire les pires sortilèges que les trois autres Mangemorts réunis.
Elle ouvrit la porte d’un geste assuré après avoir désactivé minutieusement tous les sortilèges de protection. Les habitants de cette maison étaient des Aurors et incapables de se protéger correctement. Les charmes et boucliers étaient tombés quand ils avaient appris la chute du Seigneur des Ténèbres et la mort de leurs bien-aimés collègues, sacrifiés sur l’autel de la guerre pour la survie des innocents. Ces idiots s’étaient pensés en sécurité et ils allaient le payer le prix fort. Bellatrix comptaient bien se venger pour ce qu’ils avaient fait. Elle comptait bien les faire hurler jusqu’à la mort, ces traîtres à leur sang, elle comptait bien leur extirper leur dernier souffle sous les yeux de leur immonde petit garçon. Elle voulait savoir tout ce qu’ils savaient car le Seigneur des Ténèbres allait revenir. Elle y croyait plus que tout. Il le fallait. Elle en avait ô combien besoin.
Quand elle repensait à son maître, le souffle de Bellatrix lui manquait. Il était mort. Il n’avait pas le droit de l’abandonner parmi tous ces faux fidèles, tous ces traîtres. Elle aurait voulu mourir pour lui et c’était lui maintenant qui était mort. Elle se sentait seule, abandonnée, mais elle restait animée par cette flamme de rage, de haine, de fanatisme aussi, et d’amour surtout.
Elle eut un haut-le-cœur à cette pensée mais elle devait se l’avouer : elle aimait son maître plus que tout au monde.
En posant son pied sur la première marche de l’escalier menant à l’étage, elle eut cette pensée qui enflamma tout son corps : elle allait tuer pour son maître. C’était loin d’être la première fois qu’elle le faisait mais elle aimait ça comme au premier jour. Aujourd’hui, elle allait tuer pour qu’il renaisse de ses cendres, elle allait tuer pour qu’il revienne et qu’avec lui revienne son amour.