Tout en gardant un œil attentif sur le paragraphe consacré au sortilège qui l'intéressait, Luna tentait vainement d'avancer sur son ouvrage qui devait être terminé pour demain. Tout l'été, elle avait observé dans l'album de son père ce lion magistral et magique qui ne se trouvait que dans de lointaines contrées africaines. Il l'avait fasciné, elle n'avait cessé d'y penser. Comment ne pas être émerveillé par cet animal majestueux? Au-delà même de ses indéniables qualités, il lui rappelait ses amis de Gryffondor. Ses quatre amis, cinq même, si elle incluait Neville qui lui avait fait se sentir intégré pour la première fois de sa vie au monde extérieur.
Elle tenait donc à rendre hommage à cet animal qui la fascinait, ainsi qu’à ses nouveaux amis, ceux même qui ne l’avaient jamais jugée, qui l’avaient se sentir enfin chez elle à Poudlard. Et elle avait estimé que le meilleur moyen de leur montrer tout ce qu’ils représentaient pour elle serait ce lion merveilleux qu’elle arborerait fièrement le lendemain, lors du premier match de Quiddicth de la saison. Après tout, il fallait bien qu’elle montre son soutien à ceux qui seraient sur le terrain, sa nouvelle famille.
Seulement, le sortilège lui demandait beaucoup d’imagination. Elle devait en permanence réfléchir à ce qu’elle faisait, pour éviter de faire des erreurs. Ce n’était pas la première fois qu’elle s’isolait ainsi depuis le début de l’année afin de le réaliser, mais elle avait bloqué à chaque fois sur quelques étapes. Ce n’était pas un sortilège ordinaire, il fallait en effet le composer à chaque instant. C’était de la vraie métamorphose, de celle qu’apprenaient les dernières années, celle que maîtrisaient les professeurs comme MacGonagall. Luna était encore bien jeune pour parvenir à un résultat aussi spectaculaire que celui du livre dont son père avait fini par lui faire cadeau, voyant qu’elle ne lâchait pas l’illustration des yeux de tout l’été. La connaissance du sortilège n’était pas suffisante, il fallait aussi se servir de son esprit, de son âme pour lui donner la vie. C’était un art compliqué, qu’elle tentait de plier à son bon vouloir.
Qu’importe les protestations de son corps depuis longtemps assis dans la même position, Luna s’efforçait de rendre son œuvre majestueuse. Elle se moquait du froid ressemblant à celui de Sibérie, qu’elle avait déjà affronté un hiver en allant à la chasse aux Narmids avec son père, elle ne lâchait pas la photo de son livre, la sueur due à la pression qu’elle se mettait coulant sur sa nuque. Les tableaux autour d’elle étaient heureusement silencieux, respectant le travail de la jeune sorcière. Même le Chevalier de Catogan, dont le tableau avait été exilé dans cette partie du château, avait renoncé à exposer ses armes à la vue de Luna. Elle profitait ainsi d’un calme propice à la détente et à la concentration. Le couloir était un vrai havre de paix pour le moment, bien loin de l’agitation de la population du collège.
Elle était tellement concentrée sur sa tâche que même lorsqu’une appétissante odeur de poulet rôti vint lui chatouiller les narines, Luna ne modifia pas sa posture aussi inconfortable soit-elle. Seule l’augmentation de sa salive, et cette désagréable sensation d’avoir avalé un bocal de têtards qui frétillaient gaiement dans son estomac trahi sa faim. Il ne lui restait que quelques heures pour terminer. Elle n’avait pas le temps de rêvasser ! sa concentration devait rester au maximum si elle voulait que le résultat soit aussi spectaculaire qu’elle l’avait imaginé.
Lorsque sa baguette toucha un coin du tissu qu’elle utilisait, ses mains tremblèrent légèrement, signe que la fatigue gagnait malheureusement du terrain. Lorsqu’elle tourna la seconde page de ses notes, elle loucha légèrement. Elle cligna à plusieurs reprises des yeux et continua sa lecture. L’étape suivante était très importante et même si, elle la connaissait presque par cœur, elle préférait être sûre de ses gestes. Il était hors de question de tout gâcher si près de son objectif.
Pendant sa lecture, elle fit abstraction de la musique qui s’élevait dans le château et qui arriva jusqu’à elle lorsque la chorale de Poudlard reprit pour la dixième fois un morceau qui semblait leur poser problème. L’harmonie n’était pas parfaite, mais ils travaillaient depuis si longtemps qu’elle était certaine qu’ils allaient finir par y arriver. Ils préparaient un récital qui devait avoir lieu dans quelques jours en l’honneur de la grande Helga Poufsouffle et de sa philosophie.
Luna soupira, repoussa ses cheveux blonds en arrière, se gratta brièvement la gorge et fit une grimace. Comme un sculpteur, elle observa son œuvre d’un œil critique. Elle réfléchit au principal défaut de celle-ci qui l’empêchait de prendre vie.
La partie verticale du chapeau au lieu d’être rigide était complètement lâche. Lorsqu’elle le portait il ne ressemblait en rien au fier lion. Il ressemblait plus à une chose molle sans vie qui recouvrait sa tête. Même les poils de l’animal étaient ternes. Elle sourit lorsque la solution s’imposa d’elle-même. Elle devait relier dix points verticaux entre eux pour solidifier le tout et ainsi donner vie à cet animal si majestueux.
En tirant la langue, Luna se mit à la tâche, se servant de sa baguette comme elle le ferait d’une aiguille. Dehors, la luminosité était en train de descendre, signe que la nuit tombait. Heureusement, à l’intérieur, les torches prenaient le relai, lui permettant de poursuivre son travail. Une sonnerie discrète résonna dans le château, signe que le repas était servi. Tel un clairon, l’alarme précipita une partie des étudiants vers la Grande Salle. Ils étaient en quête d’une alimentation qui leur avait manqué depuis le repas de midi. Luna sourit en imaginant Ron se jetant sur la nourriture. Ce garçon avait des goûts étranges. Il pouvait verser de la mayonnaise dans sa gelée !
Comme une coïncidence, Luna venait enfin de terminer son œuvre. Son investissement avait payé. Délicatement, elle le prit entre sers mains. Ces dernières ressemblaient à deux petites menottes d’une frêle enfant. Mais le résultat était là. Son lion était capable de rugir. Il ne ressemblait plus à un pauvre minou malade. C’était le vrai roi de la savane. Tendrement, elle passa une brosse sur ses longs poils. Elle n’en revenait pas d’avoir réussi. Elle se sentait légère, si fière qu’elle se leva en riant en se mit à tourner autour d’une colonne proche de son coin, entamant ainsi une danse improvisée. Elle donna même des claques sur ses cuisses, laissant paraître son sentiment d’allégresse. Tant pis si elle avait l’impression d’avoir effectué un marathon, tant pis si elle avait le souffle court, étant loin d’être une athlète, elle avait réussi !
En se calmant, elle détailla son ouvrage. Il était parfait. Et Luna se promit alors d’aller voir un jour, avant son mariage ou de finir au cimetière, ces animaux fantastiques. Elle voulait voir la savane, faire du tourisme autour du monde entier. Elle voulait voir les rivières qui irriguaient les forêts, les abîmes gigantesques creusés par la nature, les abeilles , les cafards et autres insectes peuplant l’air et le sol, les Alpes et toutes les montagnes de la Terre.
En regardant ce lion créé par elle-même, Luna se fit la promesse de visiter tous ces endroits magnifiques. Elle ne voulait plus de barrière autour d’elle, seulement la liberté et le bonheur. Alors, face à ce lion brodé, elle se fit pilote de sa vie et écrivit son destin. Telle une prédiction digne de Trelawney, elle construit sa propre prophétie. Elle ira voir les lions en Afrique et parcourrait la terre dès qu’elle le pourrait.