Teddy aimait Victoire.
Il aimait l’odeur de ses cheveux, ce parfum d’embruns marins qui ne la quittait jamais vraiment.
Il aimait sa manie de s’attacher les cheveux quand elle travaillait, sous prétexte que ça lui dégageait l’esprit.
Il aimait le goût salé de sa peau.
Il aimait le grain de beauté qu’elle avait sous l’oreille gauche.
Il aimait son rire, qui résonnait longtemps dans l’air comme une cascade de grelots.
Il aimait ses sourires parfumés.
Il aimait cette passion qu’elle avait pour la nage, et pour les pamplemousses.
Il aimait sa voix douce et rauque quand elle sortait tout juste des méandres de ses rêves.
Souvent, après ses crises, tandis qu’il la réconfortait doucement, ses mains autour de sa taille, sentant son souffle dans son cou, il lui répétait d’une voix douce avec un petit sourire qu’ils avaient tout pour être ensemble. Il avait plusieurs visages, un seul esprit. Elle avait plusieurs esprits, un seul visage. Ils se complétaient bien, de vraies âmes-sœurs. Il sentait son souffle saccadé qui chatouillait son cou. Elle riait doucement, blottie contre lui.
Mais Teddy n’en pouvait plus.
Quand il l’entendait sangloter doucement la nuit, il ne faisait plus rien. Il se contentait de fixer le plafond, les yeux grands ouverts, avec ce pincement de lâcheté au cœur. Mais que pouvait-il faire ? Qu’il la réconforte ou non, elle recommencerait la nuit prochaine. Il était inutile, et cela ne servait à rien de s’illusionner en l’embrassant, en la câlinant, en lui promettant que tout irait mieux demain. Parce que c’était faux.
Alors il attendait patiemment que cela cesse, que les larmes se tarissent et que le souffle de Victoire se fasse plus régulier, puis il s’endormait à son tour.
Teddy avait toujours fait en sorte d’avoir une vie simple. Pourtant, orphelin de naissance, semi-Métamorphomage, filleul de l’Elu, cela partait franchement mal. Mais il avait réussi. Réparti à Poufsouffle, se constituant rapidement une bande d’amis sympa, trouvant sa vocation dès la Cinquième Année.
Il avait tout de suite aimé l’Arithmancie. Certes, cette matière était complexe, mais toute équation avait une solution, et cet aspect rassurant avait tout de suite plu à Teddy. Alors, malgré les doutes du Professeur Vector, ses difficultés dans la matière (Teddy n’était pas ce qu’on aurait pu appeler un bon élève), il avait persévéré. Son professeur s’était bientôt rendu compte de sa ferveur et de son enthousiasme réels pour sa matière, et l’avait soutenu dans ses démarches d’inscription à l’ENSA (Ecole Nationale Sorcière d’Arithmancie). Après trois années laborieuses, Teddy avait obtenu son diplôme et exerçait dans un petit cabinet miteux mais bien rangé, situé dans une ruelle mal famée du Chemin de Traverse. Mais il était heureux. Il n’avait jamais prétendu, ni souhaité, atteindre mieux. Il n’avait jamais rêvé de devenir le plus grand Arithmancien du siècle, ni résoudre une équation que personne n’aurait résolue avant lui. Il voulait juste exercer le métier qui lui plaisait.
Il vivait donc de son maigre salaire, et des rentes provenant de son héritage paternel et maternel. Sa grand-mère Andy avait déménagé au Terrier après la mort d’Arthur et tenait maintenant compagnie à Molly. Il avait donc pu vendre la maison des Tonks et vivait ainsi confortablement.
La journée, il travaillait sur des équations sont il finissait toujours par trouver la résolution, et le soir il rentrait à la maison retrouver son Insoluble.
Il était amoureux de Victoire, c’était certain. Il l’avait toujours su. Jamais il n’avait rencontré une fille, puis une femme, la dépassant en beauté, en mystère, en intelligence. Jamais il n’avait ressenti pour une autre un quart de ce qu’il ressentait pour elle ; du désir, de l’amour, de la tendresse, de la fraternité, de l’amitié sincère. A part peut-être Dominique, personne n’avait compris comme lui ses faiblesses, ses fêlures, ses folies. Tout le monde se contentait d’applaudir ce couple si parfait, l’extraordinaire, la charismatique, la douce, la lumineuse Victoire et ce Teddy si mignon et sympathique. Personne n’entrevoyait la vérité : une jeune fille malade, qui cachait ses craquelures sous des rires exagérément bruyants, des sourires exacerbés et des cadeaux toujours plus beaux. Et lui, son médecin, son bâton, celui qui l’aidait à tenir et la retenait pour ne pas qu’elle tombe.
Mais plus les jours passaient, plus il percevait la vanité de ses actes. La folie de Victoire augmentait, tissant sa toile peu à peu, et son utilité à lui ne cessait de décroître.
Ce jour-là, il rentra décidé. Il allait résoudre son problème.
Il trouva Victoire à la table de la cuisine, une tasse en porcelaine portée à ses lèvres, du thé au jasmin probablement. Ses longs doigts effilés tapotaient sur le bois usé le rythme de cette chanson si connue des Mushrooms, ses yeux étaient perdus dans la contemplation du garde-manger fermé comme si elle admirait le bleu de la mer. Elle leva un regard éthéré vers lui, passa une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille et reprit une gorgée.
Teddy s’assit. Silence complet. Seul le tapotement de ses doigts rompait la monotonie de l’instant. Elle s’arrêta. Un pressentiment ? Teddy le prit comme tel, déglutit puis, prenant son courage à deux mains :
« - Il faut qu’on parle. »