Colin n’avait pas douze ans quand s’était nouées ce qui devait être les deux grandes amitiés de sa vie. C’était une belle matinée de printemps comme on n’en avait alors pas connu depuis longtemps, matinée égayée par les belles lettres reçues de ses parents et matinée encore enjolivée par l’absence du professeur Lupin. Le cours de Défense contre les forces du mal était en effet le seul cours des Gryffondor et Serdaigle de deuxième année le vendredi matin et, plutôt que de s’enfermer dans une vieille salle de classe où luisait la poussière et retentissaient les bâillements d’élèves ensommeillés par la semaine écoulée, Colin allait pouvoir s’aventurer dans le parc de Poudlard son éternel appareil argentique autour du cou.
Ce matin-là, aucun de ses amis ne se proposa pour l’accompagner. Colin ne s’en formalisa guère, habitué qu’il était à susciter l’incompréhension de ses camarades avec sa passion dévorante. Il passait au moins une bonne heure par jour à photographier tout ce qui d’une façon ou d’une autre se retrouvait dans son champ de vision et il n’était pas rare de le retrouver à la bibliothèque les yeux rivés sur un quelconque ouvrage dédié à l’histoire de la photographie. La plupart du temps, on l’en félicitait et on demandait à voir ses clichés les plus récents, mais il arrivait aussi que ses amis ne se lassent d’être pris pour modèles à chaque instant de leur vie et de s’entendre questionner sur l’invention de la photographie pour la trente-septième fois de la journée. Aussi Colin haussa-t-il simplement les épaules et quitta la Grande salle son sac négligemment jeté sur une épaule.
Les portes du château franchies, Colin laissa ses pas le guider automatiquement vers un grand marronnier qui trônait à l’est du lac, non loin de la Forêt interdite. L’arbre en soi n’avait rien de particulier, si ce n’était qu’il lui rappelait l’allée de marronniers menant à la ferme de ses parents –il venait souvent se remémorer celle-ci lorsque la nostalgie l’étreignait en première année. En revanche, assis sous les épaisses branches de l’arbre centenaire, Colin avait une vue imprenable sur le château qu’il ne se lassait pas de capturer. Il aurait pu recommencer encore et encore tant celle-ci différait selon que le soleil soit haut dans le ciel ou pas, ou selon que le temps soit au beau tout simplement. C’était un peu comme son jardin secret, son endroit à lui qu’il ne partageait pas même avec ses amis.
Mais au fur et à mesure que s’épaississait le marronnier, Colin fut bien forcé de constater qu’une jeune fille y était déjà appuyée. Il fut bien tenté de rebrousser chemin une minute, mais il se ravisa lorsqu’il reconnut Luna Lovegood. Ses longs cheveux blonds étaient aussi emmêlés qu’à l’ordinaire mais une légère brise printanière les soulevait délicatement et créait un tableau des plus ravissants.
L’occasion était beaucoup trop belle.
- Bonjour Luna ! lança Colin en saisissant son appareil à deux mains.
La jeune fille se tourna doucement vers lui et lui offrit un sourire éclatant que ses lèvres n’esquissaient que trop rarement au goût de Colin. Il la savait très embêtée par les élèves de sa propre maison sans avoir jamais vraiment compris pourquoi. Même s’il ne la connaissait pas vraiment, il l’avait toujours trouvé gentille les quelques fois où il avait eu l’occasion de lui parler. Elle lui apprenait plein de choses dont il n’avait pas idée sur le monde magique et grâce à elle, il avait même le projet de faire un long voyage en Suède pour immortaliser les créatures enchanteresses qu’elle lui avait parfois décrit.
Rien que pour cela, il aurait bien défendu Luna contre la terre entière.
- Est-ce que tu permets que je te prenne en photo, là ? Je te trouve très jolie comme ça, avec le château en arrière-plan.
- Ah oui ? s’étonna Luna. Tu ne veux pas que je fasse quelque chose, que je porte un vêtement spécial par exemple ?
- Pas du tout. Tu es très bien comme ça.
Le silence s’installa entre les deux adolescents et Colin sentit alors le rouge lui monter aux joues en réalisant ce qu’il venait de dire. C’était comme s’il se rappelait soudainement que Luna n’était pas qu’un modèle mais bien une fille, et une fille qu’il appréciait en plus, et surtout une fille qu’il venait de complimenter avec la plus grande aisance.
- C’est drôle, c’est la première fois qu’on me dit que je suis jolie ici, remarqua Luna.
Colin, lui, n’était pas certain que ce soit vraiment drôle et il ne put s’empêcher de trouver bien triste le sourire de Luna.
- Je t’ai toujours trouvé belle, moi, répondit alors –la voix légèrement chevrotante- Colin.
- Merci Colin, c’est gentil.
- C’est vrai.
- Oui, je sais, puisque tu le dis.
C’était aussi pour ce genre de conversations que Colin appréciait Luna. Avec elle c’était simple, c’était doux, il était inutile de tergiverser des heures durant. Il pouvait admirer les décors l’environnement sans se sentir obligé d’alimenter une conversation, elle pouvait vagabonder à ses pensées sans se sentir gênée par sa présence.
C’était vrai avec Luna.
- Au fait, mon père a reçu la photo d’un Ronflak Cornu. Elle est floue, on ne voit pas grand-chose, mais je me suis dit que ça t’intéresserait en attendant d’avoir la tienne.
- C’est vrai ? Vous avez enfin une preuve alors ? s’extasia Colin.
- Pas tout à fait. Mon père va l’emmener au prochain congrès de la zoologie magique mais comme on ne voit pas très bien, il est probable que les gens n’y croiront pas. Ce n’est pas grave. Toi tu en verras un jour.
- On les verra ensemble, ce sera encore mieux.
Ils n’avaient plus échangé un mot après cela. Il avait pris de très nombreux clichés de Luna le regard fixé vers l’horizon. Lorsqu’elle avait finalement dû partir terminer un devoir d’histoire, elle lui avait glissé la fameuse photographie dans la main et surtout laissé un doux baiser sur la joue. Il était retourné le cœur gonflé de joie et d’optimisme à la Grande salle, l’image –effectivement floue- de Ronflak Cornu bien serrée dans sa main.
Ses amis avaient dû l’appeler plusieurs fois pour le ramener à la réalité.
- Colin, c’est quoi cette photographie ?
La question venait, il lui semblait, de Demelza Robbins, mais le visage curieux de Ginny Weasley était également fixé sur cette drôle d’image dont on ne distinguait presque rien.
- C’est un Ronflak Cornu. C’est Luna qui me l’a donné.
- Mais ça n’existe pas les Ronflak Cornus, répondit Demelza en fronçant les sourcils.
- Si, puisque Luna me l’a dit.
- Je te l’ai déjà dit Colin, tu ne dois pas croire tous ce que les autres te disent, tu vas finir par t’attirer des ennuis comme ça.
- Mais c’est Luna, protesta Colin.
- Et elle est très gentille, mais pas vraiment une source fiable. Fais juste attention, Colin. Tu risquerais d’avoir les mêmes problèmes qu’elle à force de crédulité.
- Moi j’appelle ça de la loyauté, intervint alors Ginny.
La réplique surprit autant Demelza que Colin, Ginny Weasley étant plutôt du genre effacée depuis l’expérience traumatisante de sa première année. Elle s’entendait bien avec ses camarades de dortoir et passait souvent du temps avec Colin quand il n’était pas occupé à photographier le château entier, mais il était rare qu’elle ne s’affirme aussi franchement dans une conversation.
- C’est vrai, précisa Ginny dont les joues étaient maintenant teintées de rose. Et puis qu’est-ce que ça peut faire de toute façon, qu’ils existent ou pas. Ça fait plaisir à Luna, apparemment. Et tu ne vas pas lui enlever ça aussi.
- Mais je ne…
- Tu devrais venir en Suède avec nous, Ginny ! s’exclama alors un Colin ravi. On voulait justement aller chercher les Ronflaks avec Luna, ce serait très amusant tu ne crois pas ?
Demelza poussa alors un long soupir qui laissa ensuite la place, presque contre son gré, à un léger sourire. Elle ne se doutait pas encore que ce projet allait tant emballer Colin qu’il amènerait Ginny et Luna à finalement se rencontrer, et ces trois-là à ne plus guère se séparer. Elle ne le savait pas, et Ginny ne le pressentait probablement pas non plus, mais Colin en revanche, Colin lui le sentait déjà.
Il le sentait, il le croyait et même déjà s’imaginait en Suède, et c’était peut-être improbable et surtout très naïf, mais c’était aussi amusant et réjouissant et même enthousiasmant et dans le fond, c’était bien ça le plus important –juste après cette belle amitié qui prenait ses racines dans une douce matinée de printemps.