Elle l’avait quitté. James n’y croyait toujours pas. Faisant tourner son verre de whisky pur-feu entre ses doigts, il poussa un juron qui aurait fait fulminer sa grand-mère. Katlin l’avait quitté, bordel. Elle n’avait rien laissé dans le petit appartement dans lequel ils avaient emménagé ensemble un an auparavant. Pas même la plume de paon qu’elle utilisait pour écrire ses poèmes. Putain, elle avait tout pris. Et pourtant, il pouvait encore sentir son parfum sur les draps même si elle était partie depuis deux semaines.
Il grogna et engloutit son verre d’une traite, le liquide lui brûlant la gorge. Sur le bord du bar où il s’était accoudé, une bougie commençait à s’éteindre. La flamme, vacillante, dansait lentement. Ce n’était plus qu’une question de secondes avant qu’elle ne meure. La cire coulerait sur le bois et il ne resterait que cette simple trace de son passage. Bordel, voilà qu’il se mettait à tergiverser sur la vie d’une simple bougie !
James leva son verre vide, faisant signe à la serveuse de le remplir. Il était venu s’enterrer dans ce rade mal famé de l’Allée des Embrumes après avoir longuement marché dans les rues du Chemin de Traverse. Le jeune homme était vaguement conscient des créatures qu’il aurait pu rencontrer ou des sorciers qui auraient pu l’égorger dans une ruelle. Après tout, il était le fils aîné de Harry Potter. Mon père, ce héros, pensa-t-il amèrement en remettant sa capuche noire en place.
Cette serveuse était d’une lenteur, c’était incroyable ! Peu aimable en plus de cela, elle ne décochait pas le moindre sourire et c’était à peine si elle lui avait dit bonsoir. Elle n’était même pas jolie, elle aurait au moins pu faire un effort, non ? James s’impatienta et se mit à toussoter pour attirer son attention. Elle semblait captivée par une tache qu’elle n’arrivait pas à effacer dans un verre de bière, ses longs cheveux bruns lui cachant la moitié du visage.
Lorsqu’elle releva les yeux sur lui, il se fit la réflexion qu’elle avait largement dépassé la quarantaine d’années, se rapprochant sans nul doute des cinquante printemps. La femme qui se tenait face à lui, de l’autre côté du bar, avait les joues creuses et le teint pâle, presque maladif. Des cernes s’étalaient sous ses yeux bruns en amande et son corps, chétif, paraissait se fondre sous une robe de sorcière trop grande pour elle. Tout son être semblait avoir rendu les armes depuis bien longtemps. Seul son regard brillait encore d’une lueur d’arrogance alors qu’elle relevait son menton, légèrement en pointe, vers lui.
- Qu’est-ce que tu veux encore, gamin ?
- Un autre, répondit-il en lui tendant son verre.
- T’as pas assez bu ?
Pour qui se prenait-elle ? James inspira profondément, retenant le flot d’insultes qu’il s’apprêtait à déverser sur cette femme qui pensait avoir le droit de lui donner son avis.
- Je paye, répliqua-t-il en sortant une bourse de sa cape qu’il mit sur le bar.
- Range ça… souffla-t-elle en jetant un coup d’œil autour d’elle.
- Vous vous prenez pour ma mère ? la provoqua-t-il durement en attrapant sa bourse qu’il rangea dans sa poche. Ce que je veux, c’est un verre, rien d’autre. Surtout pas les conseils d’une vieille serveuse de l’Allée des Embrumes.
La femme eut un rictus froid avant de se pencher vers lui.
- Manque-moi encore une seule fois de respect, petit Potter, et je t’assure que je n’hésiterai pas à dire qui tu es. Crois-moi, tu vaux extrêmement cher pour certains sorciers…
Elle repoussa une mèche devant ses yeux et se redressa.
- Un whisky pur-feu ?
James se contenta d’acquiescer. Le ton qu’avait employé la sorcière ne lui plaisait pas mais il pouvait lui reconnaître un certain cran. Comment l’avait-elle reconnu ? Il y avait plus de deux ans qu’il n’était pas apparu sur les photos de sa famille qui paraissait dans la Gazette et tout le monde s’accordait à dire qu’il ne ressemblait pas à son père. Pas comme Albus. Alors comment ?
La serveuse déposa son verre sur le bar et se pencha une nouvelle fois vers lui.
- Tu as les mêmes expressions de gosse paumé que lui, murmura-t-elle, un sourire narquois effleurant ses lèvres plus fines qu’une feuille de parchemin.
- Vous le connaissez ? interrogea-t-il en prenant une gorgée de son verre sans cesser de la fixer.
- Je le connaissais. En quelque sorte. Avant. Il y a bien longtemps, répondit-elle en s’emparant d’un torchon pour essuyer les verres qui s’égouttaient sur le comptoir.
- Avant… tenta James en voyant une ombre passer dans les yeux de la femme.
- Oui. Avant la guerre, chuchota-t-elle en voyant deux harpies les observer.
Elle plissa les yeux, les souvenirs paraissant se rappeler à elle. Ses mains faisaient des gestes mécaniques et elle ne semblait pas se rendre compte qu’elle essuyait le même verre pour la troisième fois. Puis, elle reprit conscience et son regard s’attarda sur lui. Bordel, il détestait qu’on le toise comme ça.
- Je ne suis pas mon père, jugea-t-il bon de préciser. Et j’ai soif !
Le bruit du verre contre le bar fit se retourner quelques clients. La serveuse leur fit signe que tout allait bien. Elle se rapprocha une dernière fois de lui.
- Dernier avertissement, gamin. Après tout, tu ne seras que le deuxième Potter que je dénonce…
James avait entendu quelques rumeurs dans les couloirs de Poudlard sur cette fille de dix-huit ans, cette Serpentard qui avait voulu livrer son père à Voldemort, le soir de la Bataille de Poudlard. Les Gryffondor de son année en parlait comme d’une paria lors de ses études et son meilleur ami Logan Carter, devenu journaliste, lui avait dit qu’il avait écoulé pas mal de tirages en découvrant la petite vie minable qu’elle vivait à présent. Elle s’appelait Pansy Parkinson et elle était devenue serveuse dans un bouge de l’Allée des Embrumes. Ses parents l’avaient quasiment renié et elle ne s’était jamais mariée. Sur la photo que Logan lui avait montré, elle avait tenté de cacher son visage derrière ses longs cheveux bruns mais c’était elle. Il n’avait plus aucun doute maintenant. James l’affronta du regard quelques secondes avant de sourire.
- Seriez-vous capable de le faire une seconde fois, Pansy ?
Il avait volontairement utilisé son prénom. Comme pour lui prouver qu’elle n’était aucunement supérieure à lui et qu’elle ne lui faisait pas peur. La lueur dans les yeux de la femme se fit glaciale alors qu’elle lui servait un autre verre de whisky. Elle le déposa brusquement devant lui, un peu de liquide ambré s’en échappant, et s’éloigna, rejoignant l’autre côté du bar.
Sur le comptoir, la bougie s’était entièrement consumée.
James n’était plus dans son état normal après la bonne dizaine de verres qu’il venait d’ingurgiter. Sa tête tombait de temps à autre sur le comptoir et il n’était plus certain que ses idées étaient claires. Vraiment pas claires puisqu’il commençait à trouver un certain charme à Pansy Parkinson qui l’observait d’un air dépité. La lueur de prétention qu’elle conservait comme un trophée sous ses longs cils et ses paupières fardées lui conférait une beauté plus mature que les longs cheveux blonds de Katlin et ses manières de jeune poupée fragile.
- Qu’est-ce que tu regardes ? lui lança-t-elle en tournant la tête vers lui alors qu’elle passait un coup de chiffon sur le bar.
- Vous ! répondit-il si effrontément qu’elle en perdit sa verve.
Il remarqua une ride entre ses deux yeux alors qu’elle le considérait longuement. James ne manquait pas de confiance en lui. Peut-être qu’il regrettait simplement la masse de cheveux héritée de son père et la couleur flamboyante de la crinière de sa mère mais il jugeait que le reste de sa personne était plutôt bien fait. Un sourire qu’il pensa suffisant se dessina sur ses lèvres. En réalité, l’alcool le rendait légèrement flippant. Sa vision était trouble et il penchait lamentablement sur le côté droit.
- Il est l’heure que je ferme. Finis ton verre gamin, et rentre chez toi, finit-elle par dire en lui désignant la porte du bar.
James tourna la tête et remarqua qu’ils n’étaient plus que deux dans le pub miteux. Il n’avait aucune envie de retrouver son appartement vide et froid. Katlin était partie et il était seul. Il était bien conscient qu’elle lui avait demandé plus d’une fois d’être plus présent, plus attentionné, moins tourné vers ses potes et leurs parties de cartes explosives endiablées où il pariait de grosses sommes. Elle l’avait prévenu mais il n’avait pas écouté, pensant sans doute qu’elle ne disait cela que pour l’amadouer. Il s’était fourvoyé et il en payait les conséquences, noyant ses démons dans le liquide ambré.
- Tu m’as entendue, Potter ? réitéra-t-elle avec un soupir agacé.
- Deux minutes ! grogna-t-il en tentant de se lever du haut tabouret en bois.
James était tellement éméché qu’il dût s’y reprendre à deux fois avant d’être certain d’avoir les deux pieds au sol sans perdre l’équilibre. Derrière son bar, Pansy l’observait faire avec un léger sourire en coin. Elle semblait prendre un malin plaisir à le regarder lutter contre lui-même pour avancer jusqu’à la porte.
Le jeune homme avait l’impression que ses pieds pesaient une tonne et chaque pas le faisait ressembler à un sorcier victime d’un sort d’apesanteur. Il faillit s’étaler plusieurs fois sur le sol en marchant sur les lacets de ses tennis défaits.
- Si tu pouvais faire ton petit numéro dehors, ça m’arrangerait, ironisa la femme en jetant son chiffon pour rejoindre l’autre côté du bar.
James se retourna pour lui jeter un coup d’œil assassin mais elle lui avait tourné le dos, s’affairant à passer un coup de balai dans la salle. L’alcool aidant, le jeune homme ne put empêcher ses yeux de dériver sur ses hanches qui se balançaient de gauche à droite comme une pendule cassée. Un rictus quelque peu pervers se dessina sur ses lèvres et il stoppa sa progression, une main sur la poignée de la porte du pub. Pansy dût sentir son regard sur elle puisqu’elle se redressa et poussa un soupir agacé.
- T’es bien le fils de ton père ! grommela-t-elle en déposant son balai entre le coin d’une table et une chaise branlante.
- De qui d’autre ? rétorqua-t-il d’un ton chevrotant.
Elle secoua la tête et se dirigea jusqu’à la porte à son tour. Elle le repoussa d’une petite claque sur le dos de sa main et tourna la poignée, montrant d’un geste autoritaire les allées sombres et la nuit sans lune où elle le jetait.
- Tu as hérité de sa tendance à vouloir être le centre du monde, peut-être as-tu eu le droit à sa témérité, dit-elle, sourire narquois à l’appui.
- Qu’est-ce que vous insinuez ? rétorqua-t-il en la fixant intensément.
- J’espère que tes actes sont à la hauteur de tes prétentions, gamin.
- Vous souhaitez que je vous montre ?
Il s’était rapproché d’elle jusqu’à sentir son souffle sur sa joue. Elle avait une odeur de chanvre et de bois usé. Cette pensée le fit rire légèrement et Pansy haussa un sourcil menaçant.
- Je t’ai déjà dit de modérer tes propos, petit Potter.
- Sinon quoi ? fit-il, un rictus étirant ses lèvres. Il n’y a plus personne dans ce pub. A qui pourriez-vous me vendre ? A vos torchons ?
A nouveau, il se mit à rire et d’un geste, elle l’attrapa par le col de sa veste. Il n’y avait plus qu’un espace restreint entre eux, si bien qu’il aurait pu poser ses lèvres sur les siennes sans même le vouloir. La femme colla sa bouche à son oreille et son ton devint venimeux.
- Je sais encore me défendre toute seule, dit-elle en sortant soudainement sa baguette de la main droite pour la placer sur sa gorge.
- Quand il s’agit de vos propres intérêts, insinua-t-il sans se départir de son sourire moqueur.
- Ne parle pas de ce que tu connais pas, gamin, murmura-t-elle doucereusement. Tu n’étais rien lorsque la guerre a commencé, tu ne sais même pas ce que c’est. Tu as tout eu, tout, et tu te retrouves dans ce pub à parler comme un gosse pourri gâté qui s’apitoie sur son propre sort.
- Vous ne savez rien de moi ! répliqua-t-il, furieux.
- Toi non plus, fit-elle en le repoussant brusquement sur le perron du pub.
Pansy n’attendit pas qu’il se soit poussé pour refermer la porte, si bien qu’il eut un mouvement de recul et qu’il tomba en bas des deux marches, le cul dans une flaque d’eau.
C’était bien sa veine ! Il se releva douloureusement en frissonnant et lutta contre l’envie de frapper contre la porte du pub jusqu’à ce qu’elle ouvre. James Sirius Potter n’était pas homme à perdre sa fierté facilement, et surtout pas par une femme qui avait fui à l’apogée de la Grande Guerre. Claudiquant, il s’éloigna dans les ruelles sombres et mal famées de l’Allée des Embrumes.
Derrière l’une des fenêtres crasseuses du pub qu’elle tenait, Pansy poussa un profond soupir en l’observant s’éloigner. La rencontre du fils Potter l’avait chamboulée plus qu’elle ne voulait bien l’admettre. Elle avait passé des années à tenter de se faire oublier, à garder cet anonymat qui lui convenait parfaitement après son procès. Tous ceux de son année à Serpentard y avaient eu le droit mais elle en conservait un goût amer même si elle avait été blanchi par la suite. Elle était celle qui avait choisi de livrer le Survivant à Voldemort au profit du plus grand nombre, pour sauver sa propre peau. Les aurors l’avaient fixé longuement et elle avait remarqué une lueur de dégoût dans leurs prunelles alors qu’ils l’avaient relâché. Une lueur qui en disait suffisamment long sur ce que la communauté sorcière pensait d’elle. La paria. Le procès avait fait grand bruit et ses parents avaient fini par ne plus l’accepter chez eux, lui faisant comprendre à demi-mots à quel point leur réputation était ternie par son contact. Elle avait finalement trouvé une petite chambre de bonne au-dessus de ce pub, « le Loup-Garou », et un poste de serveuse à temps plein. Elle avait travaillé dur, tant et si bien, qu’à la mort du propriétaire, elle avait hérité de la taverne.
Après toutes ces années, Pansy avait espéré que son passé cesserait de la hanter. Elle avait tort. Les Potter étaient toujours là pour le lui rappeler.
Bordel. Par le caleçon de Merlin et de tous ses saints sorciers, il se tapait une sacrée migraine. James tenta de se relever mais se rendit vite compte que dormir dans une ruelle n’était pas aussi confortable que dans un vulgaire canapé-lit. Son dos le faisait souffrir à un point qu’il ne pensait pas être possible et il dût se passer une main le long de sa colonne vertébrale pour la redresser un minimum. Le jeune homme fit ensuite craquer les os de ses bras, une manie que sa mère avait détesté pendant toute son adolescence.
Si elle l’avait vu à cet instant, allongé de tout son long entre des poubelles et quelques rats qui grignotaient une pomme pourrie, elle en aurait certainement fait une attaque. Un rire nerveux le prit alors qu’il se souvenait de la discussion de la veille avec la serveuse. Avec Pansy Parkinson plus précisément. Comment avait-il pu finir par être attiré par cette femme qui avait deux fois son âge et dont les traits étaient aussi durs que son for intérieur ? Bordel, jura-t-il encore une fois dans une barbe qu’il n’avait pas. Il avait dû boire des litres de whisky pour s’imaginer l’embrasser !
Et tout cela par la faute de Katlin, songea-t-il avec mauvaise foi. Cette fille finirait par le rendre complètement maboul, c’était une évidence. Peut-être qu’elle voudrait bien le voir, lui accorder cinq minutes, qu’elle le laisserait s’expliquer, lui accorderait une seconde chance. Munie de ce minuscule espoir de pardon, James se releva d’un coup sec. Son jean et sa cape était pleine de boue et d’autres substances non identifiables qu’il préféra oublier. Il allait rentrer chez lui et prendre une bonne douche, voilà ce qu’il allait faire. Ensuite, il irait voir Katlin et il s’excuserait. Tout irait bien. Tout serait comme avant. Cela ne pouvait pas se passer autrement, de toute façon. Il l’aimait. Réellement. Sincèrement. Une grimace effleura ses lèvres. Et si elle refusait ? Pour le moment, il préférait ne pas penser à cette éventualité. C’était trop dur. Comment allait-il faire sans elle ? Vivre entre son tas de linge sale et des restes de nourriture congelé ? Impensable. Inimaginable. Inenvisageable.
Son esprit tout entier s’était transformé en brasier. James imaginait des hypothèses plus ardentes les unes que les autres. Katlin ne lui résisterait pas longtemps, elle succomberait et ils se réconcilierait sur l’oreiller comme toutes les fois où ils s’étaient engueulés. Il voyait déjà leurs deux corps s’assembler, la jeune femme se consumer sous ses caresses, gémir sous ses doigts, demander grâce. Il n’écouterait pas et les flammes du désir, bientôt, toute entière l’enflammerait. Elle était belle, Katlin, lorsqu’elle rejetait la tête en arrière, ses longs cheveux blonds formant une auréole incandescente, ses yeux bleus le suppliant de l’achever, de la brûler aussi sûrement que l’aurait fait un feu virulent. Et tous les deux finiraient en cendres aux creux de leurs draps, trempés de sueur. Ils recommenceraient. Encore et encore. Jusqu’à ce que les braises, consumées, s’éteignent enfin.
Comme hypnotisé par les visions qu’il venait d’avoir, James sortit de l’Allée des Embrumes et rejoignit le Chemin de Traverse. Le petit appartement où il avait emménagé avec Katlin - avant qu’elle ne s’en aille – se trouvait dans les rues adjacentes à la grande artère commerçante. Il leur avait tout de suite plu et le couple n’avait pas traîné pour accepter l’offre de l’agent immobilier sorcier. Ce dernier leur avait vendu comme une affaire en or massif : pas cher, bien situé, relativement calme et confortable. Les amoureux avaient vite déchanté, l’appartement n’était en fait qu’un leurre, une boule de cristal en plastique.
S’il n’était pas très cher, c’était surtout parce que l’humidité infiltrait les murs et les deux jeunes sorciers avaient eu beau tenter des centaines de sortilèges, l’eau semblait s’accrocher comme une malédiction. Il était effectivement situé à proximité du Chemin de Traverse mais on pouvait entendre le bruit assourdissant des passants et de la foule quand ce n’était pas les voisins, apparemment chanteurs d’un groupe de Rock Witches, qui faisait résonner leur musique abrutissante. Quant au fait qu’il était confortable… cela voulait simplement dire pas très grand. James se demandait parfois si l’agent immobilier, ce crétin en robe violette à paillettes, ne leur avait pas jeté de la poudre hypnotique pour qu’ils l’achète.
En réalité, la vérité était deux fois plus insidieuse. Ils étaient amoureux, tout simplement. Foutu amour, songea-t-il en donnant un coup de pied dans un caillou. Putain d’amour qui vous donne tout et vous l’arrache ensuite. Vous vous sentez beau, intelligent, invincible et puis, un jour, vous vous retrouvez dans une ruelle sordide, à dormir près des poubelles en puant le whisky à plein nez. Parce qu’elle est partie, parce qu’elle en a eu marre de votre sale trogne et de vos caleçons qui traînent, de la vaisselle qui s’amoncelle et de vos potes qui crèchent dans le canapé. De vos mensonges et de vos conneries. Elle se réveille et elle comprend ce que vous êtes vraiment. Et elle se casse. Et elle a raison. Évidemment qu’elle a raison. Pourquoi elle resterait ? Pour vous faire vos sandwichs pendant que vous gaspillez votre fric dans des parties de poker foireuses. Quel con ! T’es qu’un enfoiré, James, et c’est seulement maintenant que tu t’en rends compte. Maintenant que tes illusions se sont faits la malle, que le rêve s’est brisé et que tu t’es retrouvé tout seul dans un appart dégueulasse. Parce que tu sais faire que ça. Gaspiller détruire, foutre en l’air. Parce que t’es comme ton père, James. Parce que tu crois en rien et surtout pas au bonheur. Le masque est tombé et la boule de cristal s’est fendue. Tu ne peux que ramasser les morceaux et essayer de ne pas te couper mais il est déjà trop tard. Le spectacle est terminé.
Dépité, la tête empli d’idées noires, James continua d’avancer dans le dédale des rues parallèles au Chemin de Traverse, son esprit retraçant une dernière fois les probabilités que Katlin accède à sa demande. Le pardonner. S’il était réaliste, s’il oubliait toutes ses espérances, il devait bien s’avouer qu’il n’en avait aucune. Combien de fois l’avait-elle fait avant ? Des dizaines ? Une centaine ? Il pensait à chaque fois que ce n’étaient que des menaces en l’air, une succession de chantages, un moyen de pression qu’il ne prenait jamais au sérieux. Jusqu’à ce qu’elle claque la porte et qu’elle emporte sa valise. Toutes ses affaires, sans oublier sa brosse à dents. Le jeune homme secoua la tête, parcouru de cynisme. Il avait certainement plus de chances de se voir offrir un verre par Pansy Parkinson que de renouer avec son ex. C’était fini avec Katlin. Il n’avait plus aucun joker dans la manche de sa robe de sorcier. Il avait perdu.
Un rire de gorge s’échappa de ses lèvres quand il repensa aux paroles de son meilleur ami : « Heureux au jeu, malheureux en amour. Fais gaffe, mon vieux ! » James avait ri de cette expression moldue à la con. Et il en riait encore. Quelles étaient les probabilités qu’il perde dans les deux domaines ? Qu’il se retrouve sans un sou et sans petite-amie, à débourser ses dernières mornilles dans un vieux pub miteux tenu par une traître de la Grande Guerre qui avait voulu livrer son père ? Sûrement aucune. Et pourtant… Un fou rire le saisit. De ces rires sordides qui se moquent de vous-mêmes, qui vous font mal et vous transpercent le cœur. De ces rires cruels. Indélébiles. Finalement, il allait simplement prendre une douche. Il n’essayerait pas de revoir Katlin. Pas aujourd’hui. C’était trop frais. Trop présent. Il avait besoin d’une autre soirée à extérioriser ses démons, à les chasser avidement. Il avait besoin de s’oublier, de se défouler, d’exporter la rage qu’il ressentait. Ce soir, il retournerait voir la serveuse de la Taverne. Ce soir, il retournerait voir Pansy Parkinson. Les probabilités qu’il se fasse jeter dehors étaient infinies, celles où elle le donnerait en pâture à des harpies étaient nombreuses mais James s’en foutait. Les probabilités, il n’y avait jamais rien compris.
Pansy Parkinson venait d’entamer le service du soir quand la porte du pub s’ouvrit sur une silhouette encapuchonnée d’où dépassait des mèches de cheveux roux. La femme produisit un claquement de langue agacé alors qu’il prenait place sur l’un des hauts tabourets, juste en face d’elle. Jetant un regard discret sur la gauche, la jeune femme se pencha un peu de façon à ce que personne d’autre que lui ne puisse les entendre.
- Qu’est-ce que tu fous encore là, gamin ?
- Un verre de whisky pur-feu, commanda-t-il en déposant les trois noises demandées devant lui.
Comme elle croisait les bras sur sa poitrine, il releva d’une main sa capuche et fixa ses yeux dans les siens.
- Tu n’as pas entendu ?
Pansy fut tellement surprise du tutoiement employé qu’elle décroisa les bras et que ceux-ci retombèrent pitoyablement le long de son corps. Toutefois, la lueur glacée qui passa dans ses prunelles brunes n’avait pas changé, tout comme le sourire provocateur du jeune homme. Elle releva le menton, le défiant silencieusement de continuer. Le poing du jeune homme cogna le comptoir en bois.
- Je paye, tu me sers. Rien de plus simple dans ce bas monde. Je suis le client, tu es la serveuse.
- Vraiment ? Et que vas-tu faire, gamin, si je refuse de te servir ?
Cette fois, Pansy gagnait un point et le sourire du jeune premier disparut quelques secondes. Un rictus froid s’attarda sur les lèvres fines de la femme derrière le bar. Sans aucun doute, elle n’était pas de celles qui se laissent marcher sur les pieds sans ne rien dire. Pansy avait travaillé pour en arriver là et elle estimait avoir le droit au respect. Ses actes, elle les avait payés des années plus tôt en étant renié par ses parents, par le monde sorcier tout entier, en devant louer une chambre de misère dans ce pub, en tirant un trait sur la vie qu’elle envisageait et qu’elle n’aurait jamais. Et ce n’était pas ce petit con de Potter qui l’empêcherait de dormir. Sûrement pas.
Vraisemblablement, Pansy ne connaissait pas encore James Sirius Potter. D’un doigt, le jeune homme poussa les trois noises jusqu’à ce qu’elles tombent du comptoir, de l’autre côté du bar, aux pieds de la serveuse. De nouveau, un sourire se dessina sur ses lèvres et la capuche glissa un peu, dévoilant un peu plus sa touffe de cheveux roux et l’éclat de ses yeux bleus.
- Trois noises, c’est quand même une somme… fit-il, son sourire se transformant en une moue ironique. Tu devrais les ramasser, tu ne crois pas ?
Un éclair rouge traversa les prunelles brunes de la femme en face de lui et ses traits se crispèrent. Il avait touché un point sensible et il le savait. Pansy Parkinson était une sang-pur et, étant jeune fille, elle avait vécu dans le luxe et la noblesse. C’était l’humiliation ultime pour elle. Elle tremblait de fureur et sa main, dans un sursaut, se releva pour s’abattre sur la joue du goujat. James en fut tellement surpris que sa bouche s’entrouvrit légèrement.
- Dernier avertissement, gamin, murmura-t-elle en se penchant vers lui, sa robe trop grande laissant entrevoir une peau laiteuse malgré son âge. Je sais de source sûre que le vampire dans le fond n’a pas avalé une goutte de sang depuis des jours…
- Propose-lui ta gorge, rétorqua-t-il en haussant les épaules. Et mon verre ?
Pansy s’éloigna un instant, remplit un verre et le déposa devant lui. Satisfait, il passa sa langue sur ses lèvres. Elle tendit la main et haussa les sourcils, le toisant froidement.
- Tu me dois trois noises.
- Quoi ? s’étonna-t-il sans comprendre, pointant du doigt le sol de l’autre côté du bar.
- Trois noises, Potter, répéta-t-elle. Ces trois noises-ci sont pour ton irrespect. Tu me dois donc encore ce verre de whisky pur-feu, conclut-elle en se redressant, victorieuse.
La mâchoire du jeune homme se contracta et ses poings se serrèrent jusqu’à ce que les jointures en blanchissent. Un sourire en coin apparut sur la bouche fine de Pansy, accentuant un peu plus l’une des rides qu’elle avait sur le contour des lèvres.
- Tes parents ne t'ont pas appris le respect ? s'enquit-elle en attrapant une biéraubeurre avant de la décapsuler d’un geste expert. Ils étaient pourtant les premiers à le réclamer.
- Faut croire qu’ils ne sont pas aussi parfaits qu’ils aimeraient l’être, répondit James, son visage se teintant d’amertume. Ils font de meilleurs héros que de bons parents.
Pansy ne répliqua pas. A vrai dire, elle ne s’attendait pas à ce qu’il rende les armes aussi vite. Pire, elle n’avait jamais su comment réagir lors des moments de confession, prêter une oreille attentive n’était pas l’une de ses qualités premières et la plupart du temps, elle préférait s’éclipser. Drago Malefoy avait tenté de lui parler durant leur sixième année, peut-être même que dans l’un de ses instants de faiblesse, il lui aurait tout raconté. La femme qu’elle était devenue était bien contente qu’il ne l’ait pas fait. La jeune fille de l’époque, angoissée et nerveuse, n’aurait pas conservé le secret. Elle avait acquis une certaine maturité depuis mais elle n’était toujours pas à son aise quand la personne en face d’elle se mettait à nu, lui jetant ses états d’âme au visage. Pansy but une gorgée de biéraubeurre et le jeune homme continua, les yeux baissés sur une tâche incrustée sur le bar.
- Mon père n’a jamais été heureux après la grande guerre, tu sais ? dit-il avant de reprendre sans attendre sa réponse. Il fait semblant, tout le temps, constamment. C’est épuisant. Je n’ai pas vécu la guerre mais j’ai ressenti ses effets, ses conséquences. Mon père traîne ses ombres partout où il passe et il les dépose sur chacun des membres de sa famille. Ils le font tous… Oncle George, Tante Fleur, même ma mère ne veut pas ouvrir les yeux. Ils se répètent que tout va bien même quand Victoire cache ses bras sous ses robes de sorcière à manches longues, même quand Rose mange à peine ou quand Fred s’approche un peu trop du bord de la falaise. Ils sont brisés Pansy, et ils pensent que leur monde s’arrêtera de tourner s’ils s’avouent que rien ne va. J’ai essayé de lui parler, dit-il en relevant un regard triste sur elle. De lui dire… On ne voulait pas un monde parfait, on voulait juste qu’il ait du sens.
- Il a écouté ? demanda Pansy dans un souffle.
- Tu crois ? rétorqua-t-il, acerbe. Harry Potter n’écoute personne. Surtout pas moi, le grand dadais roux qui porte le prénom de ce père qu’il n’a pas connu. Étrange, pas vrai ? C’est lui qui a voulu me donner les prénoms que je porte et c’est lui qui ne les supporte plus. C’est lui qui n’arrivait plus à me regarder dans les yeux, à chaque fois que mon comportement ressemblait un peu trop à James ou à Sirius. Ironique. Je me suis barré sitôt que j’ai pu de cet enfer.
- Il a fini par comprendre ?
- Mon père se complaît dans son malheur, répliqua James en riant méchamment. Il a sûrement dû le rajouter à sa liste de tragédies.
Le jeune homme engloutit son verre d’un seul trait et le fit tinter contre la bouteille de biéraubeurre de Pansy. Celle-ci reprit une gorgée avant de se racler la gorge. Ce qu’elle s’apprêtait à dire n’était pas facile, surtout venant de sa part. Si on lui avait dit un jour qu’elle essayerait de défendre Harry Potter auprès de son fils aîné, elle aurait sûrement ri au nez de la personne en question tout en lui lançant un regard méprisant.
- La guerre, gamin. Nous n’étions que des gosses lorsqu’elle a commencé. Ton père avait le poids de la communauté sorcière sur ses épaules à chaque instant. T’es-tu mis à sa place ? As-tu tenté de le comprendre ou as-tu simplement demandé qu’il le fasse pour toi ? chuchota-t-elle en plissant les yeux, cherchant à capter les émotions du jeune homme sous ses airs provocateurs.
- Ce n’est pas une excuse, répliqua-t-il en repoussant une mèche devant ses yeux. Nous n’avions pas à payer le prix de leur passé.
- Ce passé, comme tu dis, assena-t-elle un ton plus bas. C’est votre héritage. Tes parents ont eu le courage de se battre pour que vous puissiez vivre et tu n’as pas le droit de leur retirer cela.
- Étonnant venant d’une personne qui ne connaît même pas la définition de ce mot, argua-t-il d’un ton mauvais.
- C’est si facile de juger, Potter. Tu n’étais pas là, tu ne l’as pas vécue. J’étais une Serpentard alors je n’ai rien à dire. C’est ce que tu penses, j’imagine ? Nous étions des fils et des filles de Mangemorts, les enfants de ceux qui se battaient aux côtés de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Notre avenir était tout tracé et je suppose que tu penses que nous étions tous fiers de cela, que nous prenions plaisir à voir ces lettres porteuses de nouvelles funestes atterrir sur les tables du petit-déjeuner, à torturer des première année à coups de Doloris. Qu’est-ce que tu crois, gamin ? Que tout le monde avait le courage de se lever comme le faisait ta famille ? C’étaient nos proches sous les masques noirs, nos parents et nos amis. Le courage est une chose, tuer les siens en est une autre.
Pansy stoppa sa tirade en reprenant son souffle. Son cœur se serra dans sa poitrine et ses mains s’agrippèrent au comptoir. C’était douloureux de se rappeler ces instants tout en sachant qu’on ne pourrait rien y changer. Elle n’avait pas participé à la Bataille de Poudlard pour deux raisons. La première était sa lâcheté qu’elle avait appris à assumer, à pardonner ; la deuxième était qu’elle savait qui elle pourrait trouver sous les capuches sombres des Mangemorts. Lucius et Narcissa Malefoy, les parents de Drago, qui les avaient régulièrement invitées à prendre le thé les dimanches après-midis sa mère et elle ; Claudius Parkinson, le frère de son père et Ladios Nott, le père de Théodore. Tant de gens qu’elle avait rencontré avant la guerre, avec qui elle avait discuté, qu’elle avait apprécié. La plupart étaient morts, les autres derrière les barreaux. Les plus chanceux d’entre eux, les Malefoy, avaient été blanchi après que Narcissa eut sauvé la vie du Survivant et qu’il eut témoigné en leur faveur.
En face d’elle, James Sirius Potter se taisait. Il paraissait réfléchir à ce qu’elle venait de dire, reconsidérant ses paroles. Lentement, il fit glisser son verre vide sur le bar.
- Tu me ressers ?
- Tu oublies mes trois noises ? Six, si on compte celui-ci ! répliqua-t-elle en se redressant, ses doigts maigrelets remettant en place sa longue robe trop ample.
Il glissa une main dans la poche de sa cape et lui montra discrètement sa bourse. Avec un sourire prétentieux, il précisa :
- Elle est pleine.
- Plus pour longtemps à ce rythme-là.
- J’ai une partie de poker demain soir, dit-il, jouant avec les six pièces qu’il venait de récupérer.
- Qu’est-ce qui te fait croire que tu gagneras ? riposta-t-elle avec un rictus.
- Le destin, le karma, appelle-ça comme tu veux mais je sens que ma chance va tourner, répondit-il en lui faisant un clin d’œil malicieux. J’ai eu tellement d’emmerdes ces temps-ci qu’elle va bien finir par revenir, fit-il comme s’il essayait de se convaincre lui-même de ce qu’il disait. A défaut d’une autre.
Un grimace se forma sur la bouche du jeune homme et Pansy haussa un sourcil. Si elle avait bien compris le sous-entendu, le jeune Potter s’était fait renvoyer dans les cordes par sa dulcinée. Elle n’en était pas surprise. S’il agissait avec sa petite-amie comme il l’avait fait avec elle, la jeune promise avait dû remballer ses affaires rapidement. Et si on ajoutait à cela sa fâcheuse tendance à trop boire et sa psychothérapie ridicule concernant sa famille, nul doute que la fiancée avait vite dû tirer les avantages d’une séparation.
- Elle s’appelait Katlin, dit-il en faisant tourner son verre entre ses doigts.
- Qu’est-ce que ça peut me faire, gamin ? objecta Pansy en s’éloignant de quelques pas pour vider le reste de sa bouteille dans une cuve. Tu me prends pour une psychomage ?
- Je croyais que les serveuses étaient prédisposées à écouter leurs clients, sourit-il en laissant ses yeux parcourir le bas du corps de la femme qui se moulait sous sa robe.
- Légende urbaine, rétorqua-t-elle en haussant les épaules. La plupart écoutent que d’une oreille, la totalité s’en foutent. D’ailleurs, je ne suis pas serveuse mais propriétaire.
La dernière phrase dérida James qui éclata d’un rire bruyant. Les quelques clients qui restaient dans le bar se retournèrent sur lui. L’un d’entre eux se leva mais un simple mouvement du bras de Pansy le fit se rasseoir aussi sec sur sa chaise. La tension entre eux semblait avoir considérablement diminuée et le jeune homme désigna la bouteille de whisky qui trônait encore sur leur droite.
- Tu prends un verre avec moi ?
- Je suis en service, réfuta-t-elle même si un sourire presque indistinct avait retroussé ses lèvres.
- Ce n’est pas un quatre étoiles, répliqua-t-il en jetant un œil aux quatre clients dans le fond du pub qui buvaient leur verre de façon peu convenue, la moitié coulant sur leurs robes déchirées. Ce n’est qu’un verre, rien de plus. Pas comme si je te proposais un rencard… insinua-t-il, son rire se faisant graveleux, ses yeux bleus se fixant dans les prunelles brunes de Pansy, s’accrochant à ses longs cils noirs.
La lueur dans les yeux de Pansy s’assombrit soudainement et elle s’approcha de lui. Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre et seul le comptoir du bar les séparait. Le sourire de James s’élargit alors que l’odeur de chanvre de la serveuse lui chatouillait les narines. D’un signe, elle lui fit signe de réduire encore la distance entre eux et sa bouche se colla à son oreille.
- Je pourrais être ta mère, dit-elle en se relevant brusquement.
- Peut-être, mais tu ne l’es pas, rétorqua-t-il, une moue charmeuse aux lèvres.
- J’ai quarante-sept ans, gamin. Tu n’as que la moitié de mon âge, continua-t-elle d’un ton froid en attrapant vivement la bouteille de whisky pour se servir un verre.
- Et alors ? Une simple partie de jambes en l’air n’engage à rien, souffla le jeune homme.
Décidément, plus elle discutait avec lui, moins James Sirius Potter ressemblait à son père. Comparé à l’ancien Gryffondor de son année qu’elle avait toujours jugé taciturne et renfermé, son fils suintait l’arrogance et la démesure. Toutefois, elle devait bien s’avouer qu’il n’était pas désagréable à regarder et, malgré sa cape et la capuche qui lui mangeait la moitié du visage, elle arrivait à distinguer des traits harmonieux et une bouche pulpeuse qui avait dû faire tourner nombre de têtes féminines durant sa scolarité à Poudlard. Pansy garda le silence un peu trop longtemps et James s’accouda négligemment au comptoir.
- Prends ton temps pour réfléchir.
- Tu ne manques pas de culot, répondit-elle en lui tapotant la main avec condescendance.
- Je devrais ? rétorqua-t-il, fourrant ses mains dans les poches de sa cape. Ma copine m’a largué et tu sembles célibataire depuis un bout de temps, Pansy.
- Qu’est-ce qui te permet de dire ça ? demanda-t-elle en le fusillant du regard.
James ne répondit pas directement mais désigna la robe qu’elle portait, ses cheveux bruns remontés en un chignon lâche et les cernes sous ses yeux. Pansy détourna la tête et s’empara de son verre, le portant à ses lèvres sèches. Le silence s’installa et la serveuse s’éloigna, disparaissant dans le fond du pub pour servir les quelques clients encore présents. Sentant que leur conversation était terminée, James déposa les six noises et se leva du haut tabouret. Il jeta un dernier regard par dessus son épaule en passant la porte de la taverne. Pansy lui tournait le dos.
La porte claqua et la serveuse frissonna. Sa rencontre avec James Sirius Potter, bien que fortuite, avait remué les vieux démons qu’elle se plaisait à garder enterrer. Ces fantômes du passé qui nous effraient plus que tout et qu’on essaie d’oublier même quand ils se rappellent à nous toutes les nuits, ou presque. Faisant couler le sang de gobelin dans les chopines de ses clients, elle se mordit férocement la lèvre inférieure. Elle aurait voulu rester insensible à la discussion qu’elle venait d’avoir avec le fils du héros, elle aurait voulu cacher ses sentiments aussi bien qu’elle l’avait fait lors de ses années à Poudlard. Jouer sur les apparences, ne rien montrer, placer ce masque de supériorité sur son visage et paraître plus forte qu’elle ne l’était en réalité. C’était facile en ce temps-là. Avant que tout ne s’écroule comme un château de cartes, avant que le Seigneur des Ténèbres ne décide d’envahir Poudlard, avant qu’elle ne cède à la peur en s’enfuyant dans les souterrains de l’école. Lâche. Couarde. Traître. Ces mots avaient été gravés sur son front pendant des années tout comme la marque sur le bras de Drago et de Théo. Mots indélébiles qui ne s’effacent jamais, vous poursuivent et vous rattrapent toujours quoiqu’il arrive.
Finalement, elle pouvait se considérer comme chanceuse d’en être arrivée là. Ce pub était certes miteux mais, au moins, lui appartenait-il.