Il n’avait jamais vraiment trouvé sa place dans cette fratrie que le jeune Harry semblait tant envier. Toujours, cette sensation de ne pas être indispensable, de déranger. Il avait tenté de se démarquer du reste de ses frères et soeurs. Il avait longtemps rêvé de trouver son propre talent. Alors, il s’était promis d’être irréprochable, même si cela l’amenait à briser le serment implicite qui lie les familles.
Il avait laissé glisser les comparaisons de Fred et George. Il avait fait semblant de ne pas entendre les mises en garde de ses parents. Puis, un bref instant, il avait cru tenir le monde entre ses doigts. Il pensait avoir le pouvoir de décision, il pensait jouer du bon côté de la ligne. Mais c’était finalement le monde qui l’avait englouti sous une montagne de terre. Il s’en était rendu compte trop tard.
On l’avait souvent traité de « cloporte » à cause de ses lunettes et de sa tendance à régler les conflits en se coupant du reste du monde. C’est donc tel un cloporte qu’il se roulait en boule dans un coin de la grande salle. Étouffant ses sanglots pour ne pas couvrir ceux de sa mère qui pleurait un fils perdu. Son subterfuge ne trompait pas la douleur. Se rouler en boule pour se défendre ne ramènerait jamais son frère, ne fera jamais disparaître son chagrin.
Il avait nourri une douce haine contre Fred qui avait participé à ce sentiment de mise à l'écart. Mais aujourd’hui, il aurait aimé entendre une de ses réflexions. Il aurait préféré qu’il le traite de cloporte peureux en le voyant se protéger en vain dans ses bras tremblants de peur. Tétanisé à l’idée de devoir vivre sans un de ses frères.
« Je suis un cloporte, » marmonna le jeune homme dans ses bras fragiles.
Un insecte insignifiant qui préférait la sécurité à l’honnêteté. Tout le contraire du duo infernal que formaient ses frères. Percy avait mal, ce soir. Pour George. Pour ses parents, et ses frères, et sa sœur. Mais surtout pour lui. Il n’avait pas su être un grand frère parfait. Il n’avait pas été à la hauteur du courage de son petit frère.
Au final, il avait fini par trouver son talent. À l’écart des embrassades maladroites de sa famille en deuil, il n’avait que son chagrin pour le réconforter. Il n’avait que sa capacité à se rouler sur lui-même pour se défendre. Un cloporte au centre de la guerre. Insignifiant. Lâche. Seul au milieu du chaos.
Ginny avait le cœur brisé. Ils allaient enterrer son cher Fred. Comme toute sa famille, elle souffrait terriblement de l'avoir perdu. Mais elle était aussi inquiète pour Percy. Il semblait tellement misérable !
Ce frère renégat était revenu de lui-même auprès d'eux. Il s'était lancé dans la Bataille de Poudlard sans la moindre hésitation, en vrai Gryffondor. Il était présent lorsque Fred était mort. C'était même lui, le sage et strict Percy, qui l'avait fait sourire pour la dernière fois de sa vie...
Depuis la fin des combats, Percy était replié sur lui-même. Il se sentait tellement coupable d'avoir abandonné sa famille qu'il refusait toute tentative d'approche de leur part. Sa sœur avait bien compris qu'il ne se sentait pas digne d'eux.
Là, autour de la tombe familiale, le cercueil de Fred prêt à descendre en terre pour toujours, elle réalisa qu'elle ne pouvait pas laisser Percy souffrir seul. Lâchant la main de Harry, elle se dirigea vers Percy et le prit dans ses bras, le faisant sursauter. En seulement quelques instants, c'est toute la fratrie survivante qui se retrouva enlacée autour de l'enfant prodigue enfin revenu.
Percy était immobile devant la grille. Son visage était pâle. Audrey se tenait en retrait tout en l'observant. Depuis quelques mois qu'ils sortaient ensemble, elle ne l'avait jamais vu dans cet état.
Ce matin, lorsque Percy lui avait demandé de l'accompagner sans lui préciser la destination, Audrey n'avait pas posé de question. Maintenant qu'ils étaient devant l'entrée d'un cimetière, elle soupçonnait que cela ait un rapport avec cette guerre dont son petit-ami lui avait parlé. La moldue qu'elle était avait eu bien du mal à assimiler ces événements. Et elle sentait que Percy ne lui avait pas tout dit.
Lorsque Percy tourna la tête dans sa direction, Audrey eut le souffle coupé. Ses yeux reflétaient tant de douleur. Percy sembla mobiliser toute sa volonté pour avancer. Audrey le laissa la guider en ce lieu inconnu.
Le jeune homme s'arrêta devant une tombe. Le cœur d'Audrey se serra en reconnaissant le nom de famille qui était inscrit.
« Je te présente mon frère. »
Audrey vint se blottir contre Percy, essayant comme elle le pouvait de lui apporter un peu de réconfort. Elle n'avait pas imaginé cet autre aspect de Percy.
Lucy avait toujours ressemblé à son père. Elle avait les cheveux roux, elle portait les mêmes lunettes en écaille, elle avait la même propension à savoir mieux que les autres, elle avait la mauvaise manie de se mettre à bouder dès qu’on se moquait d’elle, tout comme son vieux père. Elle aimait bien plus la compagnie des livres que celles de ses cousins et même quand le soleil les invitait tous à sortir le bout de leur nez, elle s’obstinait à traîner des pieds.
Roxanne la punissait souvent de son manque d’entrain en lui jouant des mauvais tours dignes des Jumeaux en leur temps. C’était son père qui lui avait fait cette remarque un jour où sa cousine l’avait traitée de rat de bibliothèque. Et Lucy s’était fait la réflexion que sa vie avait dû être un enfer, sans personne pour le soutenir.
En apercevant son père près de la mare, plongé dans la lecture d’un livre alors qu’ils étaient sur le départ pour une visite au cimetière, elle sut qu’elle ne connaîtrait jamais ce sentiment de solitude. Lorsqu’il leva les yeux et croisa son regard, elle se sentit instantanément à la maison.
Parce qu’ils avaient trouvé chacun leur binôme.