Charlie déglutit, tremblant à l’idée de rater. C’était, de loin, la pire idée qu’ils avaient jamais eue.
— Prêt ? s’enquit son amie.
Un sourire gigantesque étirait ses lèvres. Elle était manifestement beaucoup moins inquiète que lui.
— Prêt, confirma-t-il.
— On va rentrer dans les annales, Charlie !
— Les seules annales dans lesquelles on sera, ce sera les archives des pires retenues jamais infligées.
Tonks se contenta de lever les yeux au ciel devant le pessimisme de son ami.
— Bon, assez perdu de temps. Tiens le miroir devant moi.
Charlie patienta, observant le nez et la bouche de son amie se déformer, changer de couleur, pour prendre une teinte jaune canari et un aspect pointu. Tonks jeta un coup d’œil à son reflet et caqueta, satisfaite. Puis, elle ferma de nouveau les paupières, fronçant les sourcils. Des plumes commencèrent à pousser sur la chair pâle de ses bras, recouvrant presque entièrement sa peau. Elle inspecta le résultat et caqueta une fois de plus, arrachant un rire à son ami.
— Je crois que je te préfère en Harpie, la taquina-t-il.
Nouveau caquètement. Charlie reprit son sérieux et sortit sa baguette. Il pouvait le faire. Ce n’était pas si compliqué. C’était exactement la même chose qu’avec cette plume, en cours de Sortilèges, l’année dernière. Sauf qu’il était plus expérimenté.
— Wingardium Leviosa, souffla-t-il.
Il fallut quelques minutes à Tonks pour se stabiliser. Après de nombreux essais aussi comiques qu’infructueux, elle finit par réussir à se tenir sur le ventre, les bras écartés. Elle caqueta une troisième fois, et, les sourcils froncés par la concentration, Charlie se dirigea vers la Grande Salle.
Les minutes qui suivirent furent parmi les plus mémorables de l’Histoire de Poudlard. Tonks, voletant au-dessus des têtes tel un vautour au-dessus de sa proie, se servant dans les plats des Poufsouffle, emportant les chapeaux des Gryffondor, et, surtout, ignorant les hurlements des professeurs. Caché derrière les énormes portes de la salle, Charlie manœuvrait son amie, prenant peu à peu confiance, la faisant descendre en piqué puis remonter tout aussi vite, infligeant une peur bleue à la majorité des élèves. Il voyait au visage de son amie qu’elle appréciait l’expérience encore plus que lui. Elle lançait de temps à autre des cris dignes du plus sauvage des oiseaux. Il fallut près d’un quart d’heure pour que le vacarme ne cesse, et au moins deux fois ce temps pour que les deux amis calment leur fou rire.
Le lendemain, les deux Deuxième Année suivaient le garde-chasse qui encadrait leur retenue, sur un sentier de la forêt interdite. Charlie paraissait moins inquiet que la veille. En revanche, Tonks semblait pâle, malgré sa tentative de rendre son teint hâlé.
— Dites monsieur, on va faire quoi exactement dans la forêt ? demanda le jeune garçon.
— Juste une visite de routine, on va aller voir les différentes hordes et troupeaux pour s’assurer que tout va bien pour eux.
— Vraiment ? s’enthousiasma Charlie. On va voir des créatures magiques ? Lesquelles ?
Mais leur discussion fut interrompue par une exclamation angoissée de Tonks.
— De quoi tu te plains ? demanda Charlie. Je craignais la pire retenue alors qu’on se retrouve avec une balade instructive. Franchement, c’est génial, non ?
— Génial ? On va voir des créatures biiiiien dangereuses… soupira la jeune fille.
— Dangereuses ? intervint Hagrid, peiné que l’élève méconnaisse tant ses protégés. Les créatures ne sont pas dangereuses quand on sait comment s’y prendre.
Tonks ne semblait pas convaincue.
— Je pensais qu’une jeune fille se transformant en Harpie comprendrait à quel point les créatures magiques sont intéressantes, la taquina le garde-chasse.
L’élève esquissa un maigre sourire.
— Allez… l’encouragea Charlie, on est en sécurité avec Hagrid, il suffit de bien l’écouter.
Le jeune garçon avança à hauteur de l’adulte.
— Dites, monsieur, quelles créatures intéressantes vous allez nous montrer aujourd’hui ?
— Nous allons commencer par les Licornes, puis les Hippogriffes, et pour finir les Sombrals.
Au fur et à mesure de l’exposé du garde-chasse, le sourire de Charlie s’accentuait, tandis que celui de la jeune fille se ternissait.
— On arrive vers les Licornes. Nymphadora, tu peux t’avancer un peu, elles ne font confiance qu’aux jeunes filles. Charlie et moi devrons veiller à le bien être en restant en retrait.
La jeune fille grimaça en entendant son prénom, arrachant un sourire à Charlie, mais s’avança de bon cœur, se risquant même à caresser les créatures.
— A quoi on voit qu’elles vont bien ? interrogea le jeune garçon.
— Tu vois à quel point leur pelage reflète la lumière ?
Le garçon acquiesça, les yeux brillant d'excitation.
— Et regarde l’aspect de leur corne, si les stries sont bien prononcées.
— Fantastique ! souffla-t-il.
Après s’être assuré que le troupeau était en pleine forme, ils reprirent leur chemin en direction de l’étape suivant les Hippogriffes. Cette fois-ci, Tonks préféra rester en retrait. En revanche Charlie pénétra dans l'enclos, buvant les paroles d'un Hagrid enchanté de partager son savoir. Lorsqu’ils arrivèrent vers l’enclos des Sombrals, Charlie s’inquiéta.
— Ils se sont enfuis ?
Hagrid étouffa un rire.
— Non, tu n’as juste pas la faculté de les voir, ce qui est heureux à ton âge. N’aies crainte tu les verras trop tôt. On les voit toujours trop tôt.
— Pourquoi trop tôt ?
— On ne les voit que lorsqu’on a vu la mort, ce qui leur vaut une mauvaise réputation alors que ce sont des créatures si pacifiques.
Charlie resta bouche bée face à cette révélation. Mais même s’il ne pouvait les voir, il sentait leur présence.
Alors qu’ils revenaient à la cabane de Hagrid, celui-ci demanda à Charlie :
— Dis-moi, puisque tu aimes tant les créatures, je suppose que tu veux suivre cette option l’année prochaine ?
Charlie hocha vigoureusement la tête, manifestement impatient.
— En attendant, si tu veux tu peux venir me voir pour discuter Créatures magiques. Que dis-tu de venir boire le thé demain ?
— Avec plaisir monsieur !
— Alors dans ce cas, arrête avec tes monsieur. Et toi aussi, tu es la bienvenue, Nymphadora.
Charlie referma Vie et Habitat des animaux fantastiques, qu’il avait emprunté à la bibliothèque pour ne pas avoir l’air trop idiot devant Hagrid — et surtout, pour admirer des illustrations de Dragons, Charlie avait décidé de prendre un peu d’avance sur le programme de l’année prochaine.
Il revêtit sa cape et sortit de la salle commune des Gryffondor. Tonks l’attendait dans le Hall, aux portes de l’école, emmitouflée dans une grosse écharpe aux couleurs de sa maison, l’air étant étonnamment frais pour la saison.
— Tu viens ? s’étonna Charlie.
— Tu ne croyais tout de même pas que j’allais te laisser tout seul profiter d’un thé gratuit !
Charlie roula des yeux.
— Les Poufsouffle sont juste à côté des cuisines. Du thé gratuit, tu peux en avoir quand tu veux.
— C’est pas pareil, rétorqua la jeune fille en levant le nez en l’air.
Charlie ricana. Si lui aussi se réjouissant de prendre un thé chez le garde-chasse, il était surtout très impatient de discuter avec lui de son sujet favori du moment.
Hagrid fut enchanté de voir les deux collégiens sur son perron.
— Entrez ! Il fait un froid de Doxys !
Charlie et Tonks prirent place autour de la grosse table en soufflant sur leurs doigts pour se réchauffer. Le garde-chasse leur servit deux tasses de thé de la taille d’un saladier et une assiette de biscuits sur laquelle la Poufsouffle risqua l’une de ses dents.
— J’ai commencé à lire Vie et Habitat des créatures magiques ! dit fièrement Charlie.
— Hum, c’est un livre très complet, approuva Hagrid. Mais il parle peu de créatures méconnues.
— Mon petit doigt me dit qu’il s’agit de créatures dangereuses, marmonna Tonks dans sa barbe.
Charlie lança un regard noir à sa meilleure amie. Hagrid n’avait pas entendu les propos de la Métamorphomage.
— Ah bon ? s’étonna Charlie.
— Trop succinct sur les Dragons, se lamenta Hagrid.
Les yeux de Charlie brillaient de déception.
— Tu t’y intéresses ? fit Hagrid qui avait surpris le regard du jeune garçon.
— J’aimerais les étudier, avoua ce dernier. Ça, ou faire du Quidditch, je ne sais pas trop.
— Dans les deux cas, tu vas probablement mourir jeune, dit Tonks avec un sourire carnassier.
Charlie eut un regard enjôleur.
— Tu voudras faire zoubi sur mes cicatrices ? railla le jeune garçon.
Tonks éclata de rire et donna un coup de coude à son meilleur ami, non sans omettre de renverser sa tasse-saladier au passage.
— Quand on sait s’y prendre, on ne meurt pas en s’occupant d’un Dragon, dit Hagrid tout à fait sérieux.
Charlie buvait littéralement les mots du garde-chasse.
— Et on s’y prend comment ?
Hagrid eut un grand sourire. Ils discutèrent encore un long moment. Ce soir-là, Charlie se coucha des rêves plein la tête, et s’endormit avec, imprimée sur ses paupières, des images de Dragons poussant d’horribles rugissements et crachant des langues de flammes aussi hautes que le ciel lui-même.