Il n’était pas tout à fait encore chez lui, Le Picte le savait, une mer le séparait encore de son véritable lieu de naissance. La Bretagne était un royaume vaste et indomptable, mais minuscule comparé au reste de l’empire romain. Un empire sur le point de s’écrouler, Le Picte l’avait bien compris. Chacun de ses habitants cherchait un moyen de s’en sortir en essayant de voler des pans de mur de ces bâtisses presque à l’abandon qu’était Rome et le reste des villes de l’empire.
Le sénateur Aquilus n’était en aucun cas une exception. Le père adoptif du Picte, si l’on pouvait le nommer ainsi, avait compris que la chute était proche. Et ce bien des années auparavant. Ainsi outre sa fortune colossale, il avait étendu son influence aux plus hautes sphères.
Mais c’était sa véritable nature qui faisait sa force. Une nature qu’il partageait avec le Picte. Ils étaient tous deux des sorciers. Le plus vieux avait ainsi enseigné au plus jeune, les rudiments de la magie et en échange, Le Picte lui avait fait gagné quelques sesterces en devenant son poulain favori, en combattant en homme libre (ou plutôt en sorcier libre, comme disait le sénateur), durant les jeux du Colisée. Aquilus lui confiait également des tâches un peu plus secrètes, comme des assassinats ou diverses tâches tout aussi ingrates.
C’était justement ce type de mission qui l’avait mené en Bretagne. On l’avait déposé près de Vannes, le matin même. Il voyageait seul et rapidement. Les objectifs qu’Aquilus avait fixés étaient d’une simplicité enfantine. Il devait trouver une épée sacrée qui avait appartenu à un puissant dieu et si nécessaire tuer sa gardienne. Rien de problématique, en soi. Si ce n’était que tuer cette gardienne qui n’était probablement qu’une vieille dame esseulée, lui posait un léger dilemme moral.
Ce voyage en Bretagne promettait à l’avance d’être tranquille. La Bretagne gauloise était une région tout à fait sûre de par son attachement à l’empire. Et durant ce premier jour, Le Picte ne croisa que pour seul menace potentielle qu’une meute de loups effrayés. Effrayés par sa propre aura comme le comprit bien plus tard Le Picte.
***
Ce deuxième jour commença sans aucun doute d’une moins belle manière. Le Picte se réveilla fatigué et la colère s’ajouta à son manque de sommeil. On lui avait dérobé une bonne partie de sa nourriture, son eau et ses vêtements de rechange. Heureusement pour lui, les voleurs n’avaient pas touché à son glaive, ni à sa baguette magique. Un objet récent qu’il maniait depuis très peu de temps. Une baguette était bien plus pratique qu’un bâton de sorcier mais encore trop rare pour devenir incontournable pour tous les mages qui peuplaient ce monde.
Mais il devait garder son calme. Sans oublier qu’il se rapprochait de Brocéliande et donc de sa cible.
Ce qui l’étonnait le plus depuis qu’il avait repris la route, était ce silence et cette solitude qui l’entourait. Il n’avait pas croisé un seul être humain en quatre heures, depuis le dernier village qu’il venait de traverser. La forêt devait être à seulement une heure de sa position, maintenant. Mais le temps s’écoulait fort étrangement, en ce jour.
Il pénétra dans la forêt, et croisa presque aussitôt une biche qui cessa de courir dès qu’elle l’aperçut. Elle resta immobile un long moment. Le Picte avait toujours eu une relation étrange avec les animaux. La plupart d’entre eux lui étaient fortement liés. Sans aucun doute, sa nature de sorcier y était pour quelque chose. Mais peut-être qu’il ne s’agissait pas uniquement de cela.
La biche repartit, laissant Le Picte seul. D’une certaine manière, la tranquillité que lui apportait cette solitude lui permettait de réfléchir, de méditer et surtout de se préparer pour la suite. Ce qu’il essayait de faire avant chaque mission. Et encore plus quand il combattait dans l’arène. Mais à trente ans et après quinze ans dans l’arène, il estimait que la carrière de gladiateur était terminée pour lui. Et Aquilus était parfaitement d’accord avec cela. Ses derniers jeux remontaient à six mois. Et depuis il n’avait fait qu’accomplir diverses missions pour Aquilus.
Il se revit alors suivre un chemin différent. Un chemin encadré de cyprès. Il revit sa mission de Sicile, l’une des premières que lui avait confié Aquilus. Une personnalité importante avait percé à jour la vraie nature du vieil homme. Au Picte de faire le ménage, bien évidemment. Ce qu’il avait fait sans mal même si un feu s’était déclenché dans le palais. Même si le chemin qu’il s’était frayé à travers la garde du sénateur moldu, se révéla écarlate.
La nuit tomba tellement vite sur Brocéliande, qu’elle prit Le Picte par surprise. Celui-ci était tellement habitué à se lever et à se coucher avec le soleil, qu’il se chercha immédiatement un arbre, suffisamment confortable. Le temps s’était vraiment écoulé d’une étrange façon, songea le sorcier.
Le lendemain, il se réveilla un peu plus tard que prévu. Mais il était en forme, même s’il avait très faim.
Le Picte ne crut à aucun instant au hasard, mais il découvrit une corbeille pleine de fruits au pied de son arbre. Mais affamé, il n’hésita pas un seul instant à descendre de la branche sur laquelle il avait passé la nuit. Après une inspection sérieuse de la nourriture, il mangea goulûment. Le Picte savait détecter le plus discret des poisons. Ce bienfaiteur n’avait aucune intention mauvaise, à son égard.
Il reprit ensuite sa route. Trop exténué, il ne s’était pas rendu compte à quel point, cette forêt pouvait être paisible. Seul un léger vent se faisait entendre. Les arbres, immenses, ne laissaient que très peu filtrer la lumière du soleil. Mais surtout, rien ici ne semblait réellement menaçant.
Très vite il quitta le bois, et se rendit compte qu’il avait passé la nuit tout près de sa cible. Ce qui était assez déconcertant en soi.
La femme semblait plongée en pleine méditation, ou quelque chose qui s’y apparentait. Elle était étonnamment jeune, bien plus que lui et ses trente hivers. Resplendissante, également, il devait l’admettre. Ses longs cheveux roux flottaient au vent.
Le Picte empoigna silencieusement son glaive. Il devait mener à bien sa mission.
C’est alors qu’elle se retourna, et lui adressa un sourire. Outre sa jeunesse apparente, elle avait encore le regard d’une enfant. Mais d’une enfant unique en son genre. Ses yeux observaient le Picte, avec un mélange de malice, et de soulagement, ce qui ne faisait aucun sens aux yeux de l’assassin.
- Je ne saurais dire comment, mais je vous attendais. J’espère vraiment que vous n’avez plus faim. J’ai cueilli ces fruits pour vous, vous savez ?
Le Picte prononça ses premiers mots depuis près de trois jours. Sa voix en était devenue rocailleuse.
- Qui es-tu ?
- Je me nomme Viviane, mais la plupart des êtres humains des environs me nomment la Dame du Lac.
- Parfait. Je souhaiterais savoir où se trouve l’épée. Par pitié, répond moi, petite. Où est Excalibur ?
- Une épée ? Ah ce bibelot, au fond du lac. Ni moldu ni sorcier ne pourra la manier pour le moment. Si je comprends bien ce que les éléments m’ont communiqué. Mais tu n’es pas venu que pour cela. Cet homme, ce père d’adoption, a oublié de te dire bien des choses sur toi, j’ai l’impression.
Elle s’approcha de lui et lui prit les mains.
-Te souviens-tu au moins de ton nom ?
- Merlin, coupa le sorcier. Je m’appelle Merlin.
Il avait remisé son glaive dans son fourreau. Il avait presque oublié Excalibur. Viviane resserra sa douce emprise sur ses rudes mains de guerrier, un ravissant sourire aux lèvres.
- Dis, tu pourrais m’en apprendre plus sur la magie ? demanda-t-elle alors timidement. En échange de quoi, je te garantis mon aide, pour en découvrir plus sur ton passé.