Un vent glacial lui fouette le visage et emmêle ses longs cheveux blonds. Seuls ses yeux et ses pommettes rougis par le froid dépassent de son énorme écharpe de laine bleue. Son bonnet, orné d’un pompon rouge, est enfoncé jusqu’à ses sourcils. Vêtue d’une lourde cape doublée de fourrure et de bottes en peau de dragon, Luna avance péniblement sur le chemin glissant, de la neige jusqu’aux chevilles, courbée contre la bise mordante.
Cela fait dix jours déjà qu’elle a laissé la douceur d’été du village de Nunataaq derrière elle. Depuis, elle n’a croisé rien d’autre que de grandes étendues sauvages et quelques chalets dissimulés au creux des montagnes. Mais elle évite d’aller déranger les pauvres habitants qui s’y cachent. Elle préfère rester seule.
Luna marche encore deux bonnes heures, toujours droit devant, avant de s’arrêter, malgré le soleil toujours brillant à l’horizon, en été les journées dans cette région du monde sont permanentes. Le souffle court, transpirant sous ses nombreuses couches de vêtements, elle sort des replis de sa cape sa baguette et son sac, où elle a rangé sa tente et ses maigres provisions. Elle s’installe sous un repli rocheux, là où la neige ne s’est pas encore déposée.
Elle retire ses gants et murmure un Incendio. Le feu réchauffe le bout de ses doigts gelés et elle soupire de soulagement. Elle attend encore quelques minutes avant d’ôter son écharpe et son bonnet. Ses longs cheveux blonds, emmêlés et sales, s’éparpillent sur ses épaules. Ses boucles d’oreille radis se balancent doucement dans l’air frais du soir. Elle ne les a pas quittés depuis qu’elle les a reçu pour son vingt-et-unième anniversaire, quelques mois plus tôt.
Luna laisse son regard vague s’égarer sur la grande étendue blanche face à elle, tandis qu’elle mâchonne pensivement un peu de viande séchée. Rien à l’horizon. Pas un seul renard des neiges, et encore moins de de Ronflak Cornu. Le morceau de barbaque est amer dans sa bouche. C’est le goût de la solitude qui commence à lui peser.
Deux ans qu’elle cherche désespérément. Deux longues années de voyages, d’aventures et d’investigations. Et rien, pas un début de piste. Après Poudlard, la guerre, les morts, Luna a commencé des études de zoomagie. Mais elle en a vite eu assez. Elle étouffait, en Angleterre. Alors elle a rassemblé ce qu’elle pouvait dans un sac à dos, et elle est partie. Tout simplement. Parce que ça lui plaisait.
Elle a commencé par arpenter les savanes et déserts africains, où elle a pu s’émerveiller devant de nombreuses espèces de dragons sauvages. Elle y a même trouvé une rare espèce de Crabe de Feu, qui avait élu domicile au cœur du mont Rungwe, en Tanzanie. Mais aucun signe de la créature qu’elle cherchait.
Elle a alors quitté l’Afrique, ses étendus arides et son ciel empli de vautours silencieux, pour gagner les pays nordiques. Elle a sillonné la Norvège de long en large, sans rien trouver d’autres qu’une immense colonie de Botrucs, perdus au fin fond d’une forêt de cyprès. Mais toujours pas de Ronflak Cornus.
Et à présent elle est ici. Perdue dans le froid glacial du Groënland, à la recherche d’animaux fantastiques qui n’existent sûrement que dans sa tête. C’est ce qu’elle se dit, parfois, quand elle est déprimée. Mais ses convictions prennent rapidement le dessus. Pas ce soir, cependant. Ce soir, Luna est d’humeur morose. La solitude est oppressante. Et elle se dit qu’il lui faudra bientôt rentrer à la maison.
Lorsqu’elle s’endort enfin, Luna évite de penser au lendemain. Une chose après l’autre. Sinon, on ne s'arrête plus de penser.
Le jour suivant, après une nuit agitée, elle se réveille toute ankylosée. Elle se lève, grignote quelques fruits secs, puis range ses affaires et reprend sa marche. Pliée contre les assauts du vent, elle gravit une petite colline, glissant et trébuchant sur le verglas recouvert de neige. Arrivée en haut, elle pivote sur ses talons, les yeux plissés.
Tout autour d’elle n’est que brouillard et bouillie blanchâtre. Au sud, elle voit briller les flammes derrière les carreaux d’un chalet. Alors elle part plein nord, pleine d’une nouvelle résolution. Les Ronflak Cornus vivent loin de toute population ou présence humaine, c’est bien connu. Elle trouvera ce qu’elle cherche devant elle, elle en est persuadée.
Là, dans l’étendue sauvage et glaciale, elle trouvera ce qu’elle n’a pas trouvé dans les plaines africains ou les forêts scandinaves.
Les heures s’étirent, sans qu’elle ne rencontre âme qui vive. Elle ne s’arrête même pas pour manger, grignotant ses provisions en marchant. Un rapide coup d’œil sur les maigres aliments qu’elle a au fond de son sac lui dit qu’elle devra bientôt s’arrêter dans un village pour se réapprovisionner.
Elle s’arrête lorsque la lumière du soleil commence doucement à vaciller. Luna a appris à remarquer les changements subtils de la lumière du jour perpétuel. Comme la veille, elle monte sa tente d’un coup de baguette et allume un feu d’un sortilège. Mais cette nuit est bien plus pénible que la précédente. Surprise par une tempête de neige, Luna ne parvient pas à fermer l’œil. Les dents serrées et la main enroulée autour de sa baguette, elle ne parvient pas à ignorer le hurlement du vent.
Lorsqu’elle pointe le bout de son nez dehors le matin du troisième jour, elle écarquille des yeux lorsqu’elle constate que la neige lui arrive à la taille. Son avancée sera plus laborieuse aujourd’hui.
Lentement, péniblement, Luna commence à se frayer un chemin parmi les monticules blancs à l’aide de sa baguette. Son sac pèse lourd sur ses épaules tandis qu’elle avance à la même vitesse qu’un Violimace Phosphorescent. Malgré tout, ses yeux restent attentifs et parcourent les environs sans relâche. D’après ses recherches précédentes, les Ronflak Cornus aiment se rouler dans la neige fraîche. Et inutile de dire qu’il y en a à profusion.
Le soleil est haut dans le ciel lorsque Luna décide de s’arrêter, épuisée. Elle s’immobilise en haut d’une petite colline, qui surplombe une immense étendue blanche, plus plate qu’elle n’en a vu depuis qu’elle a quitté Nunataaq.
Frissonnante de froid, Luna sort quelques fruits secs et des morceaux de viande séchée, lorsqu’elle perçoit soudain un craquement dans la neige. Un bruit de pas. Alerte, elle se redresse aussitôt, la main serrée sur sa baguette, une boule de peur dans la gorge. Malgré les années écoulées, la guerre n’a toujours pas disparu de sa mémoire.
Il n’y a rien autour d’elle pour la protéger. Juste de la neige, de la neige, et encore de la neige. Pas même un arbre rachitique. Durant quelques courtes secondes, Luna se prend à espérer qu’enfin, elle a trouvé ce qu’elle cherchait. Peut-être s’agissait-il d’un Ronflak Cornu ?
Mais le souffle erratique qu’elle perçoit et les grognements qui lui parviennent n’appartiennent pas à un Ronflak Cornu. Elle retient sa respiration lorsqu’elle voit apparaître le haut d’un bonnet, à une dizaine de mètres d’elle. Puis vient le visage, rougi et à moitié dissimulé derrière une écharpe, les épaules, le torse, les jambes, les pieds chaussés d’énormes chaussures de montagne.
L’inconnu est à peine parvenu en haut que Luna se dresse devant lui, baguette brandie.
— Qui êtes-vous ? demande-t-elle. Pourquoi me suivez-vous ?
L’étranger la regarde avec ébahissement. Il tire sur son écharpe et dégage son visage, qui paraît des plus avenants. Il semble tout à fait surpris. Mais Luna ne baisse pas la main. Elle se méfie trop, depuis la guerre.
— Rolf Scamander, répond-il. Et vous, qui êtes-vous ?
Luna écarquille les yeux en entendant le nom de l’inconnu qui est le même que celui qu’elle lit chaque jour lorsqu’elle se laisse bercer par les lignes et les illustrations de son ouvrage préféré.
Un peu étourdi par cette rencontre inattendue, semblable à une invention de son esprit, Luna ne sait pas si elle doit répondre. Ce drôle de bonhomme est-il réel ou sa conscience lui joue-t-elle des tours pour combler la solitude qui lui tord les tripes depuis quelques jours ?
- Je suis Luna, répond-t-elle à demi-mots.
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