-TURNER, ABIGAIL.
La voix sévère se répercute sur les hauts murs de la salle avant de se perdre dans la Voie Lactée qui les couronne, parsemée de bougies qui illuminent la scène avec discrétion. Une frêle silhouette sort du rang et s’avance en direction de l’estrade.
Dans l'immense pièce, le silence se fait et chacun observe avec curiosité la jeune fille qui approche du tabouret. Elle n’a rien de particulier, de taille moyenne, la peau claire, de longs cheveux châtains et lisses. La tenue qu’elle porte, neuve de quelques jours à peine, est identique à celle de tous les autres élèves.
L’enfant -puisqu’à onze ans à peine elle en est encore une- vient de rejoindre le siège en bois et s’y assied avec précaution avant de lever les yeux vers le professeur au visage strict qui dirige la cérémonie de répartition. L’enseignante tient un chapeau rapiécé à bout de bras, et Abigail, qui a vu ses camarades passer tour à tour sur ce tabouret, sait ce qu’il va se passer. Elle va coiffer ce chapeau effrayant puis il ouvrira la bouche afin d’annoncer quelle sera sa maison.
Sa maison, son école… Poudlard. Abigail peine à le réaliser, mais la magie existe et elle va l’apprendre. Tous ces inconnus, autour d’elle, sont des sorciers, tout comme elle. Fille de parents moldus, l'enfant ignore tout de sa future école, de ses cours, des sorciers et de leurs coutumes… En cet instant, elle est loin d'être rassurée. Dans le train, elle était à côté de jeunes qui, tout comme elle, arrivaient en terrain inconnu puisque c'était leur première rentrée, mais ils connaissaient déjà l’école de nom et de réputation. Ils l'avaient rassurée et elle les avait écoutés avec grande attention. Toutefois, elle est désormais seule. Seule sur ce tabouret inconfortable, faisant face à l’école tout entière, une myriade d’yeux curieux et observateurs la fixant.
Inspirant profondément, la jeune fille ferme les yeux pour tenter de maîtriser la peur qui s’insinue lentement en elle. Ses mains deviennent moites tandis qu’elle les pose sur le rebord du tabouret, de chaque côté de ses cuisses, afin de s’y agripper discrètement.
Abigail Turner rouvre les yeux, des yeux bleus cerclés de vert, et parcourt l’assemblée silencieuse du regard tandis que les pas du professeur résonnent sur le sol en marbre, en s’approchant d’elle. Le claquement régulier de ses talons prend fin, mettant un terme à l’attente de l’élève qui préfère refermer les paupières tandis que le chapeau lui glisse sur le sommet du crâne.
Il est grand, et… Elle n’a pas le loisir d’étoffer ses pensées qu’une voix envahit dans son esprit.
"Intéressant…"
Sursautant, la jeune Turner s’agrippe un peu plus fort au tabouret, alors que les jointures de ses mains blanchissent à vue d’œil.
"Jeune demoiselle, tu me sembles avoir toutes les qualités pour être acceptée chez Serpentard…"
Le chapeau parle. Un premier choc pour la née-moldue qui essaye pourtant de se remettre rapidement de sa surprise pour appréhender ses propos. Elle fronce les sourcils, désormais dissimulés sous les imposants rebords du chapeau, cherchant à se souvenir. Dans le train, son nouvel ami, Shaun lui a parlé des quatre maisons. Chacune a ses propres couleurs ainsi que ses qualités. Elle s’était alors sentie l’âme d’une Gryffondor, ceux à la bravoure exceptionnelle et…
"Et bla bla bla."
Serrant les dents, la jeune fille réalise que le chapeau, non content de parler dans sa tête, entend également tout ce qu’elle pense. Et qu’il se moque d’elle. Vexée, Abigail le boude mentalement, bien qu'elle doute que cela ait un quelconque effet. Mettant fin à son comportement enfantin, le chapeau reprend la parole, d’un ton plus conciliant.
"Écoute petite. Tu possèdes le courage d’un Gryffondor, je ne peux le nier, mais tu possèdes également la curiosité et l’intelligence des Serdaigles ainsi que les valeurs des Poufsouffles."
La jeune fille est perdue, elle ne comprend pas, et elle a peur. Si elle a toutes ces qualités, pourquoi l’envoyer chez les Serpentards ?... Elle en a vaguement entendu parler lors du trajet en train, mais elle a surtout vu l’accueil que leur réservent les autres élèves.
Leur table, au contraire des trois autres maisons, est presque vide et uniquement trois élèves y ont été envoyés. Seul le premier a semblé se réjouir de son attribution, et personne dans la salle n’a osé applaudir aucun de ces étudiants lorsqu’ils se sont dirigés vers leur table.
Alors… La demoiselle essaye de comprendre, elle organise ses pensées de manière cohérente faisant fi de sa peur.
Après elle il ne reste plus que quatre élèves, et la répartition est largement inégale. Est-ce la raison pour laquelle cette… chose désire l’envoyer chez les verts et argents ? Peu importe ses qualités, il désire homogénéiser un minimum la répartition ?
Le soupir du chapeau résonne dans son esprit, corroborant son hypothèse.
"En partie…"
Il semble à la jeune Abigail que la voix est plus fatiguée que quelques instants au paravent, comme si elle était lasse.
"Tous les jeunes semblent avoir peur d’être un Serpentard et même si leurs esprits feraient d’eux des élèves exemplaires de cette maison, ils protestent à grands cris –enfin, grandes pensées puisque l’on discute par pensée- et refusent catégoriquement cette option. Ils me forcent la main. Qui suis-je pour obliger un élève à rejoindre une maison qui le terrorise ?"
L’enfant reste silencieuse, ne comprenant pas parfaitement ce que lui raconte l’étrange couvre-chef. Mais on lui a appris la politesse, si bien qu’elle écoute patiemment ce que l’objet a à lui dire.
"Mais toi, jeune Turner, tu es différente. Tu n’as pas envie de rejoindre Serpentard, mais tu n’en as pas peur non plus. Est-ce du courage ou de l’inconscience, je l’ignore, mais l’inconnu ne t’inquiète pas. Tu sais -je viens de le voir- que, quelle que soit ta maison, tu apprendras et tu seras une bonne élève. Tu possèdes également une force de caractère suffisamment forte pour faire face à toutes les épreuves qui se dresseront sur ton chemin, et je ne doute pas qu’elles seront nombreuses. Sache que Serpentard n’est pas une punition, il s’agit d’une opportunité. Ton opportunité pour faire changer les choses, montrer à tous qu’ils ont tort."
Elle a peur.
Abigail Turner a peur.
Peur parce que les mots du chapeau sonnent étrangement juste et la galvanisent. Peur parce que son destin est en train de se jouer. Peur de la direction que prend cette conversation et de ce qui en résultera.
Tandis que chacun de ces mots se fichent dans son cœur, elle se prépare -vainement- à ce qui va suivre. Le choix de sa maison.
Une larme roule sur sa joue, témoin de sa détresse, tandis que le couperet tombe.
-SERPENTARD !
Le chapeau a parlé, son sort est scellé.
***
La Grande-Bretagne a été sur le devant de la scène pendant la guerre, plongée au coeur du chaos, sous les projecteurs. Les moldus n’ont pas été épargnés pourtant leurs pertes sont presque dérisoires en comparaison de celles des sorciers. Leur monde a été ravagé, et, au lendemain de cette guerre, tous pleurent au moins un de leur proche.
Poudlard s’est transformé en un champ de ruines où plane l’odeur de la mort. Symbole de leur survie, mais également apothéose de l’horreur, de la douleur et de la folie. Folie des Mangemorts, mais également, et en moindre mesure, des survivants. Folie apportée par la perte d’êtres chers, douce et bienfaisante. Folie qui réclame vengeance. Folie assaisonnée de rancœur et qui crie justice.
La Justice entame donc ses procès. De nombreux procès, de toutes les personnes étant impliquées de près ou de loin dans les atrocités commises au nom de Celui-dont-on-ne-devait-prononcer-le-nom. Mais les jugements finissent par être troublés par cette envie de punir. Il n’est plus question d’être mesuré, mais d’être exemplaire. Montrer ce qu’il se passe lorsqu’on s’en prend à la communauté toute entière des sorciers est devenu le but de ces procès. Ou plutôt devrions-nous dire de ces funèbres mises en scène.
Les journaux diffament tandis que les conclusions des enquêtes se bâclent. La désinformation commence. Il n’est plus question de vérité, mais de soulager la peine et la fureur des citoyens britanniques.
Des mandats d’arrêt internationaux sont lancés tandis que les procès s’enchaînent, condamnant la presque totalité des individus jugés : mort ou emprisonnement à Azkaban, et quelques très rares fois, libération sous caution. Mais quelles vies sont celles de ces hommes et femmes relâchés, lorsque leurs connaissances leur tournent le dos les jugeant coupables ? Car dans la rue, le Bien reprend le pouvoir et compte purger le monde de tout partisan, ou même aspirant, à la magie noire et à ce culte du Mal. Une réponse extrême qui fait plus de mal que de bien et qui fait chuter Serpentard au fond du gouffre.
Il ne faut que peu de temps pour qu’une idée se généralise et qu’elle devienne vérité. Une vérité trouble et éloignée de la réalité… Mais qu’importe, les associations d’idées sont les plus fortes et bien plus simples à être adoptées par les Britanniques. C’est ainsi que Salazard Serpentard, du moins son héritage et sa réputation, se retrouve au plus bas. La déchéance pour ce fondateur de Poudlard ainsi que pour tous ceux qui ont un jour été dans sa maison. La grande majorité de ces élèves ont été jugés, ou du moins été au centre d’une investigation. C’est la maison qui a le plus failli à Poudlard. La maison des traîtres. La maison des lâches. La maison de ceux qui ont abandonné leurs frères lors du combat. La maison des partisans de Lord Voldemort.
Des idées fausses, mais tellement rassurantes pour tout un chacun. C’est la faute des Serpentards. Tom Jedusor -même si rares sont ceux à connaître sa véritable identité- était un Serpentard, tout comme nombre de ses fidèles.
Alors, lorsque Poudlard rouvre ses portes huit mois plus tard, tout est différent.
Les seuls élèves autorisés à y retourner sont ceux n’ayant pu achever leur année scolaire à cause de la guerre. L’union entre les quatre maisons n'est plus qu'un écran de fumée. Des charbons ardents. Il s’agit désormais d’une famille détruite par la guerre où le frère est montré du doigt. Les idées ont fait leur chemin et les préjugés ont balayé les années à se côtoyer : Serpentard est responsable.
À la rentrée suivante, le 1er Septembre 1999, seul un tiers de la maison verte et argentée subsiste, les persécutions en ont découragé plus de la moitié.
Parmi les nouveaux élèves effectuant leur première rentrée à Poudlard, seuls quatre d'entre eux seront envoyés chez Serpentard, accentuant plus encore l’inégalité entre les différentes maisons. Et l’une de ces quatre brebis égarées se trouve être Abigail Turner.
La balance est faussée et le déséquilibre créé. Les injustices peuvent reprendre sous couvert de la Justice et du Bien.