La balançoire soigneusement accrochée au vieil orme s’éleva sous une nouvelle bourrasque. Adossée au tronc de l’arbre bi-centenaire Gabrielle était perdue au beau milieu de ses pensées. Elle arracha quelques brins d’herbe, qu’elle libéra aussitôt. Elle les observa tourbillonner, prisonniers d’une nouvelle rafale qui vint balayer la falaise sur laquelle se trouvait la Chaumière aux coquillages. A une cinquantaine de mètres d’elle, se trouvait le fameux cottage, à l’allure délabrée, aux deux cheminées, dont l’une, hors-service depuis un long moment, menaçait de s’effondrer à chaque instant. Jamais elle n’aurait cru que sa grande sœur, la fameuse Fleur Delacour, se plairait dans ce genre de maison. Elle l’imaginait, vieillir dans un immense manoir débordant de luxe à chaque recoin, avec une ribambelle de domestiques à son service. La Chaumière aux Coquillages était le style de bicoque qu’affectionnait tout particulièrement Gabrielle. Perdu dans un cadre magnifique, à l’abri des regards trop curieux, c’était tout ce dont rêvait Gabrielle. Elle finit par se lever et s’approcha de la rambarde qui surplombait la plage. Elle laissa son regard se perdre dans le magnifique paysage qui s’offrait à elle. La vue était belle en haut de la falaise, avec la mer qui s’étalait à perte de vue. Elle aurait pu avoir l’impression de dominer le monde. Et pourtant, elle se sentait si fragile, si vulnérable.
Une nouvelle fois, la jeune française n’avait pas bien dormi. Comme trop souvent dernièrement, une fois qu’elle se retrouvait seule dans sa chambre, ses angoisses concernant son avenir revenaient. Elle se questionnait, tergiversait, se retournait sans cesse dans son lit, cherchant la meilleure position pour s’endormir. Les heures s’écoulaient, son énervement ne faisait que s’accroître, alors lorsque le jour revenait, elle sortait de son lit pour rejoindre l’extérieur. Elle pouvait y passer des heures, seule, avant de retrouver le cottage plus animé. Une jolie chouette blanche aux reflets argentés, s’installa non loin d’elle sur la barrière en bois. Elle décrocha la missive, soigneusement attachée à sa patte droite. Elle fit signe au volatile de reprendre son envol. Ce dernier protesta, mais finit par partir lorsque Gabrielle reporta son attention sur l’enveloppe qu’elle décacheta avec soin. Elle déplia le mot et en commença la lecture.
Comme convenu, je te rejoins en fin de matinée chez ta sœur. J’ai vraiment hâte de te retrouver !
Dennis
Ces quelques mots redonnèrent un semblant de sourire à Gabrielle, elle était pressée, elle aussi, de revoir son meilleur ami. Cela allait bientôt faire 6 mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Ils s’écrivaient régulièrement, mais ce n’était pas pareil. Et puis, il y avait ces choses qu’elle ne pouvait pas lui dire dans une lettre. Elle replia le mot qu’elle glissa dans la poche arrière de son pantalon. Un gargouillis s’échappa de son ventre. Elle allait devoir songer à rentrer au cottage pour prendre son petit déjeuner. Mais elle n’avait pas envie de croiser sa sœur. Gabrielle préférait passer du temps avec ses nièces et son neveu. Eux au moins, ils n’appuyaient pas, là où ça faisait mal comme sa sœur savait si bien le faire. Cela faisait trois jours qu’elle était arrivée à la Chaumière aux coquillages et autant de jours qu’elle faisait son maximum pour éviter de se retrouver, seule, au même endroit que son aînée.
Lorsqu’elle se décida à retourner à l’intérieur du cottage ce matin-là, elle constata que seule Fleur était présente.
- Ah, te voilà enfin ! Je me demandais où tu étais passée ! Je te sers une tasse de thé ? proposa Fleur.
Gabrielle hésita, un tête-à-tête matinal avec sa sœur ne l’enchantait guère. Elle observa l’escalier, espérant voir débouler une petite tête blonde. Puis elle scruta intriguée, l’espace de jeux qu’occupaient Dominique et Louis une bonne partie de la journée. Elle finit par s’installer à la table et attrapa la tasse de thé que sa sœur lui tendait et croqua dans un scones.
- Ils ne sont pas encore levés ? s’étonna-t-elle en désignant l’espace de jeux réservé aux enfants.
- Bill est parti pour la journée chez ses parents avec les enfants. Je voulais venir aussi, mais il a insisté pour que je reste pour qu’on puisse passer un moment entre sœurs. Bon, je sais que ça l’arrange que je ne vienne pas, comme ça ils peuvent préparer la fête surprise pour mes 30 ans. Il croit que je ne me doute de rien, mais il y a bien longtemps que j’ai découvert le pot aux puffapod. Mais ce qu’il m’a dit m’a tout de même fait réfléchir, c’est vrai que depuis ton arrivée nous avons passé très peu de temps toutes les deux. Je vais finir par croire que tu m’évites, ajouta-t-elle en rigolant.
Le visage de Gabrielle se ferma un peu plus. Elle sentit la boule de stress qui ne la quittait plus depuis plusieurs mois, s’amplifier.
- Oui…oui…c’est vrai, balbutia une Gabrielle terriblement gênée et rougissante. C'est-à-dire que Dennis doit venir…
- Ah Dennis, étonnant qu’il ne soit pas venu plus tôt. Vous officialiserez un jour votre relation tous les deux ?
- Arrête avec ça Fleur ! s’emporta Gabrielle en serrant les poings. Je t’ai déjà expliqué des millions de fois que Dennis et moi sommes amis, rien de plus.
- Ce n’est pas parce que tu me l’as expliqué des millions de fois, comme tu dis, que je te crois. Il vient régulièrement en France, je sais que c’est un pays magnifique, mais je ne suis pas certaine que ce soit cette beauté-là qui l’attire en premier lieu. Et puis dés que tu viens ici, pour me voir, il accoure. Tu n’as pas passé un seul séjour ici, sans le voir. C’est un signe, non ? Vous vous voyez très souvent !
- Oui, comme ça se fait entre amis, je ne vois vraiment pas où est le problème.
- Le problème c’est que tu te mens à toi-même en niant tes sentiments. Tu es amoureuse de lui, ça se voit comme le souafle sur un terrain de Quidditch.
- Pfff, n’importe quoi. J’sais même pas pourquoi je m’obstine à tenter de te faire comprendre que tu te trompes.
- Tu es jolie, intelligente, ce n’est pas normal qu’une fille comme toi soit seule.
- Avec ta vision du monde peut-être mais moi, je ne vois pas les choses comme toi ! J’ai d’abord besoin d’apprendre à m’aimer telle que je suis, de m’accepter, d’être heureuse seule avant de pouvoir envisager de l’être avec quelqu’un.
- C’est nouveau ça, tu n’es pas heureuse ?
- Ca ne sert vraiment à rien qu’on discute, tu n’essaies même pas de me comprendre.
- Non en effet, je ne comprends pas, tu es jolie, tu as fait des bonnes études, tu vas pouvoir obtenir un bon poste grâce aux relations de papa, tu…
- Arrête ! Je n’ai pas envie, une nouvelle fois, de t’écouter déballer la liste des choses qui devraient me rendre heureuse.
Elle se leva brusquement et sortie précipitamment du cottage, les larmes aux yeux. Elle manqua de trébucher en passant le seuil de la porte. Sa sœur ne s’en rendait peut-être pas compte, mais ça lui faisait mal ce qu’elle venait de lui dire. C’était toujours la même rengaine avec elle. Elle ne pouvait pas entendre que sa jeune sœur puisse être malheureuse, puisque selon ses propres critères elle avait tout pour être heureuse. Ses parents étaient également du même avis que Fleur. Il était plus facile pour eux d’ignorer le mal-être de leur fille. Au fil des ans, Gabrielle avait finit par croire que le problème venait uniquement d’elle. Qu’elle se montrait trop capricieuse et qu’elle ne savait pas se satisfaire de ce qu’elle avait. Elle essayait d’être heureuse, elle pensait qu’ainsi, son entourage serait moins gêné. Mais ses sourires de façade masquaient un désespoir plus profond.
Elle emprunta le chemin qui menait à la plage. Elle apprécia le contact du sable sous ses pieds lorsqu’elle retira ses chaussures. Elle avança vers les rochers, les dépassa et s’assit non loin de l’eau. Elle attrapa quelques coquillages qui traînaient près d’elle et les jeta dans la mer. Elle finit par essuyer ses larmes. Elle ne voulait pas que Dennis la trouve dans cet état. Et comme souvent, lorsqu’elle cherchait à se remémorer un événement heureux, elle se repassa le doux souvenir de leur rencontre. Celle-ci resterait à tout jamais gravée dans son esprit.
C’était une journée d’hiver. Elle s’était retrouvée bien malgré elle dans un pays dont elle ne parlait pas la langue. En ressortant du lac, elle était frigorifiée et surtout terrifiée par les gens qui s’agitaient autour d’elle. Elle ne comprenait vraiment rien à ce qu’il se passait. Sa grande sœur Fleur s’était jetée à son cou lorsqu’elle l’avait aperçue, les larmes aux yeux. Elle semblait avoir réellement eu peur pour elle. Elle l’avait serrée tellement fort dans ses bras, que Gabrielle avait cru étouffer. Puis on avait appelé sa sœur, elle avait un détail à régler concernant le Tournoi des Trois Sorciers. Gabrielle s’était de nouveau retrouvée seule, impressionnée par ce monde inconnu qui l’entourait. Et c’est là qu’elle avait croisé son chemin pour la toute première fois.
Il s’était doucement approché d’elle pour venir se poster devant elle. Il se balançait maladroitement d’une jambe sur l’autre. Il lui avait parlé, mais elle n’avait rien compris. Elle lui avait répondu en français, mais c’était peine perdue, il ne connaissait pas cette langue. Il avait noué son écharpe rouge et jaune autour de son cou pour pas qu’elle attrape froid, puis lui avait tendu la main. Elle l’avait d’abord regardé, hésitant à attraper cette main tendue. Elle entendait la voix de ses parents la sermonnant, lui rappelant l’imprudence de suivre un inconnu. Il y avait quelque chose de doux et de rassurant qui se dégageait de son regard. Elle ne connaissait pas son prénom mais elle sentait qu’elle pouvait lui faire confiance. Elle avait donc pris ce risque de glisser sa petite main gelée dans la sienne ce jour-là. Il l’avait entraînée vers le château, puis ils avaient dévalé plusieurs escaliers de pierres pour finalement se retrouver dans les cuisines de Poudlard. Un elfe les avaient gentiment accueilli et les avaient installé confortablement auprès de la grande cheminée. Puis on leur avait fait porter deux chocolats chauds qu’ils avaient dégustés en silence.
- Qu’est-ce qui te fait sourire ainsi, Gaby ?
Cette réflexion sortit Gabrielle de ses songes, elle se releva précipitamment pour se jeter au cou du nouvel arrivant.
- Dennis, ça me fait tellement plaisir de te voir ! s’enthousiasma-t-elle.
Elle finit par desserrer son étreinte et lui redonna sa liberté.
- Je vois que j’étais attendu ! dit-il en souriant. Enfin, ça fait toujours plaisir.
- Comment tu as su que j’étais là ?
- Ta sœur m’a raconté que tu es partie fâchée de la maison, quand j’ai vu que tu n’étais pas sous ton arbre fétiche, je me suis dit que tu étais forcément sur la plage.
- Tu me connais bien !
Ils s’installèrent tous les deux sur le sable, face à la mer. L’eau venait délicatement lécher leurs pieds.
- Tu ne m’as pas dit ce qui te faisait sourire comme ça ? insista Dennis.
- Notre toute première rencontre, quand tu m’avais entraînée dans les cuisines de Poudlard.
- Oui, exact, j’aurais pu t’entraîner dans la forêt interdite, mais bon, tu n’aurais pas supporté je crois, rigola-t-il.
- Tu dis vraiment des idioties toi parfois !
- Avoue que c’est aussi pour ça que tu m’aimes bien ?
- Je ne répondrai pas à cette question !
- Bon, ok, comme tu voudras petite impertinente !
Ils rigolèrent tous les deux. Cela faisait longtemps que Gabrielle n’avait pas ri de la sorte. Dennis avait cet étrange pouvoir sur elle, de lui faire oublier ses soucis. Elle se sentait en sécurité près de lui, comme lors de leur première rencontre.
- Tu sais, il y a quelque chose que je ne t’ai jamais demandé. Pourquoi tu es venu me voir ce jour-là ?
- Tu étais toute petite, effrayée par tout ce qui se passait autour de toi. J’avais vu que ta sœur avait été appelée et plus personne ne semblait s’intéresser à toi. Je me suis imaginé à ta place, dans un pays que je ne connaissais pas, avec des gens qui parlaient une langue étrangère à mes oreilles. J’aurais apprécié que quelqu’un me tende la main, pour que je me sente moins seul, alors c’est simplement ce que j’ai fait pour toi et je ne l’ai jamais regretté par la suite. Et puis, grâce à toi, j’ai appris le français, tu m’as fait découvrir ton beau pays.
- Tu as bien fait de suivre ton instinct ce jour-là. Je crois que nous serions passés à côté d’une très belle rencontre tous les deux si tu ne l’avais pas fait. J’ai parfois l’impression que tu es le seul à me comprendre sur cette terre.
- Lorsque j’ai perdu mon frère, ta présence m’a énormément apportée. Tu ne m’avais pas dit grand-chose, mais parfois les gestes sont bien plus significatifs que les paroles.
- Bon je dois tout de même t’avouer que si j’avais pas plus parlé à l’époque, c’est que mon niveau en anglais laissait encore fortement à désirer.
Ils rigolèrent tous les deux, face à cet aveux de la jeune française.
- Ce n’est pas un hasard si je suis devenu photographe pour la Gazette du Sorcier. Parfois je me demande ce que serait ma vie, si mon frère était encore là, serions-nous toujours aussi proche, aurais-je choisis le même métier ? Et d’autres fois je me dis que je suis idiot de penser à ça. Ma vie est comme elle est, et que les différents événements que j’ai traversés ont construit l’homme que je suis devenu aujourd’hui.
- Moi parfois je me dis que ma vie serait peut-être plus simple si je n’avais pas eu une sœur comme Fleur à qui tout réussi. J’ai l’impression qu’on attend de moi que je suive ses traces et que je réussisse ma vie moi aussi. Mais ça veut dire quoi réussir sa vie ?
- Ca, je me le demande aussi. C’est personnel à chacun au final. Il n’existe pas une seule façon de réussir sa vie.
Ils restèrent silencieux un long moment et s’allongèrent sur le sable. Gabrielle observa les mouettes qui passaient au dessus d’elle. Il fallait qu’elle lui parle. Si elle ne le faisait pas maintenant, elle ne le ferait jamais.
- J’ai besoin de partir Dennis, partir loin, finit-elle par avouer à demi-mots.
Dennis se releva sur l’un de ses coudes et la fixa.
- Partir loin, comment ça ?
- Je ne sais pas…je crois que je ne suis pas heureuse. Si je me pose la question, c’est que je ne dois pas vraiment l’être, non ?
- Je… je… peut-être… je ne sais pas à vrai dire, répondit Dennis embarrassé.
- J’ai toujours fait ce que ma famille attendait de moi. Mes études je ne les ai pas vraiment choisies. Je n’ai jamais osé m’affirmer, alors j’ai laissé les autres prendre une place importante dans les décisions me concernant. Je n’étais pas en mesure d’énoncer clairement ce que je voulais, alors on a fait des choix pour moi. Je ne rejette pas complètement la faute sur les autres, j’ai conscience de ma part de responsabilité dans tout ça. Aujourd’hui c’est trop, je sens que c’est au-dessus de mes forces. J’ai besoin de dire stop. J’ai besoin de me retrouver moi, de comprendre qui je suis, ce que j’aime. De découvrir ce que je suis capable de faire, mais aussi connaître mes limites. J’ai besoin d’apprendre à aimer qui je suis.
- Et tu as besoin de partir à l’autre bout du monde pour découvrir tout ça ? s’intéressa Dennis.
- Non, pas forcément, mais découvrir le monde, ça fait aussi partie de mes rêves et je compte bien le réaliser celui-là. Je crois que découvrir le monde me fait moins peur que de me découvrir moi-même.
- Si c’est quelque chose qui te tiens à cœur, fais-le ! Tu sembles avoir parfaitement réfléchit à tout ça, et si tu sens que c’est ce dont tu as besoin, fais-toi confiance ! Tu es celle qui te connait la mieux.
- Merci de me rassurer. Je me demandais si je n’étais pas folle de penser à ça.
- Gaby, je suis désolé, je n’avais pas réalisé que tu te sentais aussi mal…
- Ne culpabilise pas, je ne t’ai pas dit tout ça pour ça. J’avais juste besoin d’une oreille qui saurait m’écouter et c’était forcément toi, ça a toujours été une évidence pour moi.
Quelques mois plus tard
Gabrielle finissait de boucler sa valise, lorsque la jolie chouette blanche aux reflets argentés se posa dessus. Elle se hâta de décrocher la missive pour en découvrir son contenu.
Si mes informations sont justes, c’est aujourd’hui que tu t’envoles pour le Brésil. Première escale de ton périple. Je ne sais pas trop ce qui t’a poussée à choisir ce pays en premier. Il paraît qu’on y trouve de sacrés dragueurs là-bas, j’espère que tu ne seras pas ennuyée avec ça !
Prends le temps qu’il te faudra dans cette reconquête de toi-même. Ton bonheur est très important. Les personnes qui t’aiment comprendront ! Ne t’en fais surtout pas pour ça !
N’oublie jamais que tu es une belle personne et que tu as beaucoup à apporter aux autres.
A bientôt,
Dennis
PS : Si jamais tu passes par l’Australie, n’oublie pas ton vieil ami anglais qui serait heureux de découvrir ce pays lointain avec toi . Comme tu peux le voir, je tente, on ne sait jamais.