– Daphné ?
– Vas-t’en, Astoria. Tu vois bien que je dors…


Pourtant, Daphné ne dormait plus et le sourire de sa sœur, à califourchon sur elle, lui fit pousser un soupir vaincu. Les deux sœurs n’avaient que deux ans d’écart et, dans ce gigantesque manoir aux mille et une portes, elles étaient devenues complices de jeu depuis leur plus tendre enfance. Ainsi, l’aînée ne pouvait rien refuser à la cadette, même en plein milieu de la nuit.

Ce matin-là, le jardin des Greengrass avait été recouvert d’une épaisse couche blanche et Astoria ne rêvait que d’une seule chose lorsqu’elle s’était éveillée et avait regardé par la fenêtre de la chambre qu’elle partageait avec Daphné : faire un bonhomme de neige.

Du haut de ses cinq ans, Astoria sautillait partout alors que Daphné revêtait une robe de chambre en velours bleu nuit et des pantoufles de la même couleur. Cette dernière, après s’être frotté les paupières, visiblement encore ensommeillée, attrapa sa sœur par la main et toutes deux sortirent discrètement de la chambre. Les chaussons ne faisaient aucun bruit sur le parquet boisé et Astoria étouffa un rire dans sa manche alors qu’elles descendaient les escaliers qui menaient au hall d’entrée. Daphné lui fit signe de se taire et les deux petites filles parvinrent devant la grande porte en bois massif. Leur mère cachait toujours la clé dans le petit coffret aux armoiries de la famille sur une petite étagère et la petite blonde n’eut aucun mal à la trouver, l’ayant vu faire tant de fois. Lorsque la poignée tourna et que la porte s’ouvrit, Astoria faillit pousser un cri de joie, bien vite étouffée par la main de sa sœur.


– Chut, s’ils nous entendent… murmura l’aînée, inquiète, en refermant la porte derrière elles.
– Daphné… fit sa cadette tandis que sa sœur retirait délicatement sa main. Je sais comment on va l’appeler.
– Qui ça ?
– Le bonhomme de neige ! répondit Astoria avec évidence.
– Ah ? Et comment tu veux l’appeler ? s’enquit Daphné avec un sourire.
– Olaf.
– C’est un très beau nom pour un bonhomme de neige, admit la plus âgée en riant un peu.


Les deux petites filles ne sentaient plus le froid de décembre. Grisées par l’excitation de ce bonheur simple, elles roulèrent la neige afin de former une boule. Puis, une deuxième plus petite qu’elles placèrent sur la première. Enfin, elles lui dessinèrent deux yeux, aussi ronds que des gallions et ramassèrent des brindilles qu’elles lui mirent sur le haut du crâne en guise de cheveux, et deux autres pour lui servir de bras. Astoria se rua dans les bras de sa sœur et lui colla un énorme baiser sur la joue.


– Il est parfait !
– On devrait rentrer maintenant, remarqua Daphné en constatant que sa sœur avait nettement pâli et qu’elle était gelée.
– Oh Daphné, pas tout de suite… la supplia la petite alors que la plus grande resserrait son étreinte, déposant une main sur son front.
– Tu es brûlante…


Toute la joie de Daphné s’était évaporée et avait fondu comme neige au soleil. Tout comme l’aurait fait un bonhomme de neige en été. L’état d’Astoria empira dans les heures qui suivirent et elle fut bien obligée de raconter ce qu’elles avaient fait alors que les premières lueurs de l’aube venaient de se lever. Ses parents, angoissés par l’état de leur cadette, l’emmenèrent à Ste-Mangouste. Ils ne firent aucune véritable remontrance à la première de leurs filles mais elle put lire dans leurs yeux toute la déception qu’elle leur inspirait. Elle n’avait pas su protéger Astoria. Bien que celle-ci s’en sortit avec une simple grippe, sa santé resta fragile et cet événement resta gravée dans la mémoire de Daphné qui finit par s’éloigner de sa sœur.