Raymond, après avoir enlevé son manteau et tenté de le faire entrer tant bien que mal dans son sac déjà plein à craquer, jeta un dernier regard sur la Porto-garde de Bucarest. Une montre cassée en main, il attendait le signal du chef des Portoloins du comptoir international qui faisait le tour des différentes alcôves d’où partaient les voyageurs.
— Mr Jones Raymond, direction Alexandrie, Portoloin de 11h37 ?
— C’est moi !
— Vous partez dans 23 secondes !
Effectivement, Raymond se sentit presque immédiatement tiré par le nombril, avant de voir l’environnement tournoyer autour de lui. Cela ne dura que quelques instants mais la sensation était suffisamment désagréable pour que cela lui paraisse avoir duré beaucoup plus longtemps. Ses pieds atterrirent inégalement sur le sol et il réussit au dernier moment à retrouver son équilibre avec force de moulinets de bras. Une fois stabilisé, sa première pensée fut qu’il allait enfin connaitre une réponse à la grande question qui le taraudait depuis quelques semaines. Et quel endroit au monde était plus approprié que la Bibliothèque d’Alexandrie ?
Il ajusta son paquetage, salua la cheffe de la Porto-gare qui récupéra la vieille montre et sortit du bâtiment qui était idéalement situé dans la rue sorcière la plus importante de la ville. Immédiatement, il fut assailli par un flot de chaleur qui le fit transpirer sur place, malgré le fait qu’il ait pensé à enlever son manteau à Bucarest, et l’éblouissement le força à plisser les yeux. Il avait du mal à croire qu’une ou deux heures auparavant, il piétinait dans la neige, grelottant sous son manteau de fourrure, tentant tant bien que mal de se faire comprendre par les employés du Portoloin roumain.
Il entra dans le premier hôtel qu’il vit, afin de pouvoir se changer, poser toutes ses affaires, et aussi se reposer, car ces derniers jours n’avaient pas été de tout repos. Allongé sur son lit, il se demanda s’il était réellement en sécurité. À Bucarest, il avait dû fournir ses papiers d’identités pour son voyage vers l’international et n’avait donc pas pu présenter de faux nom. Il tenta de se rassurer en se disant que la famille qui en avait après lui ne connaissait peut-être pas son identité, même si cela était peu probable.
En les fuyant, il avait réussi à transplaner sur le continent, et d’où il avait pris un train avec Évangeline sans que rien ne leur soit demandé. Ce qui, en y réfléchissant, relevait quasiment du miracle au vu des tenues ainsi que de l’état de celles-ci au moment de l’embarquement. Évangeline l’avait quitté en cours de route, et même s’il avait son balai, il n’avait pas osé la suivre, ce qui l’avait obligé à attendre la gare suivante en se rongeant les sangs.
Il était alors arrivé dans une petite gare sorcière des Balkans, un charmant petit village sans aucun Moldu, qui ressemblait relativement Pré-Au-Lard en plus paisible, d’où il avait transplané vers Bucarest. Il espérait que cela éviterait à la famille furieuse de retrouver sa trace, pendant que lui-même recherchait tout ce qu’il pouvait sur le dragon étrange que prenait la forme Animagus d’Évangeline. Il avait déjà commencé ses recherches à l’Atlantide mais il avait eu l’impression de poser une question dérangeante et n’avait pas insisté : il pourrait visiter bien d’autres bibliothèques bien remplies ! Il avait donc tenté de mettre toutes les chances de son côté en faisait le choix de se déplacer jusqu’à Alexandrie, qui recensait des ouvrages vieux de plusieurs centaines d’années.
Dès le lendemain, il se rendit alors à la bibliothèque. Il avait fait auparavant un détour par une boutique afin de se procurer une tenue plus adaptée aux températures du lieu. Ses robes de sorcier de Roumanie où la température était en moyenne nulle à cette période de l’année n’étaient clairement pas adaptées : il faisait exactement 34 degrés Celsius lorsqu’il avait pointé son nez hors de la Porto-gare la veille. Muni de son fidèle carnet, de sa lettre de recommandations et de son sourire le plus avenant, il longea l’artère centrale du quartier sorcier jusqu’à la mer où se trouvait l’accès principal de la bibliothèque. Il profita de sa ballade pour observer les boutiques qu’il croisait sur sa route.
La structure de l’avenue ressemblait à celle du Chemin de Traverse, mais tout ce qu’il voyait chantait sous ses yeux : les tissus chatoyants des robes de sorciers, l’odeur des étals d’épices, et les oiseaux ! Il avait toujours cru qu’à Londres l’on trouvait des hiboux de toutes tailles et de toutes les couleurs, mais il devait avouer que le choix était beaucoup plus restreint que dans l’animalerie où il se trouvait, qui ne se limitait pas aux hiboux. Des corbeaux aux plumes d’un bleu de nuit profonde, d’immenses perroquets chamarrés, une petite perruche verte au regard vif piaillaient dans leurs cages, leurs cris se mêlant au brouhaha de la rue et aux lointains appels des mouettes. Plus il se rapprochait du port et plus il sentait le vent salé sur sa peau, un vent qui n’avait rien à voir avec celui qu’il avait toujours connu au manoir familial sur les côtes écossaises.
Arrivant devant la porte du saint des saints, il marqua une hésitation et contempla la mer durant quelques instants. Il avait beaucoup voyagé depuis sa sortie de Poudlard et ne se lassait jamais de découvrir de nouveaux paysages. Il avait l’impression de chercher continuellement quelque chose, et ne restait jamais bien longtemps au même endroit : il faisait ses recherches, puis au bout d’un ou deux mois il se sentait rassasié et reprenait ses valises. Au final, l’endroit où il était resté le plus longtemps était l’Atlantide. Là où il avait rencontré Évangeline. C’était d’ailleurs pour en apprendre plus sur elle qu’il venait frapper à la lourde porte de chêne qui se dressait devant lui.
L’atmosphère à l’intérieur du bâtiment était totalement différente à celle de l’extérieur : il régnait ici un silence studieux et la température lui était beaucoup plus agréable. Il se dirigea vers l’accueil afin de trouver quelqu’un qui puisse le renseigner. Le bruit de ses sandales sur la pierre brute et calcaire patinée par le passage de milliers de visiteurs le surprit un peu, tellement il était habitué au claquement des bottes sur la pierre dure. Une jeune femme qui traversait le hall l’entendit parler de dragons et modifia sa trajectoire pour se diriger vers lui.
— Bonjour ! Je me présente, je m’appelle Daget. Je suis étudiante à l’Institut Kèdjougou et je me spécialise dans l’étude des dragons, j’ai l’impression que je pourrais sûrement vous aider !
Raymond fut soulagé de rencontrer quelqu’un qui parlât anglais. Ils discutèrent quelques instants à voix basse devant le comptoir d’accueil de la bibliothèque avant que des regards de plus en plus courroucés se tournent de plus en plus régulièrement vers eux. Ils décidèrent d’un commun accord d’aller continuer leur bavardage dans un café tout proche.
Daget avait une culture incroyable et se souvenait pratiquement de tout ce qu’elle lisait. Elle avait lu bien plus de livres concernant les dragons que Raymond n’aurait pu imaginer qu’il n’en existât. Elle maîtrisait la théorie sur le bout des doigts, et son rêve était d’approcher un jour ces fabuleuses créatures. Raymond quant à lui, n’avait jamais été très studieux, il préférait apprendre sur le tas, c’est ce qui l’avait amené à voyager à la rencontre des dragons. Il avait suffisamment de connaissances de base pour qu’on le laissât entrer dans les réserves afin d’étudier (et surtout dessiner) les reptiles. Il sortit son carnet et présenta à Daget les différents croquis qu’il avait pu faire au cours des dernières années, pendant lesquelles il était successivement allé au Pérou, en Norvège, en Chine et en Roumanie avant d’avoir voulu consulter la fantastique base de données et de savoir que constituait la bibliothèque de l’Atlantide.
Raymond et Daget se revirent plusieurs jours d’affilée, où ils échangèrent leurs connaissances tout en buvant des litres de thé : elle lui parlait de la différence de structure moléculaire entre les écailles du cou et celles du ventre des Boutefeux Chinois, il lui décrivait comment cette disparité se remarquait à la façon dont la lumière se reflétait sur les unes plus que sur les autres ; il s’étonnait de l’épaisseur de la peau des ailes chez un Dent-de-vipère du Pérou jeune comparée à celle d’un spécimen plus âgé, elle lui expliquait comment leur centre de gravité se déplaçait avec le temps et leur donnait alors une posture plus aérodynamique, nécessitant donc un effort moins important par rapport à leur poids.
Au bout de quelques jours, Raymond finit par aborder le sujet qui l’intéressait au plus haut point. Les derniers évènements l’ayant rendu méfiant, il préféra mentir afin de protéger ses arrières.
— J’avais vu un jour dans un livre… Bon sang je ne me souviens plus lequel… Enfin bon bref, ça n’a pas tellement d’importance… Donc j’avais vu un dessin d’un dragon sur lequel je ne suis jamais retombé par la suite, un dragon aux écailles sombres, assez massif… Attends, je prends mon carnet et j'essaie de te le dessiner de mémoire, tu pourras peut-être me dire de quelle espèce il s’agit. Tu peux me passer le fusain s’il te plait ? Merci.
Raymond décrivit son dessin au fur à mesure qu’il l’esquissait.
— Donc son museau était ni long ni court, et il avait une collerette comme ça qui finissait avec de grosses écailles claires… Des pattes avant très courtes, voilààà… Et les pattes arrière par contre avaient l’air massives et puissantes, avec trois doigts et un ergot à l’arrière. On aurait dit que la peau des ailes était plutôt épaisse d’après le dessin du livre, hop, avec des épines dorsales tout du long… Et les yeux étaient verts avec une pupille verticale un peu comme les dattes.
Cette description lui ayant donné faim, il attrapa un fruit et en proposa un à sa collègue de réflexion.
— Merci. C’est impressionnant comme tu dessines bien. Attends, essuie toi les mains, tu vas faire des tâches sur ton carnet ! Est-ce que les écailles avaient des reflets un peu rouge-violet ?
— C’est exactement ça ! Tu en as déjà vu ?
— Aucune chance. Ce que tu me décris, c’est un Draconigena.
— Un quoi ? Je n’en ai jamais entendu parler.
— C’est une créature de contes. Ça n’existe pas. J’ai dû voir ça dans un vieux livre qui trainait chez mes arrière-grands-parents.
— C’est bizarre qu’une même légende se retrouve à la fois au Mali et en Écosse, c’est rare qu’il y ait des similitudes à une telle distance… Elle disait quoi cette légende ?
Daget soupira et se calla dans son fauteuil avant de commencer à expliquer, l’air septique.
— En gros, ça ressemble beaucoup à une théorie du complot. Il n’y a pas de légende à proprement parler, c’est plus une vieille hypothèse fumeuse. Les Draconigenae étaient soi-disant des dragons qui avaient la capacité de se transformer en humains. Tu vois, pour les attirer dans des pièges, pour diriger le monde à leur façon, ce genre de trucs quoi.
— Se transformer en humains ? Ça serait un peu comme une sorte d’inverse des Animagi ?
— Sauf qu’aucun humain n’a les connaissances nécessaires pour se transformer en dragon, et que même le plus doué des Animagi n’en aurait pas la force. La forme animale d’un Animagus correspond au caractère, à la puissance et au savoir de l’individu : personne n’a jamais eu une perception complète de la magie des dragons.
— J’aime bien cette légende. Ça change des souches qui parlent.
— Des souches qui parlent ?
— Babbitty Lapina et la souche qui gloussait. C’est une histoire qui raconte la vie d’une sorcière qui travaillait dans un château moldu dont le roi voulait absolument avoir des pouvoirs magiques. Quand les Moldus commencent à en avoir après elle, elle fait croire qu’elle se transforme en arbre, et pour l’empêcher de parler, les Moldus coupent l’arbre. Mais elle continue de se moquer, d’où le nom du conte. En fait, elle s’était transformée en lapin et s’était cachée dans les racines de l’arbre.
— Mais les Animagi ne peuvent pas parler quand ils sont sous le forme animale. Ils peuvent aboyer, bêler, piailler, mais pas parler.
— Ce n’est qu’un conte pour enfants.
— Tu n’as pas tort.
Leur discussion reprit une tournure plus scientifique et Raymond tenta de toutes ses forces de ne pas laisser son esprit divaguer. Ce n’est qu’une fois enfermé à double-tour dans sa chambre d’hôtel, le front posé contre le bois de la porte, qu’il osa réfléchir à ce qu’il venait de découvrir. Contrairement à ce que Daget croyait, les Draconigenae existaient donc réellement : Évangeline en était forcément une, et par conséquent, sa famille aussi. S’apercevoir qu’il n’avait plus affaire à une famille rancunière mais à un groupe de dragons déterminés et puissants fit s’affoler son rythme cardiaque au point qu’il dut aller s’asseoir sur le lit. Lissant par réflexe ses draps du plat de la main, il se demanda avec un effroi teinté d’une pointe de curiosité à quel point la magie d’Évangeline lui était encore inconnue malgré ce qu'il venait déjà d'apprendre.