Règle n°2 : Et si tu y perds pied, ne te débats pas, laisse-toi flotter
Marietta leur avait promis la mer. Du soleil et du calme et une sieste et Cho avait fait une blague sur Fleur Delacour qui comparait sans cesse la météo britannique avec celle du pays basque, alors Marietta s’était promis de leur donner la mer.
De leur donner une pause et de leur donner une légèreté.
Elle les avait guidées dans le réfectoire de l’auberge pour le petit-déjeuner, avait expliqué les plateaux et les couverts et les corbeilles à pain. Parvati dormait debout et avait fait tomber sa tasse de thé, et elle avait essuyé l’eau encore chaude et balayé les bouts de verre. Cho avait eut un instant d’hésitation, voulant Accioter une portion de beurre jusqu’à elle, avant de se rappeler qu’elle devait réellement se lever. Marietta avait sourit, lui avait dit que la même chose lui arrivait, encore, elle oubliait que sa baguette n’était pas greffée à sa main. Lavande avait passé ses doigts dans les cheveux longs de Parvati, caressant sa nuque, qui avait enfin réussi à émerger pour articuler une pensée cohérente.
Elle n’avait pas faim. Alors elle s’était levée, les avait devancées dans leur dortoir, et si Cho lui avait proposé de la rejoindre, elle avait balayé l’idée d’un mouvement de main. Elle avait enlevé les couettes des housses et plié les draps et empilé les oreillers et fait les sacs à dos. Elle avait récupéré les gourdes sur les tables de chevet et enfilé les élastiques à cheveux autour des brosses et vérifié que la carte de la région se trouvait bien dans sa pochette. Et elle avait cherché la carte.
Elle avait vidé intégralement son sac et ceux des trois autres. Elle les avait refait, regardé sous les meubles, dans le placard et, dans le doute, dans la salle de douche. Et Cho, qui était remontée entre temps, avait ouvert la porte et l’avait prise dans ses bras, lui avait murmuré que ce n’était pas grave, qu’elle devait être encore dans la voiture ou à l’accueil et avait cherché avec elle et elles n’avaient rien trouvé. Et Cho avait essuyé ses larmes qu’elle n’avait même pas senti couler et l’avait serrée contre elle, fort, caressant son dos, la maintenant dans le présent.
Elle lui avait répété, d’une voix douce et apaisante, que ce n’était rien, que ça arrivait, que ça faisait longtemps, qu’elle aussi avait perdu l’habitude des gestes quotidiens et des tracas sans conséquence, un jour elle avait oublié un dossier dans les toilettes et sa collègue avait dû le lui rapporter trois heures après et il avait pris l’eau, et elles en avaient ri ensemble parce que ça changeait de l’époque où ces dossiers contenaient la vie des gens entre leurs lignes dactylographiées. Elle respira un peu mieux après ça, et les jeunes sorcières firent un accroc par l’office du tourisme en sortant. Parvati prit le volant tandis que Marietta se blottissait à l’arrière, appelait son père pour lui demander de lui lister à nouveau tous les lieux qu’il leur avait conseillé avant leur départ.
« De toute façon, Santurtzi n’est pas si loin, et elle est indiquée sur cette carte aussi » dit Lavande, toute à son rôle de copilote.
Sous les traits silencieux de ses crayons de couleur, apparurent l’autoroute, les arbres, les maisons, les premiers membres du fleuve entrelacés avec les ruelles, l’embouchure et les grues du port. Les barques rouges, vertes et bleues se mêlaient aux reflets des bâtiments de pierre blanche, couleurs qui se troublaient quand un bateau passait pour se garer, ou quand les mains de la brune frottaient contre les pages du carnet à dessin. Ses paumes étaient un arc-en-ciel délavé.
La plage bordait les quais.
– Est-ce qu’il y a des endroits plus calmes ? demanda Parvati. Moins…. bétonnés ?
– On dirait qu’il y a un parc près de… Ondarroa ? Et des plages de sable à côté. Si je comprends bien.
Lavande lui tendit la carte, qu’elle vérifie avec ses quelques mots d’espagnol. Elle hocha la tête. Elles reprirent la route. Cho lui lança un regard qu’elle ne tenta pas de déchiffrer. Elle dessina sans rien dire.
Parvati se gara. Elles achetèrent un pique-nique dans une échoppe du village, traversèrent le parc, rencontrant des touristes anglophones qui leur demandèrent de les prendre en photo et il y eut un instant de flottement, Lavande et Cho regardant l’appareil avec circonspection, elle n’osant pas s’avancer, avant que Parvati prenne une fois de plus les choses en mains et appuie sur le déclencheur. Le flash sortit, elles reprirent leur chemin.
Les touristes s’empilaient sur la plage, le sable disparaissant sous les serviettes et les parasols – forcément, un début août. Mais un sentier de marche quittait les dunes pour grimper le long des falaises, qu’elles attaquèrent une fois leurs baskets enfilées.
Elles avaient du sable plein les chaussures au moment où elles atteignirent le pont : elles les retirèrent en admirant la vue, les arbres qui bordaient l’Atlantique, les éclats du soleil. Des bouées jaunes ondulaient doucement avec le courant, traçant une ligne de funambule jusqu’à un rocher solitaire, au loin. Il perçait l’étendue paisible, ses courbes arrondies accueillant les mouettes et la mousse, surveillant les voiliers qui dansaient autour de lui.
– C’est magnifique, dit l’une d’elles, mais le paysage hypnotisait trop Marietta pour qu’elle ne distingue la voix.
Elle les sentit à peine se remettre à bouger : elle resta là, debout face au vent qui valsait avec sa robe longue, un début de rougeur sur le décolleté, absorbée.
Cho se plaça devant elle, parce que c’était toujours elle.
– Ça va ?
– Ça me fait penser à Azkaban.
Son amie resta silencieuse un temps.
– Ça fait combien de temps que tu as ces idées en tête ?
– Rien, c’est stupide.
– Marietta.
Un coup d’œil lui indiqua que Lavande et Parvati étaient trop loin pour entendre.
– Depuis ce matin, laissa-t-elle échapper dans un souffle. Enfin depuis le 2 mai, mais c’est pire depuis ce matin.
– Mais… Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– J’ai perdu la carte.
Cho vacilla.
– Et ? La carte te fait penser à Azkaban ?
– La carte était… le signe que j’étais utile, répondit-elle d’une traite, arrachant le pansement d’un coup sec, triturant ses doigts. Je vous ai proposé ce voyage, j’ai tout organisé, j’ai repéré les lieux qu’on pourrait voir parce que vous ne connaissez pas la région, et j’ai perdu la carte. A quoi je sers comme guide ? En plus, on a fini par ne pas suivre mon idée pour aujourd’hui.
– Tu as fait un planning pour chaque jour du road-trip ?
– Avec un code couleur et des niveaux d’importance. Il était au dos.
Son amie resta silencieuse, encore. Elle baissa les yeux pour ne pas avoir à soutenir son regard inquiet.
– Je n’ai pas servi à grand-chose pendant la guerre, alors je pouvais au moins servir à quelque chose ici, bafouilla-t-elle.
– Mais quel est le rapport ? demanda-t-elle doucement.
– Vous vous êtes toutes battues, moi pas. Vous avez besoin de vous en remettre, et je me disais que ça pouvait vous permettre de souffler un peu…
– Bien sûr que ça nous permet de souffler, l’arrêta Cho. J’ai l’impression de mieux respirer depuis qu’on est parties. Parfois, ma baguette me manque, mais parfois je repense à tous les sorts que j’ai dû lancer l’année passée, et je suis ravie de l’avoir laissée à la maison. Mais ça ne veut pas dire que ça ne peut pas t’aider, toi aussi. Tu n’as pas besoin de tout porter toute seule, tu as vécu la guerre, toi aussi.
– J’ai passé trois ans à me cacher, ouais.
– Marietta. La guerre a été dure pour tout le monde, tu n’as pas à t’en vouloir pour ça. On était des gosses, on a fait ce qu’on a pu. Est-ce que tu penses que des gens comme Ombrage culpabilisent comme toi ?
– J’ai aucune envie de prendre exemple sur Ombrage.
– Moi, alors. Comment tu trouves que j’ai géré après la mort de Cédric ?
– Tu as passé quelques mois à faire ton deuil, et ensuite tu t’es engagée dans l’A.D. Ton réflexe a été de te battre pour que ça n’arrive à personne d’autres. Moi… non.
Un temps. Elle vit son amie de toujours pincer les lèvres, se perdant dans sa réflexion. Elle se refusa d’imaginer ce qui pouvait tourner dans sa tête à cet instant. La sienne était déjà trop pleine des souvenirs, de la rancœur qu’elle avait reçu toute la fin de sa scolarité comme des multiples cosmétiques qui n’avaient eu quasiment aucun effet. Les cicatrices étaient encore un peu visible, si elle se regardait d’assez près dans un miroir. Ce qu’elle évitait de faire en général ; de trop nombreuses marques s’étaient jointes à elles.
Longtemps, elle n’avait survécu que grâce au maquillage moldu. Les boutons n’étaient partis que quand elle avait été employée au Ministère et qu’elle avait eu accès à la plus grande bibliothèque de contre-sorts du pays. Il lui avait encore fallu l’aide d’une étudiante en runes pour le lancer, et d’une en médecine pour réaliser les potions qui soigneraient sa peau, après ce carnage.
Et toutes les cicatrices ne sont pas visibles, pensa-t-elle, alors que la figure floue de Shacklebolt surgissait dans son esprit, à côté de celle d’Ombrage, de Fudge, de Dumbledore, et que les sons étaient coupés. La brume n’avait pas quitté sa mémoire depuis sa sixième année, malgré la psychomagie. Autre preuve de l’impuissance des sortilèges à masquer ses erreurs.
– Quel rapport entre tout ça et Azkaban ? reprit sa voisine.
– Ma mère travaillait au Ministère à l’époque. Au département de régulation du réseau de Cheminettes. Elle s’occupait des communications venant et sortant de Poudlard, entre autres.
– Je sais.
– Ombrage s’en occupait aussi. Elle était basiquement sa collègue, avant qu’elle ne devienne prof’. Elle croyait aussi que Voldemort était mort et m’avait interdit de faire quoi que ce soit qui me ferait remarquer, ou qui aurait un lien avec Potter. Mais je me suis quand même inscrite à l’A.D.
– On apprenait juste à se défendre, c’est pas comme si on s’attendait à partir en rébellion, au début, fit Cho, nostalgique.
– Ombrage faisait tout le temps des allusions aux jobs de mes parents. Disant que ce serait si dommage qu’ils les perdent. Et que les traîtres finissaient toujours en prison. Black était encore recherché en plus. Je me suis souvent demandée ce qu’il fallait faire exactement, pour finir là-bas.
Des mouettes s’envolèrent en une nuée de plumes mouillées, crevèrent la surface translucide pour gober des poissons.
– Tu n’aurais pas fini là-bas. Tes parents non plus, quoi qu’en ai dit Ombrage.
– Je sais que c’est pas rationnel.
– On devrait bouger. Les autres doivent être super loin.
Les autres les avaient attendues quelques mètres plus loin. Cho proposa un jeu en marchant, essayant de son mieux de garder la conversation légère, et de garder son amie dans la conversation. Elles s’assirent devant un point de vue pour le repas, et Marietta regarda le ciel plutôt que la mer. Les sacs furent plus légers lorsqu’elles repartirent et le pas aussi. Le sentier débutait sa descente et les membres commençaient à tirer alors elles avançaient plus vite, entraînées par leur hâte et la beauté de l’atmosphère.
Elles débouchèrent sur une petite crique déserte. Leurs affaires atterrirent à l’ombre d’un arbre.
– Qui re-veut de la crème solaire ? cria Parvati.
– Les sorts étaient quand même plus pratiques pour ça, dit Lavande, finissant d’étaler la matière sur son visage avant de sauter à l’eau.
Cho la suivit rapidement, s’exclamant qu’elle était bonne. Marietta allait les suivre, mais s’arrêta en remarquant que leur quatrième membre restait sur le bord.
– Tu veux que je t’en étale sur le dos ? s’enquit-elle prudemment.
La brune opina.
– On dirait que tu vas avoir un coup de soleil, grimaça-t-elle, sentant la peau chaude sous ses doigts.
– Comment tu fais pour avoir autant d’énergie ? coupa Parvati.
– Comment ça ?
– Ça fait juste un an depuis la bataille de Poudlard. On n’a même pas fini de reconstruire tous les monuments et de compter les morts, et tu es là à distribuer des pansements à tour de bras. Il a fallu que ma nièce naisse il y a un mois et que tu viennes nous tirer par le bras avec ton idée de voyage pour que je bouge de mon lit.
– Padma est tombée enceinte ?
– On avance chacune comme on peut. Pour elle, c’était fonder une famille. Prendre soin de quelqu’un. Un enfant de plus dans le baby boom.
– J’ai juste envie d’aider.
– Tu sais, j’ai mis du temps à ne plus t’en vouloir.
Le silence était familier à ce stade, un ami aussi proche que les trois jeunes femmes qui l’accompagnaient.
– On avait enfin trouvé comment faire quelque chose de réellement utile avec l’A.D., quelque chose qui dépassait même certains adultes. On avait l’impression d’avancer et tu nous as forcés à tout arrêter.
– Pourquoi tu ne m’en veux plus, alors ?
– J’ai vu trop de gens avoir peur. Mes parents étaient rentrés en Inde, personne ne pouvaient me faire de chantage avec eux. Mais toi…
– Pourquoi tu n’es pas rentrée aussi ?
Elle haussa les épaules.
– Tu sais, Abelforth n’a jamais compris pourquoi sa cheminée n’avait pas été fermée. Des types du Ministère lui ont dit qu’ils avaient perdu le dossier.
– Ça se perd très facilement, un dossier. De vrais petites bêtes.
– Pourquoi ça sens le vécu ?
– C’est bon pour la crème ! On va dans l’eau ?
Elles coururent pour rejoindre leurs amies. L’eau froide la prit par surprise mais, le choc passé, elle s’y abandonna avec délectation. Son corps transpirant et lourd sembla revivre.
– Merci, lui dit Parvati, une heure plus tard, quand elle lui tendit sa serviette. C’était une belle promesse.