Une jolie photo de famille
Cet été là est orageux. Pesant malgré la brise qui se faufile sous son t-shirt. Étouffant même s’il se tient à l’ombre d’un pommier. La chaleur est intolérable et il prend sur lui pour ne pas craquer et tout envoyer valser. Il place un sourire fané sur ses lèvres et répond à sa mère qu’il viendra s’asseoir avec eux dans quelques minutes. Le temps de se reprendre. Le temps de calmer son rythme cardiaque et de retenir les mots qui menacent de tout dévaster. De détruire ce fabuleux portrait de famille qu’ils ont mis des années à peindre. D’enlever le cadre et d’écorcher le vernis de son enfance craquelé.
James a l’impression de marcher sur un fil invisible risquant de se rompre à chaque instant. Il sait qu’il n’est pas le seul mais chacun garde son rôle dans cette petite maison de poupée. Chacun de ses cousins, chacune de ses cousines, conserve sa place et pose pour la jolie photographie de famille.
Albus, c’est le cadet un peu trop calme, un peu trop sage. Il ne parle jamais pour ne rien dire. Il se contente d’observer. Il sera sûrement placé devant, les mains sur les genoux. Lily, c’est la petite dernière des Potter, la rebelle. Elle brave leurs parents d’un simple coup d’œil. Elle passe son temps à ne rien faire comme tout le monde. Pour prouver qu’elle est elle-même. Sûrement sur le côté du cadre avec un air blasé. Hugo ne sera sans doute pas loin, éclatant d’un rire surfait. Tout comme les sourires fatigués de Fred et de Dominique. Ils jouent tous. Ils jouent le jeu. La petite famille parfaite. Celle des héros. Personne ne parlera de Teddy qui s’est barré quelques mois plus tôt sans un adieu, ni de Victoire qui ne l’a pas supporté. Personne ne fera attention à Rose, ni à Lucy, ni à Louis. Personne ne fera attention à personne en fin de compte. Figés sur du papier glacé à tout jamais.
James est incapable de les rejoindre. Incapable de faire semblant. Il n’en a plus la force. Il a tout donné pour ressembler à James, à Sirius. Il a tout fait pour être parfait. Mais il ne l’est pas. Et il a décidé d’arrêter d’essayer.
Adieu la jolie photo de famille. Adieu les bels après-midi d’été. L’orage a tout dévasté. Tout emporté. Et le portrait posé dans l’entrée du Terrier, depuis longtemps craquelé, a fini par se briser.
A qui la faute ?
Il fait une liste et la plume grince sur le parchemin. Tout le monde dort, il est presque trois heures du matin. James ricane entre ses dents. Une liste. C’est plus un truc de sa mère en règle générale. Mais il faut croire qu’il en a besoin. Comme pour exorciser sa peur de partir. Une liste du peu d’affaires personnelles qu’il emporte. Il n’y a presque rien. Quelques caleçons, deux ou trois chemises, deux jeans. Sa baguette et son jeu de cartes. Presque rien. Une dizaine de lignes sur un parchemin. Quelque part, c’est aussi pour tirer un trait sur tout ce qu’il n’emporte pas. Tout ce qui ne se trouve pas sur cette fameuse liste. Tout le reste. Son rire s’étrangle dans sa gorge, il grogne une injure. Il pose sa plume, passe une main sur son front en sueur. La bougie éclaire son visage d’une lueur morne, fantomatique.
Peut-être qu’il vaut mieux qu’il parte comme ça. En plein milieu de la nuit. Comme un voleur. Finalement, s’il y réfléchit, c’est ce qu’il est. Un voleur d’identité. Il est James. Il est Sirius. Ou il a voulu l’être. Seulement, à vouloir ressembler aux autres, on finit par se perdre soi-même et ça, il l’a bien compris. C’est gravé dans sa chair et la colère gronde dans ses veines. A qui la faute ? Celle de la guerre ? Celle de ses parents qui n’ont jamais voulu voir qu’ils avaient créés un monstre ? A qui ? A qui la faute ? La sienne. Ouais, c’est la sienne. Il aurait dû… Quoi ? Qu’est-ce qu’il aurait dû faire exactement pour éloigner cette violence qui pulse dans chacune de ses artères ? Ne pas se laisser faire. Tromper le silence. Oublier l’existence même de son nom. Celui de ce grand-père mort bien avant sa naissance. Ce grand-père qu’il n’a jamais connu. Son père non plus d’ailleurs. Des fantômes. Des zombies. Des morts-vivants. Qu’est-ce qu’il aurait dû faire ? Renier son nom, s’en trouver un autre ? Qu’est-ce que ça aurait changé ? Rien. Rien du tout. Il serait toujours son fils. A lui, à Harry. Il serait toujours James Sirius Potter. Il reprend sa plume, la glisse entre ses doigts, esquisse une grimace. Il a fait sa liste. Et maintenant, il doit écrire une lettre. Une lettre d'adieu.
A qui la faute ?
— C’est la vôtre. C’est la tienne, papa.