« Comment je me sens ? Bonne question. Je crois bien que je n'y ai pas vraiment réfléchi ces derniers mois. Ce qui est étonnant vu le nombre d'heures que j'ai passées à réfléchir justement. Et c'est d'autant plus étrange que même maintenant que j'y pense, je ne peux pas vous répondre. Pas de manière claire et concise en tout cas. En même temps je suis ici pour parler vous me direz, pas besoin d'être synthétique.
-Exprimez-vous comme vous le désirez. L'important est d'être sincère.
-Être sincère... De l'expérience que j'en ai, la sincérité n'amène jamais rien de bon. Le mensonge non plus ceci dit. A croire que, quoiqu'on fasse, on se le reprendra toujours dans la tronche à un moment ou à un autre... Je crois que je me sens perdu. Comme si...comme si j'étais passé par tant de phases que je ne sais plus laquelle est la bonne. Comme si j'avais mis tant de masques et joué tant de rôles que je suis désormais incapable de retrouver mon vrai visage... Non arrêtez. Ne le dites pas. Ne me dites pas que pour trouver mon vrai visage, tout ce que j'ai à faire c'est d'enlever tous mes masques. Parce que j'ai essayé. J'ai essayé pendant longtemps. J'ai essayé de ne pas faire semblant en présence des autres, j'ai essayé de ne pas porter de masque. Mais je me suis vite rendu compte que c'était stupide comme idée. Parce qu'enlever un masque c'est facile, mais on ne sait pas combien on en a. En enlevant nos masques, on prend le risque de se tromper et de s'arracher la peau avec. Et une fois la chair à vif, que reste-t-il de nous ?
-Peut-être qu'il faut y aller par étape. Etudier chaque masque avec précision jusqu'à notre vrai visage, et une fois qu'on le reconnaît il suffit de ne plus y toucher, qu'en pensez-vous ?
-Vous y croyez, vous ? Qu'il y a un vrai nous-même qui existe là dessous ?
-Et vous, vous y croyez, non ? Vous avez dit que vous cherchiez votre vrai visage, c'est bien que vous devez croire en son existence...
-Qu'est-ce que ça change ? Les deux possibilités sont aussi logiques que stupides. L'une comme l'autre. Dans le premier cas, on a un vrai visage caché derrière les masques, mais alors il n'y a qu'un seul "moi" et on est piégé. La nature aurait fait en sorte que nous ne fassions que des choix prévisibles et calculables en fonction de notre vrai visage. Mais si la nature nous a créé immuable, pourquoi a-t-elle aussi créé les masques ? Ce n'est pas logique. Mais de l'autre côté, ça ne tient pas non plus : si on a autant de visages qu'on veut alors, dans ce cas, on devrait tous être différents. Pourtant, tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants, tous les vieillards semblent s'être passés le mots pour être similaires. Et ne venez pas me dire que c'est par mimétisme, conformisme ou je ne sais quoi. Ou pire ! ne venez pas me dire que c'est la faute de la société. L'Homme a créé la société, pas l'inverse.
-Elle continue de façonner tout les êtres humains qui la constitue, même s'ils l'ont créée en premier...
-Elle n'existe pas. Elle n'est qu'une excuse bonne pour ceux qui ne veulent pas réfléchir.
-Et vous, vous voulez réfléchir ?
-Comment pouvez-vous espérer m'analyser correctement si vous me posez de nouvelles questions alors que je n'ai pas encore finis de répondre à la première ?
-Excusez-moi, poursuivez.
-Vous voyez ? Vous aussi vous portez un masque. Celui de la politesse. Ne mentez pas, ça se lit dans vos yeux : Je vous ennuie et vous voulez me mettre à la porte. Mais vous ne le faites pas. Masque. Politesse... Le seul moyen d'échapper aux masques finalement, ça serait d'agir sans réfléchir. De laisser l'instinct animal reprendre le dessus. De vivre comme des bêtes féroces. Là on toucherait la sincérité. Les animaux sont dans le vrai. Pas nous.
-Et que feriez vous si vous écoutiez votre instinct ?
-Je me lèverais de ce canapé pour aller vous mettre une beigne, puis je sortirais de l'immeuble et j'y mettrais le feu je pense...
-Pourquoi ne le faites vous pas ?
-A votre avis ?
-Si une brebis est dérangée par la présence d'un loup, elle ne va pas aller lui mordre la patte pour le lui faire savoir. Elle sait très bien qu'elle y laisserait sa peau. C'est bien votre instinct que vous suivez. Votre instinct de survie.
-Très mauvaise analogie. Le loup est le prédateur naturel de la brebis, l'homme n'est pas prédateur de l'homme, le loup tuerait par faim ou par instinct, l'homme m'enfermerait au nom de la Justice – avec un grand "J" – la brebis mourrait de son erreur, pas moi. Ces deux exemples n'ont rien à voir.
-C'est le principe même de l'analogie, mettre en relation des situations pas forcément similaires et qui pourtant ont un point commun. Ici, l'instinct.
-Admettons.
-...
-...
-Vous avez dit que vous ne mourriez pas, contrairement à la brebis...
-La brebis n'aurait pas d'autre possibilité que de mourir en s'attaquant à un loup.
-Si vous mettiez le feu à cet immeuble et finissiez en prison...
-Je n'y mourrais pas. C'est une question de choix.
-Vous vous souvenez pourquoi vous devez me consulter?
-Oui.
-Et ?
-Je n'ai toujours pas finis de développer ma réponse.
-Très bien, très bien, poursuivez.
-Le problème que j'ai avec la sincérité...c'est le même problème que j'ai avec...tout. On peut construire et démonter n'importe quelle idée tellement facilement qu'au final il est impossible d'être réellement fixé. Et ceux qui parviennent à des conclusions définitives ne sont rien de plus que des personnes qui sont incapables de changer d'angle, de point de vue. En affirmant cela, par exemple, j'en fais moi-même partie...Plus tellement puisque je l'admets, mais tout de même un peu...
-Vous n'êtes donc sûr de rien ?
-Et de tout à la fois.
-Je ne suis pas certain de comprendre...
-Prenons un exemple : Les nés-moldus. On peut penser qu'ils ont parfaitement leur place dans le monde des sorciers. Ils ont des pouvoirs et ils peuvent se débrouiller aussi bien que des Sang-Purs. En plus de ça, il serait injuste de les priver d'un monde qui leur est accessible simplement parce qu'ils sont de naissance différente. Néanmoins, on peut aussi penser que les nés-moldus ne devraient pas faire partie de notre monde. Parce qu'en les mettant eux et leur famille au courant, alors nous prenons le risque d'être découvert un jour par les moldus. Parce qu'ils prennent des places dans les écoles, dans les entreprises, empêchant certains sorciers purs d'y accéder. Trouver vous cela juste que les nés-moldus aient les mêmes chances que les nés-sorciers alors que ces derniers n'ont pas l'option d'un autre monde qui les attend ? Vous voyez bien que les arguments des deux côtés se tiennent. A partir du moment où on cesse de croire qu'il y a une bonne morale et une mauvaise morale, qu'il y a d'un côté le bien et de l'autre le mal et qu'on arrête définitivement de se demander si une idée est vraie ou fausse, alors, le champs des possibilités s'ouvre considérablement.
-Pourtant vous avez dit que les animaux étaient vrais tout à l'heure, vous devez donc croire un minimum ...
-Vous notez vraiment ce que je dis ? Je croyais que vous dessiniez... Je crois que j'aurais préféré que vous dessiniez d'ailleurs... Vous êtes bon en dessin ?
-Malheureusement, non.
-Ah. Continuez d'écrire dans ce cas.
-Merci.
-Les animaux sont vrais. Oui je l'ai peut-être affirmé, mais comme je viens de vous le dire on peut tout penser et tout argumenter. Toutes les possibilités, tous les contraires...
-Donc les animaux sont vrais et faux à la fois?
-On peut soutenir les deux. Ainsi que l'infinité de possibilités qui les sépare. Mais aucune n'est vraie ou fausse. Elles sont. C'est tout.
-Vous réfléchissez souvent à ces choses-là ?
-Je ne sais plus.
-Vous ne voulez pas me dire comment vous vous sentez maintenant ?
-Je vois mal comment je pourrais.
-En faisant abstraction de votre précédente réflexion?
-Une idée, c'est dur à faire taire.
-Vous voulez mon avis ?
-Sur quoi ?
-Sur vous.
-Allez-y. Au moins j'aurais pas l'impression de vous payer pour rien alors que je pourrais très bien me parler tout seul.
-Je pense que vous détournez le sujet. Que vous parlez de tout ça pour ne pas parler de vous. Peut-être même que vous pensez à tout ça pour ne pas penser à vous. C'est plus simple de blâmer l'hypocrisie humaine et la complexité de la pensée, des choix et de la morale plutôt que de se dévoiler. Mais je pense que revenir à vous vous ferez du bien. Oubliez les autres pour l'instant. »