Les souhaits sont étranges... On pense qu'on peut souhaiter n'importe quoi uniquement parce qu'on s'imagine qu'ils ne se réaliseront jamais. Mais vous savez ce qui est le plus étrange ? C'est quand ils se réalisent et qu'au lieu d'accepter l'idée que c'est arrivé grâce à nous, on cherche une explication logique à ce qui nous arrive, accusant le hasard plutôt que reconnaître notre implication. Peut-être par honte de ce que l'on a pu souhaiter ou bien parce que le simple fait d'avoir ce que l'on souhaite nous donne l'impression d'être favoriser par la vie et ce qui devrait être une joie est transformer en plainte, un coup du sort s'acharnant encore sur nous... Je ne suis pas si vieille mais je pense avoir bien assimilé cette idée. Je l'ai vu un nombre incalculable de fois, cette expression de surprise et de terreur face à la réalisation d'un souhait, quel qu'il soit. Les gens ont peur d'eux-mêmes, parfois plus que des autres. C'est amusant quand on y réfléchi. Dans toutes les grandes histoires, l'ennemi le plus puissant du héros, celui qu'il doit battre pour accomplir sa quête, c'est lui-même. Et il n'y a pas plus vrai dans la réalité. Vous savez, je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si je n'avais pas fait ce vœu. Peut-être serions-nous sagement restés dans cette colline isolée, loin de l'agitation du collège et de la mer, loin de nos soucis divers, loin de nos peines et du chaos. Mais je ne peux pas me dire que je suis la seule responsable... Vous voyez ! Ce qui fut une expérience merveilleuse m'apparaît parfois comme une erreur monstrueuse. Après tout, rien de tout cela n'aurai dû exister ! N'est-ce pas ? C'est ce qu'elle me répète en boucle, le peu de fois où nous parlons et peut-être qu'un jour j'arriverai à m'en convaincre. Pourtant je sais que c'est le destin qui l'a voulu. Comment expliquer autrement que ce jour-là, ma grande Isabelle nous ai offerte à chacune un pendentif en nous racontant une histoire incroyable :
« J'ai à peine passé la porte que le vendeur m'a accueilli avec le sourire comme si on était grave pote et de fil en aiguille il m'a mené vers ces quatre merveilles et me les a proposés, il me les a quasiment offerts ! »
« Et t'a dit oui ?! »
« Je ne sais même pas ce qui m'a pris ! Sortie de la boutique j'ai voulu les lui rendre mais il m'a répondu qu'il ne voyait pas de quoi je parlais et m'a fait sortir. Et ce foutu corbeau blanc qui se foutait de moi... »
C'est incroyable... Mais peut-être devrai-je vous raconter tout ceci depuis le début ? Oui je vais faire ça.
PDV EXTERNE :
Le soleil se lève. Il sent le doux parfum de la rosée pénétrer ses narines. Il sent d'ici le goût du nectar floral que butinent les abeilles. Il ouvre péniblement la bouche et aspire malgré la souffrance qui comprime sa poitrine. Une rafale de vent balaie la vallée paisible pour douze heures de désolation mortelle. Désormais, chaque élément terrestre de cet ancien petit coin de paradis, repose dans son estomac bouillants d'acide. La fatigue, l'épuisement le quitte. Il peut enfin ouvrir les yeux... Sur le désastre causé par sa faim, il pose le regard. Il sourit tristement.
Encore un dommage collatéral. Se dit-il.
Un corbeau blanc se pose sur sa main, ils se regardent. Ils se détaillent. Ayant repris des forces, il réussi à ouvrir la bouche pour lui adresser quelques mots ailés. Le corbeau, après avoir entendu ces paroles, s'envole vers sa prochaine destination.
PDV ISABELLE :
[Hein ? ]
[Oui, je fais ma petite apparition.]
[Mais... Tu...]
[Je sais ce que j'ai dit. Mais pour Leila je... Bref.]
[Est-ce que vous pourriez faire semblant de vous apprécier encore juste le temps du récit ?]
[...]
[...]
[De toute façon vous n'avez pas le choix !]
[Qu'est-ce que tu fout là ?]
[Bah moi aussi j'ai l'droit d'participer !]
[Oui mais...]
[Alors chut !]
Je marche dans les rues de ma petite enfance. Cette ville, je ne l'ai que très peu connu. Elle est à la fois un mystère et une vérité...
Alors que ma mère se dirige vers une supérette, je repère une boutique de bijoux. Je m'approche. Dans la vitrine, je peux voir quatre colliers... Non ! Des pendentifs avec une petite pierre précieuse au bout. Un saphir. Une émeraude. Une ambre. Un rubis. C'est vraiment magnifique ! D'ailleurs, un corbeau blanc a l'air d'être de mon avis. Lui aussi est superbe d'ailleurs.
Prise d'une impulsion, j'entre dans la boutique. Mais à peine ai-je demandé le prix des pendentifs que le vendeur me propose de mes les offrir. Surprise, voir choquée, je ne suis plus tellement le fil des évènements. Je sors la monnaie d'un air absent et récupère les bijoux. En sortant de la boutique dans un état second, ma mère me fait signe de l'autre bout de la rue. Et sur le rebord de la vitrine, le corbeau est toujours là et me fixe.
Décidément, cette journée est vraiment bizarre ! Je dirais même... Anormale !
PDV ANASTASIA :
L'été débute, le soleil brille fortement et je brûle sous cette chaleur mais je n'en suis pas moins au comble de la joie d'être dans cette voiture me menant vers cette petite maison dans les collines de Ceyreste. La mère d'Isabelle part pour le week-end et elle nous a invité à le passer chez elle. J'ai menti à mes parents pour qu'ils acceptent. Tout est compliqué pour moi depuis l'école primaire et début collège c'est pourquoi alors que je finis ma cinquième, j'ai enfin des amies. Isabelle l'a été durant ma sixième mais à la suite d'une mauvaise blague à laquelle elle a ri contre moi, je l'ai accusé d'avoir insulté ma sœur et elle fut réprimandé devant tout le monde. Nous nous sommes depuis haies et elle a participé au harcèlement que sa meilleure amie orchestrait contre moi. J'ai rencontré Leila un peu avant l'été signant la fin de ma sixième. Une sombre histoire de collier perdu et nous étions devenues bonnes amies. Et puis nous nous sommes retrouvés en cinquième, j'ai fait la connaissance d'Émile, un petit ange démoniaque, capable de vous arracher le dos en une frappe. Au moins elle me replaçait ma colonne vertébrale tous les matins. C'est par leur intervention qu'Isabelle et moi avons recommencé à nous parler. Et nous voici dans sa petite maison un peu trop ouverte à mon goût. Sa maison semble être une véranda à elle toute seule et j'avoue ne pas être très rassurée surtout en voyant le verrou peu fiable qui ne cesse de bouger. Mais qu'importe, je suis avec mes amies et puis Leila se moquera de moi si je montre que j'ai la trouille.
-Anya ! Tu viens ?
Je sursaute avant de les rejoindre sur le canapé déplié pour l'occasion. Nous dormons à deux ou trois dans ce canapé et la quatrième dors sur le petit retour improvisé et bien trop moelleux recouvert d'un plaid polaire très doux. Aucunement besoin de préciser qu'il s'agit de mon lit, je me le suis approprié !
Nous rions, une partie de la soirée est consacré à parler de notre manga du moment, celui qu'Émilie nous passe à tour de rôle : Negima. Je suis amoureuse de Kotaro, c'est mon loup-garou Porc épique préféré !
Après avoir mangé une pizza toute faite de chez Carrefour, la voilà qui nous offre les pendentifs en nous racontant sa drôle d'histoire et bien entendu, comme toute adolescente de douze ans normalement constituée, nous rions, peu convaincu par son récit. C'est alors que pour échapper à nos moqueries qui ne se veulent en aucun cas méchantes, elle dit :
-Est-ce que ça vous plaît au moins ?
Nous acquiesçons et nous cessons de la taquiner. En jetant un regard au dehors, je peux voir une première étoile filante et je pousse un petit cri de joie. Elle me suivent alors que je me précipite à la fenêtre pour mieux voir ce spectacle. Nous demeurons un instant silencieuses, subjuguées par tant de beauté et je leur demande finalement :
-Si vous pouviez choisir un univers dans lequel vivre, ce serait lequel ?
-Negima ! Direct !
-Graaave ! Ou alors View Finder !
Je grimace à l'évocation de ce manga qui parle de viol et presque de syndrome de Stockholm... Isabelle nous donne le nom de Vampire Knight, je crois, tandis que je lance le plus naturellement du monde :
-Harry Potter ! Comme ça je pourrais, si possible, détruire les Horcruxes et empêcher tous mes perso préférés de mourir !
-Euh... J'ai jamais regardé les Harry Potter !
-Quoi ? Tu les a au moins lu alors ?
-Non...
Je mime une crise cardiaque ce qui leur arrache un rire quand bien même je sois profondément choquée ! Après Narnia c'est bien le premier film que j'ai vu. Ah... Quel manque de culture !
-Si je pouvais aller à Poudlard, je serai super heureuse.
-Mais c'est impossible. Et puis de toute façon, tu serais recalée.
-Je pense plutôt que vu comme je suis flemmarde, je louperai le train.
Alors que nous rions et que je la charrie, je jette un œil distrait à ma montre qui trône à mon poignet gauche. L'aiguille des secondes défile et plus elle approche de la fin de son tour et plus ma tête se met à tourner. Lorsqu'elle atteint sa cible, j'ai comme la désagréable sensation de tomber dans un vide sans fin.