La jolie rousse appliqua un peu de rouge sur ses lèvres. Elle remit en place une mèche dans son headband fleuri et souffla sur le miroir. De son doigt, elle traça un J avec de belles boucles dans la buée. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'être nerveuse. Très nerveuse. Son cœur se serra à la pensée de la soirée qui l'attendait. Elle n'avait aucune envie de rencontrer le fiancé de sa sœur. D'autant plus que Tunie avait bien insisté pour qu'elle ne parle absolument pas de magie. Pétunia lui avait même fait l'honneur de dresser une liste exhaustive des sujets tabous à ne pas aborder : la magie, Poudlard, les Moldus, la magie, son aventure avec le bassiste d'un boys band, la voie 9 3/4, les hiboux, le Quidditch, la magie, Dumbledore, la guerre, la magie.
Bien sûr, ce cher Vernon avait été informé de sa situation. Mais Pétunia estimait qu'il était amplement suffisant qu'il sache la vérité. Selon elle, il ne fallait pas trop en rajouter. Inutile de lui donner plus de précisions sur son univers. Pas la peine de le confronter. Ce pauvre homme avait déjà eu assez à encaisser. Lily avait deviné dans ces mots ce que son ainée ne lui disait pas. Sa peur d'être abandonnée. Rejetée. Elle ne supporterait pas de perdre cet homme à cause des frasques de sa benjamine. Elle l'aimait. Alors pour sa sœur, Lily avait promis. Promis de ne pas évoquer son monde. Ce qui la faisait vibrer. Promis de ne pas se mettre en avant. De ne pas lui voler la vedette.
Heureusement que James serait là. A cette pensée, elle sentit la pression s'alléger un peu. Avec son assurance et son charisme, il parviendrait peut-être à faire de cette soirée un moment agréable. Elle réajusta sa petite robe noire et se sentit prête à affronter la situation. Elle descendit les escaliers et se laissa guider par les voix jusqu'au salon. Celle grave de son père, celle mélodieuse de sa mère et... un ton qu'elle ne connaissait pas encore. Précipité. Autoritaire. Mécanique. Le fiancé était donc déjà arrivé.
Avec un sourire factice sur les lèvres, elle entra dans la pièce. Elle s'arrêta un instant en découvrant Vernon. Grand. Bien bâti. Des cheveux bruns épais. Le visage rond. Bien sûr, elle l'avait déjà vu en photo mais là, à côté du canapé, il semblait si... ordinaire. Elle ne comprenait pas ce que Tunie pouvait lui trouver. Elle repensa à l'amour de jeunesse de sa sœur. Un bassiste tatoué au sourire canaille. Romance qui avait débuté sous ses yeux lors d'un concert d'été. Ce Dursley était à des années-lumière.
La tirant de ses pensées, sa mère s'exclama :
- Oh ma chérie, tu es ravissante !
Elle se reprit et s'approcha de son futur beau-frère qui l'observait avec un air crispé. Il se baissa pour lui faire une bise maladroite. Son eau de Cologne agressa ses narines.
- Chère Lily, je suis enchanté.
***
- Vernon, c'est un plaisir.
Ils s'observèrent quelques secondes, gênés. Il la questionna finalement :
- Est-ce qu'on attend encore ton ami John ?
Elle fronça les sourcils un instant, décontenancée.
- John ? ... ah tu veux dire... James ?
- Heu... oui, oui, James. Il doit venir ce soir, non ?
- Il nous retrouve directement au restaurant.
- Très bien. Parfait. Allons-y donc, reprit-il en bombant le torse.
Il s'inclina cérémonieusement devant la maîtresse de maison en lui prenant la main :
- Madame Evans, c'était un plaisir comme toujours.
Lily l'observa, interloquée. Qui faisait encore ce genre de courbette ? C'était peut-être plus qu'un simple Moldu... probablement un sorcier venu du passé ayant utilisé un retourneur de temps. Elle faillit éclater de rire en croisant les yeux de son père. Heureusement, elle réussit à se reprendre de justesse en s'abîmant dans la contemplation des franges du tapis. Une fine main entourée de quelques bracelets dorés se posa sur son bras.
- Tout va bien Lily ? lui demanda sa sœur les lèvres pincées.
Elle était inquiète. Évidemment. Lily tenta de la rassurer en murmurant :
- Oui, oui. Il est très... très... Je le trouve très... grand.
Cette réponse sembla la satisfaire. Son visage prit une douce expression alors qu'elle regardait son fiancé prendre congé. Son ainée était vraiment amoureuse. Cela lui allait bien. Ses cheveux blonds relevés et une robe rose pâle bouffante complétaient le tableau. Lily lui prit la main en ajoutant :
- Tunie, tu es magnifique. La plus belle c'est... toi !
- Non, la plus belle c'est... toi ! reprit-elle sur le même ton.
- Non, non, non, la plus belle c'est... toi !
Comme elles adoraient se répéter cette formule en boucle lorsqu'elles étaient plus jeunes. Ces simples mots avaient le pouvoir de matérialiser leur enfance... leur complicité, leurs rires, les secrets échangés sur l'oreiller, leurs bêtises. Vernon brisa leur lien en passant un bras possessif autour de la taille menue de Pétunia. Lily se détourna, embarrassée.
- Mesdemoiselles. Votre carrosse est avancé, annonça-t-il en secouant ses clefs.
Elles chaussèrent leurs escarpins et le suivirent à l'extérieur. Il semblait très fier de sa voiture aux sièges en cuir et à la capote amovible. Il leur débita toute une série d'explications techniques auxquelles elle ne comprit quasiment rien durant tout le trajet. Pétunia semblait boire ses paroles et acquiesçait dès qu'il tournait la tête vers elle.
Ils aperçurent enfin "Le Gai Pinson" et Vernon réussit à se garer juste devant l'entrée. Bien sûr, aucun créneau ne résistait au conducteur. James les attendait sur le trottoir. Il était absolument craquant dans ses habits de Moldu : un pantalon noir et une chemise blanche. Les cheveux en bataille. Le sourire en coin. Elle dut se retenir pour ne pas courir dans ses bras. Il faut dire qu'elle avait très envie d'échapper à l'interminable monologue mécanique qu'elle supportait depuis le départ.
Une fois face à lui, James la regarda intensément. Puis, il embrassa chastement sa joue en lui tendant un bouquet de tournesols. Tout contre sa nuque, il chuchota :
- Toi mon soleil.
***
Il n'y avait rien à ajouter. Il se retourna ensuite vers Pétunia en la complimentant sur sa tenue. Celle-ci rosit de plaisir. Après une poignée de main virile, Vernon entraîna James vers son automobile. Lily perçut sur le visage de son bien-aimé une supplique silencieuse alors elle lui adressa une grimace d'encouragement. C'était reparti pour l'inventaire complet des compétences exceptionnelles du véhicule.
Impatiente d'avoir son avis, Pétunia profita de l'absence de son promis pour l'interroger :
- Alors ? Comment le trouves-tu ?
- Il est... heu...
- Tellement déterminé, coupa sa sœur sans attendre sa réponse. Il a une vision très claire de son avenir. Une vraie ambition. Je suis certaine qu'il ira loin. Et enfin un homme qui n'a pas peur de l'engagement. Sa demande en mariage était tellement... tu aurais dû être là. Les parents étaient ravis. En plus, il veut une famille stable. Solide...
Alors que Pétunia poursuivait sur sa lancée, Lily commença à entendre des bribes de la conversation de leurs compagnons. Le ton montait. Dans le brouhaha, elle perçut distinctement les mots "balai" et "Quidditch". Elle gémit. Calamité. Ils n'étaient pas encore entrés dans le restaurant que déjà un des sujets interdits avait été abordé. Elle trottina vers eux aussi vite qu'elle put sur ses hauts talons. Alors qu'elle s'approchait, elle entendit James assurer :
- Rien ne vaut un balai, la sensation de vitesse est grisante. On se sent bien plus libre que dans une de ces... voitures.
Vernon avait le teint rouge et les sourcils froncés. Manifestement, il n'appréciait guère qu'un quasi inconnu remette en question les performances de sa chère et tendre automobile. Lily glissa son bras sous celui de James et suggéra, enjôleuse :
- Je suis sûre que vous devez être affamés. De grands gaillards comme vous...
Comme aucun des deux ne bougeait, elle crut que la situation allait s'envenimer. Mais finalement, James se tourna vers elle en prenant sur lui :
- Tu as raison. Je suis affamé.
Avec reconnaissance, elle lui saisit la main et l'entraîna à l'intérieur du "Gai Pinson". Poussant un rideau sombre, ils arrivèrent dans une ambiance tamisée. Bercés par la douce mélodie d'un piano et la sensualité des odeurs. C'était le parfum du raffinement. Clairement pas le genre d'établissement qu'ils avaient l'habitude de fréquenter. Pas difficile de deviner qui avait proposé cette adresse. Tel un poisson dans l'eau, Vernon affecta le serveur d'un discours ampoulé jusqu'à leur table recouverte d'une nappe blanche.
Lily repensa avec regret à l'ambiance chaleureuse des Trois Balais. Oui, la minuscule auberge était généralement bondée, bruyante et enfumée. Mais elle aurait tout donné pour pouvoir tremper ses lèvres dans la mousse caramélisée d'une Bièraubeurre. Savourer cette chaleur sucrée réconfortante. Ici, tout était froid. Tendu. Personne n'osait parler. Elle se plongea dans le menu aux prix exorbitants. Peut-être qu'elle se laisserait tenter par le Saumon d'Ecosse Fumé au Bois de Hêtre avec sa crème acidulée au citron vert. Ou alors l'écrevisse marinée aux épices orientales et sa mousse de chou-fleur.
Vernon se racla la gorge pour attirer leur attention. Puis, il interrogea finalement James d'un ton qu'il espérait certainement badin mais qui sonna plutôt agressif :
- Alors... Potter, qu'est-ce que tu fais dans la vie ?
D'un coup, l'ambiance passa de froide à glaciale. Lily reconnaissait cet arôme si particulier... celui du fiasco assuré.