Jean-Jacques Goldman a dit de cette chanson qu'elle avait un tempo joyeux pour un texte grave. C'est assurément vrai.
Je n'ai pas un grand intérêt pour Pansy, mais c'est un personnage bien plus facile à manipuler que d'autres Serpentards. Cette chanson parle du recul, de l'échec qu'on ressent quand on revient sur ses pas et qu'on voir ses mauvaises décisions... Mais au final, aurions-nous pu réellement choisir autrement à ce moment-là ?
Je lève mon verre à mes loupés, mes ratés, ces choix que j’aurais dû faire et que je n’ai pas faits. Ces choix que j’ai faits et que je n’aurais pas dû faire. Je n’aurais pas dû m’enliser dans la guéguerre Gryffo-Serpentard. Ou Serpo-Gryffondor. Comme il vous plaira. Je n’aurai pas dû me prendre la tête avec Granger dès le début de la première année. Mes parents, que je n’ai jamais assez écoutés, m’avaient bien conseillé de rester à part, de ne pas m’immiscer dans des affaires qui ne me concernaient pas. Ils sont les vrais soleils de ma vie, et pourtant je n’ai su que trop tard à quel point ils avaient raison. Ma famille n’a jamais été particulièrement alliée à Voldemort. Tout juste en relation avec les Malefoy par des intérêts communs. Et moi j’ai sauté à pied joint dans le cercle vicieux, trop jeune pour comprendre, pas assez jeune pour savoir me retirer du jeu, j’ai vu les chemins qui me sont passés à côté et qui m’auraient permis de m’en sortir sans trop de dommage. J’ai manqué des bateaux avec lesquels j’aurais pu fuir, j’ai passé trop de mauvais sommeils à me poser des questions qui n’étaient pas les bonnes, et maintenant je peux imaginer toutes les versions de Pansy que je n’ai pas été, et que j’aurais mieux fait d’être. Mes premières prises de conscience après la guerre m’ont donné envie de vomir, ou bien était-ce déjà le vin.
Je me ressers un verre, que je lève à nouveau aux malentendus que je n’ai pas compris, aux mensonges que j’ai trop souvent faits, à mes silences quand j’aurais dû hurler. Merlin qu’il est facile de passer pour une garce frigide. Il suffit de ne pas écouter son instinct, de fermer son cœur et de ne compatir à rien. Même quand tout en vous se révulse, vous finissez par prendre l’habitude de cette sensation. Et vous croyez partager des moments avec vos camarades, quand chacun d’entre eux fait comme vous et ment au monde. Vous apprenez à dire des phrases trop vite, sans les penser, tandis que vos lèvres se ferment sur celles que vous n’oserez pas. Vous construisez une tour d’ivoire, vous regardez le monde de haut sans comprendre que vous devenez de plus en plus seule. Et vous finissez cloitrée dans un moule, que vous avez fabriqué couche après couche par la haine, la peur et le mensonge. Tellement plus faciles que le pardon et la compréhension. Être le méchant, c’est facile, c’est être fainéant, ne pas vouloir faire d’effort de réflexion ou d’action. C’est être passif, laisser passer devant vous des actes ou des mots sans chercher à les empêcher. Ma vie est une succession d’actes manqués, dont chacun aurait pu être un palier vers un peu de chaleur et d’humanité.
Je lève un nouveau verre à toutes ces années perdues à tenter de ressembler à un idéal qui n’était pas le bon, à suivre des modèles qui n’étaient pas vrais. Engluée dans des idées que j’avais faites miennes parce qu’il était facile de s’y conformer, parce qu’il me semblait qu’elles étaient en adéquation avec ma condition, parce que j’étais une Parkinson et que ma lignée remontait au moins mille années en arrière. Parce que j’avais oublié qu’être une Parkinson, c’était aussi être responsable des êtres humains qui travaillent dans les entreprises familiales et qu’ils ne sont pas moins honorables que ma famille quel que soit leur sang. J’ai érigé des murs, que je n’ai pas su briser ensuite, entre ce qu’on avait essayé de m’apprendre et les illusions qui miroitaient devant moi. Il y avait ce que j’aurais mieux fait d’ignorer, les murmures insidieux, les promesses ronflantes de pouvoir et les gestes d’invite à peine esquissés. Il y avait aussi tout ce que je n’ai pas vu, pourtant tout près, juste à côté de moi, ceux qui m’ouvraient les bras sans demander en retour, qui auraient fait demi-tour pour venir me chercher sur une simple demande, un simple geste de ma part. Il est si facile de faire la fière plutôt que de demander pardon, surtout quand je n’avais même pas conscience de tout ça, que les finalités m’échappaient complètement, enfant que j’étais.
Encore une fois, je lève mon verre. Mon esprit embrumé ne sait même plus à quoi porter un toast. Peut-être au monde, ce monde dont je me suis éloignée, isolée soigneusement, calfeutrant toute brèche. Je suis lucide sur ce que j’ai fait, quand je n’ai pas encore trop de vin dans le sang. J’ai fait du mal, des douleurs qui ne me touchent plus. Mais c’est encore trop difficile de chercher le pardon. J’ai peur de la pitié, de la haine, de la colère, de la compassion. Entre les murs de cet appartement, je suis loin de toutes mes erreurs. A l’extérieur, la partition se déroule, jouant des notes, des solos que je n’aurai pas inventés. Et pourtant, je n’ai pas passé mon temps à me cacher après la guerre. Je suis titulaire d’un doctorat sorcier en Arithmancie depuis trois mois déjà, et je suis spécialisée dans les calculs d’optimisation des sortilèges magiques comme ceux qui protègent le Chemin de Traverse. J’ai d’ailleurs été applaudie pour mes recherches là-dessus, et le Ministère aurait voulu que je travaille officiellement sur la mise en pratique de mes théories. Mais il est hors de question que je me mêle au monde. Les différents courriers traînent sur mon bureau, sans que je n’aie jamais pris la peine d’y répondre. Il y a même un message de félicitations de Granger dans le tas, elle se dit impressionnée par ma thèse. Si elle savait que l’Arithmancie, matière complexe et ô combien délaissée par les Sorciers, n’était pour moi qu’une fuite… Je me suis évadée dans une branche où personne ou presque ne peut me suivre, dans le froid réconfort de la logique des chiffres magiques, loin de tous ces mots que d’autres ont fait rimer et qui me tuent, célébrations, louanges, amours… Toutes ces commémorations sur les morts, comme autant d’enfants jamais portés, qui sont un constant rappel de mes erreurs et de mes actes manqués.
Je vide la bouteille, les dernières gouttes glissent sur la courbure de mon verre et rejoignent la surface du liquide. Je les suis d’un œil torve, à peine consciente de mon état. Je pense que je vais encore me réveiller dans mon canapé demain matin. De toute façon, personne ne m’attend dans mon lit depuis longtemps. Je pense aux amours échouées de m’avoir trop aimée, moi qui n’avais pas envie d’aimer. Ce n’était que des visages et des dentelles croisés, juste frôlés. Je me souviens de leurs noms, ils n’ont pas été nombreux. Je me souviens aussi de leurs yeux fascinés par mon image de princesse des glaces, comme si j’étais pour eux un défi, une femme à sauver de sa solitude. Idiots. Peut-être avaient-ils raison, mais je ne suis pas prête à vouloir être sauvée. Je me suis condamnée il y a longtemps, dans cette journée où le destin s’est joué, quand j’ai crié devant l’école entière de capturer Potter et de le livrer à V… au Seigneur des Ténèbres. C’en était fini de moi. Même Drago avait eu plus de courage. Ou plus de chance. Il y a tant de trahisons que je n’ai pas regrettées, et je ne regrette toujours pas celle-ci. J’avais choisi ma voie il y a longtemps, par ignorance ou gloriole peut-être, mais je l’ai assumée. A la chute de Celui-dont-je-suis-la-seule-à-ne-plus-prononcer-le-Nom, on m’a accordé le droit au pardon. Après tout, difficile de punir la simple bêtise. Et ça m’a fait mal. Je pensais m’être construit un personnage fort, un de ceux qu’on n’aimerait pas avoir comme adversaire, et tout s’est dégonflé. Je n’étais rien pour eux, mes anciens alliés comme mes ennemis. J’aurais voulu faire partie des vivants qu’il aurait fallu tuer, mais je ne méritais pas plus que quelques secondes de leur temps.
J’ai alors enfin pris le temps de réfléchir, enfin j’étais assez mature, assez intelligente. Ça m’est arrivé enfin, mais trop tard. J’ai cherché les sources de ma haine, les raisons profondes de mes choix, et je n’ai rien trouvé. Rien du tout. Rien d’autre que la fatuité et le besoin de reconnaissance. J’ai repensé à tous ces masques que j’aurais eu à porter et dont j’avais pris l’habitude comme d’une armure rassurante, et j’ai pleuré. Pleuré sur mon sort, car j’étais incapable de pleurer sur celui des autres, j’avais oublié comment on faisait pour ne pas penser qu’à soi. Drago m’a trouvée. Il ne m’a pas sauvée, il m’a juste portée pendant un moment, il m’a aidée à me confronter, il m’a fait comprendre que ce n’était pas terminé pour moi. Il m’a rappelé que j’étais Pansy Parkinson, et que j’avais des responsabilités. Je l’ai détesté, car lui non plus ne m’a pas laissée m’enfoncer dans le noir. Il m’a mise devant mes faiblesses, mes oublis, mes désespoirs. Ensemble, nous nous sommes confrontés à nos peurs impossibles à échanger, car nous allions devoir affronter le regard de ceux qui ont affronté le nôtre avant. Et ce fut encore pire que ce à quoi nous nous attendions. Suspicion, reproches, insultes… Le soutien officiel des héros de la guerre qui ne mettait qu’encore plus en exergue nos torts… Je m’enfonce dans un sommeil lourd, aviné. Je sens encore une fois quelques larmes sur mes joues. Ma dernière pensée consciente va à cette petite fille blonde dont je suis ma marraine. Puisse-t-elle grandir loin de nos erreurs.
Le lendemain matin vers onze heures, j’émerge difficilement, mon esprit navigue dans un coton épais et familier. Je vais encore me faire gronder s’il s’aperçoit de mon état. Je pense que je me passerai de mon repas dominical chez les Malefoy aujourd’hui, je n’ai pas la force de l’affronter. Mais mon cellier est vide. De ma fenêtre, je vois au loin que le restaurant asiatique est ouvert. Je vois aussi juste en face de mon immeuble entrer et sortir des enfants du magasin de Farces Weasley. Bon, une douche rapide et je vais manger des nems. La tête encore engourdie, je marche rapidement sur le trottoir et je tourne à l’angle… pour percuter quelqu’un de bien plus grand et lourd que moi. La physique n’étant pas à mon avantage dans cette collision, c’est moi qui m’écroule en arrière, mais cette personne a le réflexe de me rattraper. Je clignote deux fois des yeux. Je suis dans les bras de Weasley. Ronald Weasley si j’en crois les deux oreilles et la tâche sur le nez. Je m’écarte d’un geste vif, tandis qu’il bredouille une excuse alors que c’est ma faute, mais je vais me passer de lui faire remarquer. Il semble enfin me reconnaître. Même si j’habite à deux pas de son magasin, nous ne nous croisons presque jamais. C’est probablement la première fois en huit ans que nous nous adressons la parole. Je le remercie, de la manière la plus neutre possible sans paraître impolie. Il me salue gauchement et s’écarte pour me laisser passer. Je veux continuer ma route. Ce ne sera qu’un acte manqué de plus.
« Attends ! Est-ce-que tu as mangé ? »
Quoique.