Attablé à son bureau en bois précieux, sculpté avec soin, Drago, la tête entre les mains, réfléchissait.
Le tapis soyeux était jonché de parchemins froissés, et une fine lueur éclairait la pièce.
Il releva le menton, déterminé malgré tous ses précédents échecs à écrire cette lettre.
Drago prit une feuille vierge, un pot d’encre noire, et écrivit.
Disparues, les figures de style alambiquées imposées par Mère dès sa plus tendre enfance.
Disparu, son masque de glace dont il ne s’était jamais départi.
Il ne restait plus que sa plume, son parchemin. Et Harry, au bout.
Il écrivit.
Potter, je ne vais pas te mentir, je ne t’ai jamais aimé.
Ton héroïsme forcé, ta témérité stupide, tes sentiments écoeurants, tout ça me rebutait et me rebutent toujours.
Alors quand j’ai appris que toi seul, étais en cavale, que toi seul, étais notre seul espoir et que toi, seul, Potter, comptais détrôner le Seigneur des Ténèbres, je n’ai su que faire.
Devais-je en rire ou en pleurer? C’était simple: j’en ai ri, aux larmes.
Et puis, cette nuit là, cette sombre nuit de mai où tu t’es enfin montré, seul encore une fois, face aux Mangemorts et au Maître, j’étais dans la bataille. Je venais de tomber.
Tu m’as sauvé trois fois, cette nuit là. Ta mémoire te ferait-elle défaut?
Tu m’as tout d’abord arraché à la mort que mon ami allait tous nous donner. Malgré les réticences de tes deux compagnons, tu m’as sauvé.
Puis j’allais mourir lâchement, terrassé par un homme de mon propre camp. Surgi de nul part, tu m’as sauvé, Potter.
Mais surtout, dans cette clairière, lorsque tu es tombé sous les maléfices du Seigneur et que tu as survécu, tu m’as sauvé. Mon père affirme que tu n’avais fait que préserver ta peau en permettant à ma mère d’aller chercher son fils. Possible. Mais les faits sont là: tu m’as sauvé. A l’instant où le flot des partisants du Maître s’est déversé, triomphant, vers le château, j’allais succomber. Mais tu m’as sauvé, Potter.
Ne crois pas que je t’apprécie plus, maintenant. Tu es et tu resteras cet idiot arrogant que j’ai toujours connu.
Mais je dois te dire quelque chose.
Merci.
Drago relut sa lettre et soupira, avant de la froisser.
Il aurait aimé arracher ses cheveux platine délicatement plaqués sur son crâne anguleux, mais il prit plutôt un dernier parchemin. Et il écrivit, pour la dernière fois.
Un mot. Cinq lettres. Et pourtant tellement plus.
Merci.
Drago regarda son hibou grand-duc s’envoler dans le ciel orageux.
Il comprendrait.
Ou pas.
Harry n’avait jamais été doué pour comprendre des choses évidentes.
Et pourtant, Drago lui en avait donné, des signes…