Août 1968
Le chasseur guettait. Caché par le tronc rugueux d’un tulipier en fleurs. Sa proie semblait inconsciente du danger. Allongée dans les herbes folles. Les bras croisés derrière la nuque. Elle mâchonnait un brin de paille les paupières closes. Il s’approcha à pas de loup. Avant même qu’elle ne puisse réagir, des trombes d’eau glacée s’abattirent sur l’innocente victime. Elle se releva, crachant et toussotant.
— Regulus, sale traître ! Tu vas me le payer !
Son frère levait le poing alors que ses cheveux dégoulinaient, plaqués sur le front. Sa chemise blanche avait perdu de sa superbe. Pratiquement transparente, elle collait son torse fin. Quel dommage. Il aurait souhaité admirer ce spectacle éternellement. Mais savourer la victoire était impossible. Avec les grandes jambes de Sirius, l'unique option raisonnable restait la fuite. Le chenapan s’échappa donc en riant dans les bosquets de la propriété. Il contourna les massifs de rosiers admirablement entretenus. La fierté de sa tante Druella. L’été, ils étaient plus souvent au manoir qu'à la sombre demeure familiale de Square Grimmaurd. Leur mère se déclarait fatiguée si elle les avait toute la journée dans les murs. Ici, au moins, ils pouvaient profiter du parc... et d’un peu de liberté.
Le souffle court, Regulus loucha vers son poursuivant. La distance qui les séparait s’amenuisait. Regardant à nouveau face à lui, il faillit percuter l’honorable statue de Salazar Serpentard, les mains jointes sous son médaillon. Au dernier moment, il dévia de sa trajectoire, mais cela permit à son frère de le rattraper. Sirius le saisit avec un cri de triomphe :
— Aha ! Pas de raison pour que je sois le seul à être rafraîchi !
Le petit se débattit comme un beau diable. Peine perdue. Il était prisonnier d'un étau ferme et impitoyable. Sans merci, son ainé le traînait vers la fontaine où quatre serpents crachaient des jets d’eau cristalline.
— Non ! Pitié ! Je suis désolé ! Ne fais pas ça.
La source se rapprochait dangereusement. Son visage réceptionna d’ailleurs de fines éclaboussures.
— Je t’en prie. Non ! Arrête !
Il eut le réflexe salutaire de prendre une large inspiration avant d’être plongé dans le bassin. Son bourreau lui maintint fermement la tête sous l’eau. Il agita ses pieds. Se tortilla. Laissa échapper quelques bulles. Enfin, il fut libéré. L’air se faufila avec bonheur dans ses poumons. Insensible, son frère le contemplait avec une expression satisfaite. Il osa même lui tendre la main.
— Sans rancune ?
L’occasion était trop belle. Saisissant son poignet, Regulus essaya de le faire basculer avec lui. Echec total. Son aîné devait s’attendre à une telle manœuvre et il ne broncha quasiment pas. Par contre, son sourire s’accentua.
— Allez crapaud. Sors de là.
Une voix au loin les interpella :
— Regulus ! Sirius ! Votre mère est là.
La légèreté de cet instant s’évanouit brutalement. La plaisanterie ne serait certainement pas au goût de cette chère Walburga. Elle détestait lorsqu’ils sortaient du cadre. Elle les préférait sages comme des images. Obéissants. Des enfants parfaits. Celle-ci apparut sur la terrasse, levant le coude pour se protéger du soleil encore haut. Malgré la chaleur étouffante, elle portait une sévère robe noire au col montant. Ses longues manches étaient terminées par des boutons de nacre. Pas une mèche ne dépassait de son chignon bas. Elle les attendait. Aucune échappatoire possible. Il fallait s’avancer. Tels des condamnés, ils gravirent l’escalier de pierre lourdement. De son regard d’acier, elle fixait leur ascension, sa bouche pincée en une muette réprobation.
Dure et sèche, elle les interrogea finalement :
— J’écoute.
Ses fils restèrent silencieux. La nuque baissée. Preuve ultime de leur culpabilité, leurs habits mouillés formaient peu à peu une flaque sur les dalles brûlantes. Menaçante, Walburga leva sa baguette et répéta :
— J’écoute.
Il sentit Sirius se crisper à ses côtés. Probablement pour se dénoncer. Pour détourner le courroux sur lui seul. C’était toujours lui qui prenait les coups. Lui qui était puni. Même quand il n’était pas coupable. Mais aujourd’hui, il ne le laisserait pas faire. Il assumerait son acte. Après tout, il était responsable. Sans lui, ils ne seraient pas tous les deux trempés. Il avala avec difficulté. Pourvu que le châtiment ne soit pas trop important. S’il devait subir un Doloris ou être enfermé dans la cave... Non. Ne pas y penser. Sinon, il allait flancher. Pour affermir sa volonté, il serra les poings jusqu’à ce qu’il sente la morsure des ongles sur sa peau. Il redressa la tête tout en évitant sciemment les yeux maternels.
— C’est moi qui ai commencé mère. Je vous demande pardon.