« La pitié qui était au royaume de France. »
(Procès de Jeanne d'Arc, 7ème interrogatoire, 15 mars 1431)
Voilà qu’en 1413 la Guerre n’avait pas encore excédé un siècle, et que s’opposaient dans la sueur, la terre, et le sang la dynastie des Plantagenêt et celle des Valois. Les plus grandes batailles de l’Histoire se livrèrent à travers elles entre le royaume d'Angleterre et le royaume de France.
Voilà qu’en 1413 Henri IV, Roi d'Angleterre et seigneur d'Irlande, périt dans la nécrose sous les assauts répétés de la lèpre, et que son fils Henri V d’Angleterre sur le trône lui succéda.
Voilà qu’en 1413 celui que l’on appellerait un jour Charles VII, futur Roi de France, venait d’avoir dix ans. Dix printemps auparavant, dans le royaume de France, Charles VI le Fou avait mis en place un conseil de régence présidé par la reine Isabeau de Bavière, dont Louis Ier, Duc d'Orléans et de Valois, Comte d'Angoulême, de Blois, de Périgord et de Soissons, et très accessoirement cadet du Roi, fut rapidement accusé d’être l’amant par les Bourguignons, s’étant sentis lésés par la place prépondérante qu’il avait prise dans le conseil. Voilà que six ans plus tôt Louis d’Orléans fut sauvagement assassiné, haché menu à l’instigation de son cousin Jean Ier de Bourgogne — dont vous auriez sans doute quelques fois entendu parler sous le nom de Jean Sans Peur — semant pour près de trente ans les graines d’une guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui ravagea l’unité même Royaume. Voilà qu’en plus de la Guerre livrée aux Anglais le royaume de France se déchirait de toutes parts au gré des rivalités de pouvoirs. Voilà déjà que le Dauphin de Viennois était accusé de bâtardise, et qu’à dix ans seulement il s’était résigné à l’idée que seule une intervention divine pourrait un jour le légitimer sur le trône de France.
Voilà qu’en 1413 Jeanne d’Arc venait d’avoir un an, et que le soupçon de divin que l’on aurait pu lui trouver s’appelait sorcellerie. Celle-ci n’avait encore jamais quitté la masure dans laquelle elle était née, à même le versant de colline de Domrémy, dans le duché de Bar, en bord de Meuse, et face à l’église Saint-Rémy. Ne vous y trompez pas à la particule, car les d’Arc n’avaient pas ce sang bleu qui aurait fait d’eux des membres de la noblesse française. Toutefois, Jeanne restait fille de notable, et serait un jour de bonne éducation, y compris religieuse. Aussi coulait dans ses veines un sang sinon bleu au moins magique, et, même si Jacques d’Arc et Isabelle Rommée avaient à cœur de les dissimuler aux yeux du monde, ses pouvoirs s’étaient très tôt manifestés. Elle avait volé avant même de savoir marcher. Quarante lunes de cela, l’enfant s’était échappée telle une oie sauvage par-delà les coteaux, et elle en avait ri si fort que cela avait réveillé toute la ferme familiale. Comme elle l’avait fait avant elle pour ses aînés Jacquemin et Jean, et comme elle le ferait ensuite pour Pierre et Catherine qui ne tarderaient pas à venir, sa Sorcière de mère allait lui apprendre à canaliser ses souffles incivilisés de magie. Jeanne n’était pas la première fille de ses parents, mais elle était la première à arriver en âge de marcher, et cela importait d’autant plus aux époux de la protéger des turpitudes de l’existence, face à l’intolérance et la haine des Sans Pouvoir. Car des pouvoirs, Jeanne en avait déjà plus que quiconque, et elle allait en conquérir davantage, bien davantage que tout ce que vous auriez pu vous imaginer.
Voilà qu’en 1413 le duché de Bar était placé sous la souveraineté du Saint-Empire mais aussi et surtout du royaume qui serait promis à Charles de France, car Jeanne un jour à corps et âme s’y dévouerait.