1997,
Les vagues les ballottaient dans tous les sens. Les embruns fouettaient les visages avec autant de force qu’une pierre lancé à pleine vitesse. Le plus terrible, selon Julia, tandis qu’elle maniait difficilement le gouvernail était clairement le vent. Il était d’une froideur à vous blanchir le visage. Et loin d’y être habituée, la jeune femme peinait à tenir son poste, sans oublier qu’elle n’était pas marin de métier, pas plus que le reste de la famille McLyre.
Non Julia était secrétaire, et comme la majorité de la famille, elle travaillait il y a peu dans la scierie sorcière familiale. Mais l’ascendance née-moldue de la famille McLyre en avait fait des cibles de choix pour le nouveau gouvernement, tout comme leur réussite financière.
Mais elle voulait aider et le gouvernail était de loin le moins risqué pour elle, avait décrété son frère.
La cale prenait l’eau à cause de la tempête et le reste de la famille qui n’était pas en capacité de tenir le navire se cachait comme elle pouvait des torrents déchaînés.
Philip, son frère aîné revint à la barre et cria à Julia de demander à tout le monde de mettre des sortilège de flottaison sur leurs vêtements et des têtenbulles.
- On va chavirer ?
- On approche de la côte et il devrait y avoir un phare normalement. Sauf qu’il n’est pas allumé, semble-t-il. Le risque de heurter les rochers est grand. Je préfère ne prendre aucun risque. Dépêches-toi, chaque seconde est précieuse
La sorcière lança les sortilèges sur elle-même puis se déplaça avec difficulté, le bois était glissant et l’équilibre de plus en plus précaire à mesure que le navire tanguait. Malgré tout Julia parvint à retrouver sa famille cachée derrière trois morceaux de planche.
- Sortilèges de têtenbulle et flottaison pour tout le monde.
- Pourquoi tante Julia ? demanda Mana, son neveu de six ans.
- Simple précaution, crevette. Alma, passe-moi Fran, on va gagner du temps.
Sa belle-sœur obéit et Julia se retrouva avec la fillette de quatre ans dans les bras. Elle lança le sortilège de Têtenbulle, mais jugea bon de la rassurer un peu avant de poursuivre.
- N’aies pas peur mon chaton, c’est juste un mauvais moment à passer, ça ira mieux après.
- Mais je m’amuse moi. C’est comme les manèges des moldus.
Julia ne put s’empêcher de sourire. Franny était une vraie McLyre, aucun doute là-dessus.
La gravité sembla soudain disparaître. Il n’y eut plus que de l’eau et des morceaux de bois qui volaient dans tous les sens. Et Julia avait lâché sa nièce.
Au fond de l’eau, elle retrouva sa baguette un peu par hasard. Elle supprima son sort de flottaison puis lança un Lumos informulé avant de partir à la recherche de la petite Fran. Plus rien d’autre ne comptait. La plupart des membres de sa famille étaient parvenus à la surface grâce du sort de flottaison, à ce qu’elle voyait. Julia réagit à peine en voyant sa tante Jillian flottant inerte, un filet de sang remontant à la surface à la place de sa propriétaire. Fran passait en premier pour le moment.
Elle repéra sa nièce deux minutes plus tard. Le sort de têtenbulle avait fonctionné, et la petite respirait normalement. Bien que ça n’avait visiblement plus rien d’un manège pour elle. Elle sombrait à travers les fonds marins en se débattant. Julia la récupéra juste avant qu’elle ne disparaisse pour de bon dans l’obscurité.
Julia refit surface en se propulsant d’un coup de baguette, tenant fermement sa nièce contre elle, nageant seulement avec son bras valide et ses jambes. Le courant les avaient emporté près d’une crique. Plus qu’une bonne centaine de mètres à faire. Ce n’était clairement pas le moment de faiblir.
Son dos heurta très vite des galets, elle avait fait les derniers mètres dans un état de semi-conscience. État qui menaçait d’empirer.
De petites mains touchant son visage la réveillèrent soudainement. Julia se redressa lentement, sonnée et après quelques secondes de récupération, prit la petite dans ses bras. Son bonheur à l’idée d’avoir pu la sauver fut tel qu’elle l’embrassa un long moment sur la joue.
Chaque pas se révéla être un enfer pour son corps. Mais il fallait mettre la fillette en lieu sûr
- Tata, j’ai froid.
- Moi aussi, viens, on va trouver un endroit pour faire du feu et se reposer.
La grotte un peu plus loin semblait parfaite pour cela, constata Julia.
La courte nuit qu’elles passèrent fut malgré tout reposante. Le lendemain matin, le duo parcouru la côte toute la matinée. En chemin, Julia cueillit des baies qu’elle savait comestibles, pour la petite. Son ventre attendrait encore un peu.
- Regarde, Julia, de la fumée, s’écria Fran avant de partir en courant.
- Fais attention où tu mets les pieds !
La petite sorcière s’arrêta fort heureusement au bord de la falaise. Julia la rejoignit au pas de course. Les rescapés étaient plus nombreux qu’elle ne l’avait craint. Et Phil n’avait pas perdu de temps pour réorganiser le groupe, constata Julia.
- On va transplaner jusqu’à eux, dit alors la jeune femme.
- J’aime pas le transplanage, ça fait vomir.
- Juste cette fois promis.
Les retrouvailles furent longues et chaleureuses, malgré les pertes évidentes. La famille McLyre était amputée de quatre membres. En plus de sa tante Jillian, Julia avait perdu deux cousins. Mais à l’amusement général, Franny ne lâchait plus sa tante d’une semelle.
Dans l’après-midi, le ministère de la magie norvégien dépêcha des employés sur place pour les assister et la famille McLyre rejoignit leur maison de vacances, le soir même. Leur nouvelle vie pouvait commencer mais tout allait clairement être différent.
La grande famille apprit à vivre à la dure au fil des mois. Phil avait beaucoup d’or en réserve mais faire vivre douze personnes était difficile financièrement. Ceux en âge et en capacité de travailler avaient fini par trouver des emplois, souvent précaires, voir douteux d’un point de vue moral. Et ce malgré leur maigre connaissance du norvégien et la méfiance naturelle des locaux, moldus comme sorciers . La situation restait très instable. Mais tout était mieux que pourrir au fond d’une geôle à Azkaban.
Julia avait plus de chance. Elle avait trouvé un emploi de serveuse dans un restaurant moldu et la barrière de la langue n’était pas un problème pour elle, ayant fait largement plus d’efforts que les autres par le passé pour apprendre la langue locale. Les McLyre avait pris l’habitude de passer leurs vacances dans cette maison secondaire, mais ils passaient les dites vacances entre eux, ne s’ouvrant que très peu au monde extérieur. Ce qui avait toujours exaspéré la jeune femme.
Le propriétaire n’était pas très regardant sur son passé et, depuis l’enfance, Julia avait toujours su s’adapter au monde des moldus, sans forcément parvenir à tout en comprendre. Son mi-temps lui laissait suffisamment de temps libre pour s’occuper des enfants. Sa belle-sœur Alma, en état de stress post-traumatique depuis leur fuite, n’était plus capable de s’occuper de grand-chose et plus particulièrement de ses trois petits. Et si l’aîné, Gerry était plutôt mature pour ses onze ans, Mana et Franny avaient besoin d’amour et d’attention, surtout après ce qu’ils avaient vécu.
Les mois défilèrent, et la nouvelle leur parvint le quatre mai, au matin. La guerre était terminée depuis deux jours et Voldemort était vaincu pour de bon. Phil, au grand désespoir de Julia, décida qu’ils regagneraient tous la scierie familiale dans deux jours.
À son plus grand désespoir, car la sorcière avait une toute autre idée en tête. Et avec une famille rigide comme la sienne, sa décision n’allait certainement pas leur plaire.
Julia exposa son projet le soir-même, après le dîner et une fois les enfants couchés.
- Je reste en Norvège.
- J’ai dû mal comprendre.
- Je n’ai pas la force de revenir au manoir, après tout ça, se justifia Julia.
- Tu n’es pas sérieuse là ?
-Ah … donc revenir au manoir alors que papa y est resté pour nous protéger et en est probablement mort, pour toi c’est un jeu d’enfant ? C’est au-dessus de mes forces et probablement au-dessus de celles de tout le monde ici présent à part toi.
La discussion entre le frère et la soeur s’envenima très vite, et au final Phil ne sembla plus capable de s’exprimer autrement qu’en criant des insultes. Julia se leva alors parfaitement calme.
- Ma réaction ne te plaît pas ? demanda-t-elle avec un sourire. Tant mieux. Il faudrait que tu arrêtes de décider pour les autres un jour. Tu verras, ta relation avec tout le monde en pâtira. Y compris tes liens avec tes trois enfants. Et merci pour le « sale gouine », ça fait des années qu’il te brûlait la gueule celui-là, je me trompe ? Maintenant bonne nuit et va bien te faire foutre !
La dispute de ce soir-là eut une telle portée que l’ambiance resta sinistre jusqu’au départ de la famille. Phillip avait malgré tout autorisé sa sœur à rester dans la maison autant qu’elle le voudrait. Pas par un quelconque miracle, Julia soupçonnait plutôt Alma d’avoir raisonner son frère après la dispute. Aussi effacée qu’elle pouvait être et malgré sa détresse psychologique, sa belle-sœur avait toujours une sacrée capacité de persuasion, Julia en était sûre.
La veille du retour en Ecosse, Franny était inconsolable et Julia se rendit dans sa chambre pour lui parler. Elle eut un mal fou à la convaincre de ne pas rester avec elle. Au bout d’un certain temps, elle essaya l’honnêteté. Ce qui à sa plus grande surprise, marcha.
- Je t’écrirais des tas de lettres, et je te ferais plein de cadeaux. Et promis, je reviendrais en Ecosse autant que possible spécialement pour toi, s’il le faut. Mais revenir maintenant, après tout ce qu’il s’est passé c’est trop dur pour moi. Je sais que tu comprends, même si tu es la plus jeune. Parce que tu es une petite futée et certainement pas le bébé que tout le monde imagine.
Ce qui fit décrocher un grand sourire à la petite fille jusque-là boudeuse
- Tu peux rester dormir avec moi, ce soir ?
- Oui chaton ! j’y comptais à vrai dire.
Les premiers jours, le départ de sa famille fut pourtant nettement moins dur que la soudaine solitude qui fut sa seule compagne. Mais Julia n’avait pas l’intention de s’enterrer dans ce manoir trop grand pour elle. Elle travailla trois mois de plus au restaurant afin de faire des économies.
Puis vint le fameux week-end à Bergen, où elle vendit ses maigres possessions et changea une partie de l’argent moldu gagné en or sorcier avec lequel elle acheta tout le matériel nécessaire à son projet. Une toile de tente tout confort comme les aimaient tant les sorciers, ou encore suffisamment de plantes pour faire des potions ou des baumes. Julia avait toujours eu un don avec les herbes, avant même son entrée à Poudlard.
Pourquoi elle partait en vadrouille à travers le pays ? Elle-même n’en n’était pas sûre. Elle n’avait jamais pris une décision de ce genre jusque-là.
Mais une part d’elle savait qu’elle trouverait probablement la réponse en chemin.