Le plafond était la seule partie de son dortoir qui n’était pas verte.
Non, le plafond était blanc. Vide. Presque morne.
Scorpius le fixait, mais ne voyait pas le large plafond immaculé. A vrai dire, Scorpius ne voyait rien.
Ses sens avaient tous disparus, sauf son ouïe.
Il entendait son cœur battre, ses entrailles danser furieusement, alors qu’il était sagement étendu sur son lit émeraude. Oui, il entendait son cœur.
Mais lui ne battait pas grossièrement.
Une véritable mélodie se jouait dans son être, dans la moindre parcelle de son corps, de ses yeux glaciers grands ouverts à ses cheveux blonds désordonnés.
Scorpius n’entendait qu’elle. Cette douce mélodie, cette belle mélodie, cette mélodie nouvelle qui le faisait défaillir.
Cette mélodie n’était pas simple. Son cœur faisait des bonds, puis s’arrêtait, manquait un battement, et repartait.
Cette mélodie avait un nom, aussi. Un nom que Scorpius connaissait à peine, quelques heures auparavant.
Enfin si, il le connaissait, mais il le dédaignait, il s’en moquait, il l’ignorait.
Ce nom, Scorpius n’osait maintenant même pas le prononcer.
La mélodie recommença. Elle le narguait, cette mélodie. Elle emplissait son être d’une joie indicible, mais les notes déchirantes le remplissaient de tristesse.
Cette mélodie, Scorpius ne savait pas la jouer.
Puis la vue lui revint. Lentement, les images affluèrent.
Un piano d’ébène qui scintillait de noirceur.
Une salle sombre, qui éclairait seulement le clavier.
Une chevelure rousse, nouée en un chignon lâche.
Des yeux azurs.
Et des doigts. Ses doigts pâles qui glissaient sur les touches blanches, qui caressaient l’instrument avec tendresse et fermeté. Quand il l’avait vu, Scorpius avait sentit les battements de son cœur se claquer sur le piano. Il avait pensé qu’il voudrait être le piano. Qu’il voulait que la mélodie joue pour lui. Qu’elle joue encore.
Car cette mélodie avait un nom. Le même nom que la teinte qui avait coloré ses joues si pâles, autrefois.
Scorpius se redressa brusquement. Il tendit l’oreille, croyant apercevoir un bruit. Mais c’était visiblement une fausse alerte.
Scorpius se laissa retomber sur son lit à baldaquin, soupirant. L’idée que quelqu’un puisse l’apercevoir dans cette position pourtant neutre le dérangeait étrangement. C’était un Malefoy, par Merlin !
Depuis hier soir, Scorpius avait l’impression qu’il était marqué. Que quiconque regarderait ses joues anormalement roses, ses yeux brillants et son regard rêveur le démasquerait.
Comme si la mélodie allait soudainement jaillir de son cœur pour prendre possession de son corps, pour dire à tous ce qu’il fait vu.
Ce qu’il avait vu…
Scorpius se gifla mentalement. Quoi de plus qu’une stupide rouquine qui martelait un piano, seule dans une salle sombre ?
Une stupide rouquine avec deux yeux d’un bleu si profond qu’il s’y serait noyé.
Une stupide rouquine qui jouait divinement bien, sensuellement bien, qui jouait cette mélodie qui ne quittait plus Scorpius.
Elle l’emplissait, ne le quittait pas, l’agaçait et puis il ne voulait plus qu’elle parte, qu’elle continue à jouer. Qu'elle continue à jouer.
Scorpius passa une main agacée dans ses cheveux blonds. Il était ridicule ! Comment un piano pouvait-il le troubler à ce point ?
Mais il le savait, ce n’était pas le piano qui le faisait rougir. Ce n’était pas non plus la douce mélodie qu’il dégageait. C’était elle.
C’étaient ces doigts frêles qui caressaient les touches, c’étaient ces lèvres rouges et fines, c’était ce chignon lâche, ce chignon roux qui reposai délicatement sur sa nuque fragile.
Scorpius soupira. S’il savait qu’il allait tomber sur ça, en se rendant ce soir à la Salle sur Demande…
Lui, tout ce qu’il voulait, c’était s’asseoir dans un endroit calme, seul, loin de l’agitation de sa salle commune. Il voulait ne penser à rien, fermer les yeux, lire un livre peut-être. Et pourtant il n’aurait pu être plus troublé en revenant.
Il s’était enfui, comme un voleur.
L’avait-elle vu ?
Sans doute, oui, sinon la mélodie ne se serait pas arrêtée brusquement.
Maintenant, il s’en voulait. Il n’aurait pas dû faire autant de bruit, il n’aurait pas dû la fixer si intensément, il n’aurait pas dû partir si soudainement.
Peut-être que s’il ne l’avait pas interrompue, la mélodie jouerait toujours, maintenant.
Et il pourrait encore le dévorer des yeux, ce visage si concentré, si délicat, si beau…
Scorpius se redressa brusquement. Il se prit la tête entre les mains et la secoua de toutes ses forces. Il en avait assez.
Il ne devait pas penser à ces choses là. Il n’était pas amoureux, bien sûr. Il était juste…intrigué.
Intrigué qu'une jeune fille si discrète, si banale, si insignifiante joue si bien.
Intrigué qu’il n’ait jamais remarqué sa beauté.
Scorpius grogna. Il ne devait pas penser à ça.
Pas penser à ses doigts fins, à ses yeux bleus, à sa chevelure rousse.
Pas penser au sursaut qu’elle avait eu en s’interrompant soudainement.
Pas pensées à ses lèvres rouges, légèrement entrouvertes.
Seule la mélodie, elle, pouvait continuer de jouer. Parce que cette mélodie, Scorpius ne savait pas comment l’arrêter.
Pas penser à son nom. Pas penser au prénom de sa mélodie.
Rose.