Harry regardait passer les voitures. Sur ce petit bout de rocher, tout au bout de la rue, il lui arrivait de penser aux nuages. Alors, sans en avoir vraiment conscience, il lève la tête et regarde le ciel.
Et c'est comme s'il s'envolait, son corps s'élève et il ferme les yeux. Loin de toute source de vie, il se sent bien.
Il lui arrive de penser qu'il rêve. Que le vent dans ses cheveux n'est dû qu'au bruissement des branches, secouées par les allées et venues des voitures dans le soir. C'est comme le souffle dans son cœur, calme et silencieux. De temps en temps, il a tendance à oublier ce que ça fait.
Il voudrait rester comme ça, oublier le monde et ce poids sur sa poitrine, et juste partir si loin d'ici ...
Il pense à tout ça, et c'est comme s'il redescendait brutalement sur le sol.
~
Harry a les cheveux en batailles. Du plus loin qu'il se souvienne, il n'a jamais pu en être totalement satisfait. Toujours trop longs ou trop courts, trop aplaties ou bien trop en l'aire. C'est bête, mais il ne peut pas s'empêcher de jeter des coups d'œil dans les vitres autour de lui. Plusieurs fois, il a surpris les regards désapprobateurs de ses parents à ce sujet. Alors, il essaie de faire attention autrement. Parce qu'Harry déteste se sentir observé. Son obsession pour ses cheveux, il l'a toujours gardée pour lui, pour que personne ne découvre tout le mal que ça peut lui faire.
Mais aujourd'hui, Harry regarde son reflet dans le miroir impeccable de la salle de bains, et il sourit. Pas pour les gens autour de lui. Nan, aussi étonnant que cela puisse être, Harry n'a pas peur de son image. Il se regarde, et il se trouve beau. Ça le fascine, et il n'arrive pas à détacher son regard de la vitre.
Alors il sourit. Ça faisait si longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi léger...
Tout le reste de la journée, il se sent sur un petit nuage. Il évolue lentement dans son petit monde, et regarde autour de lui avec tant de bienveillance dans les yeux que tous semblent lui sourire.
Harry se sent bien. Il n'a pas honte de lui, et il ne ressent même pas de dégoût ou de gêne auprès des autres. Alors forcément, il ne peut pas s'empêcher de parler, et de parler encore et encore, parce qu'il a tellement besoin de s'exprimer et de se sentir bien qu'il ne peut pas faire autrement. Et il sait que ça ne plaît pas à son amie à ses côtés, qui ne le comprend plus vraiment. Mais il s'en fiche. C'est si rare qu'il ne veut pas mentir. Juste aujourd'hui, juste quelques heures.
Noyé au milieu de la foule, il cherche du regard cette petite ombre, non loin de lui. Elle lui attrape rapidement le bras, et ils avancent, deux silhouettes anonymes parmi tant d'autres.
Harry continue à flotter sur son nuage, et sa joie de vivre contraste avec tous ces visages fermés et sombres qu'il connaît si bien.
Sautillant doucement d'une marche à l'autre, il fixe le bas des escaliers avec attention. Il relève la tête, regarde son amie sans vraiment arrêter de sourire, et ils avancent tous deux vers la rame de métro. Et d'un coup, c'est comme si toute l'eau du monde s'abattait sur ses épaules, et il ne sent plus rien d'autre que son cœur qui cogne à lui en fendre les côtes.
Un Deux
Un Deux
Un Deux
Un Deux
Plus rien n'existe, juste une seconde, et ce n'est pas possible, un mirage revenu d'entre ses rêves les plus profonds, l'illusion pourtant qui n'arrive pas à partir. Il veut pleurer et crier, courir aussi vite que ses jambes le lui permettraient.
- Ry ?
- J'arrive !
Alors il recommence à avancer. Ce frisson dans son corps, et son cœur battant la chamade, sans qu'il arrive à l'arrêter.
Et ces mots qui tournent et l'étourdissent, il voudrait pouvoir lui dire, il le voudrait tellement ...
Madeline
Il avait presque réussi à l'oublier. Mais comme à chaque fois, tout revient d'un coup, et il ne comprend pas. Tous ces petits détails qui lui reviennent, la couleur de ses yeux, ou la blancheur irréelle de sa peau. Pourquoi il n'arrive pas à oublier, simplement passé à autre chose ?
C'est une obsession qu'il ne comprend pas. Et pourtant, il ferait n'importe quoi ne serait-ce que pour la regarder, quelques instants seulement.
- T'as vu quelqu'un ?
- Heu... nan, rien, laisse tomber.
- C'était qui ?
- Mais personne, cherche pas. Ça n'a plus d'importance.
Le nuage a disparu. Il s'est envolé avec son sourire, le laissant seul avec le souvenir de cette fille à la peau porcelaine.
Madeline
C'est bête, mais il n'en a plus la force. Il pourrait faire demi-tour, tout planter et courir à l'autre bout de la rame, toucher son bras et voir son regard tourner dans sa direction. Bien sûr elle sourira. Elle lui demandera des nouvelles, ses yeux bruns s'écarquillant sans raison de temps à autre. Et même s'il saisit tout l'artifice que cela représente, Harry ne peut pas s'empêcher d'y penser.
Pourquoi tu ne vas pas la voir ? Ça te brûle, mais la savoir si proche de toi, avec tous ces gens autour, et ton cœur qui ne s'arrête pas de battre...
Alors tu restes là. À faire semblant de ne pas la savoir à quelques mètres de toi. À espérer peut être, que ce poids sur tes épaules disparaisse, et que tous ces gens de partout n'ait jamais existé.
Les minutes passent et les portes s'ouvrent, et chaque arrêt marque un coup de poignard supplémentaire dans ton cœur. Le compte à rebours, avançant trop vite et si lentement. De loin, du coin de l'œil, tu peux voir ses cheveux presque roux. Quelques mèches tombent négligemment sur sa nuque, secouée par les légers tremblements des wagons sur les rails.
Sa boîte rouge sur ses épaules, et son petit livre dans ses mains, tous ces détails que tu captures sans même t'en rendre compte. Tu penses à toutes ces mélodies qu'elle a pu jouer par le passé, à ses doigts infatigables sur le manche, et la légèreté de son archet courant sur les cordes. L'odeur de colophane, de bois et de lessive qui lui colle a la peau. Toutes ces sensations dont tu n'arrives pas à te débarrasser...
- On arrive.
Tu récupères ton sac, devenu lourd et encombrant. Un dernier regard, et tu disparais dans la foule pressée, qui t'entraîne si vite vers les escaliers. Tu veux crier, retarder son départ, garder quelques fragments de son essence, encore quelques secondes... Mais ta gorge serrée et le bruit sourd du métro tout autour avalent ton courage.
Alors tu pars. Tu sautes les marches deux par deux, et arrivée dans le halle, tu guettes la sortie opposée. Une seconde, deux, et puis trois. Mais rien ne vient. Seul le bruit incessant des pas précipités contre le sol.
- Qu'est ce que tu fais ? Tu viens ?
- Oui oui, attends-moi.
Tu montes les quelques marches menant à la sortie, et le soleil te fait fermer les yeux. Et au fond, c'est peut-être pas plus mal.
- Bon, tu me raconteras ?
- Il n'y a rien à raconter.
- C'était qui ?
- Personne que tu connais.
- Et... elle a un nom ?
- Bien sûr.
Tu regardes le sol. Ton secret. Son visage. Son sourire. Et ces yeux qui te fixent, emplis de curiosité. Tu souris, t'avances vers l'arrêt à quelques mètres.
- Allez, viens, le bus arrive.
- Évidemment !
Tu te retournes une dernière fois, et observes la foule de l'autre côté du quai.
Et tu te détournes.
Accoudé la fenêtre du bus, tu regardes les nuages. Le balancement brumeux de ces formes vagues dans le ciel, qui te transporte dans des mondes encore inexplorés.
Tes yeux se ferment. Et c'est à peine si tu remarques tes cheveux virevolter contre la peau de ton visage. Tu t'envoles, et seulement le calme et le silence.
Tu t'abandonnes au souffle du vent.
Perdu dans ton petit monde, ce nuage couleur porcelaine, et seulement l'odeur de colophane et de bois contre ton visage.
Un dernier murmure.
Et tu souris.
Madeline